En substance et au commencement, c’est l’histoire d’une intégration dans un nouveau lycée. Marc arrive dans sa nouvelle école, avec son visage encore poupin, ses habits insipides, et sans connaitre personne. Tout le monde le condamne immédiatement, au premier regard, sauf une jeune fille avec beaucoup d’allure, qui l’aborde et l’invite à rejoindre son groupe d’amies. Ça débute bien, le sourire sincère du jeune garçon présage de cet état de félicité que va lui procurer cette petite bande de filles et de leur inconscience juvénile.
Pour le moment ça s’annonce très semblable à bon nombre de teen-movies, et particulièrement à Mean Girls (avec Lindsay Lohan, l’idole d’ailleurs de l’héroïne et chef de gang du film). Le film annonce en fin de générique qu’il est basé sur un écrit, pas traditionnellement sur un livre, mais sur un article de Vanity Fair, qui introduit déjà une distanciation intéressante. On est dans un monde de tabloïds et de scandales, de futilité et de vacuité ; et c’est cela que Sofia Coppola annonce d’emblée comme angle, l’objet de son intérêt.
Le rite d’intégration est bien sûr synonyme de transgression, et baignés de culture people, entre potins de stars, téléréalité et tout ce que peut apporter la ville de Los Angeles en strass et paillettes, les jeunes gens se livrent à des cambriolages chez leurs idoles. Le groupe est mené par « Becca » qui s’ennuie un peu de sa vie déjà aisée, de ses parents souvent absents et de son groupe d’amies habituelle.
C’est elle qui s’entiche de Marc, qui l’entraine dans ses virées nocturnes, qu’elle agrémente de fouilles dans les voitures garées dans sa rue, quand les portières sont ouvertes, ou d’intrusion dans les maisons hupées dans lesquelles elle n’a aucun mal à s’installer pour un moment, la conscience tranquille. Pour Marc, c’est autre chose. Toujours tremblant, il la ramène à la réalité, craignant qu’on les surprenne. Tous deux forment un couple moderne qui se considère avec affection sans aller plus loin, sorte de Bonny & Clyde modernes. Leur premier cambriolage de star se décide un peu comme ça, en regardant leurs sites d’actualité people. Rentrer et se servir dans la maison de Paris Hilton semble leur donner la décharge d’adrénaline qu’ils recherchent en même temps qu’un butin non négligeable. Unis par leurs frasques, tous deux font envie aux autres filles de la bande qui les accompagneront pour les suivants.
La fièvre matérialiste qui les anime, fait miroiter les objets de luxe les plus beaux, les accessoires qui tout de suite font la différence et qui comblent les lacunes de leur recherche identitaire. Dans l’appropriation des biens, la petite bande a l’impression d’une plus grande proximité avec les stars qu’ils dépouillent. L’identification se renforce. La dimension voyeuriste a aussi son importance, et Sofia Coppola réussi à lui donner corps, par des plans d’ensemble, comme par exemple celui de la maison vitrée d’Audrina Patridge se faire visiter par Marc et Becca, chacun dans une pièce puis se réunissant. Les jeunes gens observent de près les mœurs de leurs idoles, en fouillant les recoins, sans dévaliser leurs affaires, mais en ayant bien soin de trouver ce qu’il faut. Dans à peu près toutes les maisons visitées, les coffres et valises sous les lits dévoilent des trésors. C’est dans ces endroits là, qu’ils perquisitionnent l’intimité de leurs stars. L’argent subitement circule en grosses quantité, et avec lui son cortège d’accessoires de mode, d’alcool, et de substances illicites.
Tout d’un coup, ils se sentent beaux comme le rend assez efficacement le plan au ralenti où ils se pavanent dans les habits qu’ils ont dérobé. Ils deviennent populaires et on les envie. Fascinés par la popularité des stars, ils accèdent à la leur aidés par les objets.
Sofia Coppola filme l’insaisissable : l’insouciance éphémère de la jeunesse, les rêves dorés qui s’évaporent, le matériel qui file entre les doigts. Elle dépeint minutieusement les codes et les occupations de ses personnages, comme si elle faisait un instantané de la jeunesse californienne moderne, qu’on voudrait échantillonner. Ainsi elle joue sur une variation des formes, de l’écran de téléphone, à celui d’ordinateur, on voit les héros se prendre en photo, se regarder dans leur webcam comme on le ferait dans le miroir… Ce tableau rappelle le récent Spring Breakers (Harmony Korine), où la transgression, la jeunesse américaine et l’absence de limite étaient de mise. Mais le traitement de The Bling Ring est plus captivant et vraisemblable (notamment la scène au révolver inquiétante pour son imprévisibilité). Pourtant, on s’aperçoit qu’on ne connait rien des personnages (à l’exception de détails futiles sur leurs goûts vestimentaires) : ni tellement leur contexte familial à l’exception de celui de Nicki (dont la mère azimutée fait peur en éduquant elle-même ses filles selon la méthode fumeuse du Secret), ni franchement leur personnalité, ni leurs relations. Tout cela est implicite et suggéré par la réalisatrice, qui ménage tout de même certains mystères : Marc précise qu’il « considérait Becca comme sa sœur et c’est ce qui a compliqué les choses », son homosexualité est effleurée, les copains éventuels des filles sont très peu filmés, on ne sait pas réellement ce que fait Nicki dans la vie. Dans cette quête d’identité fulgurante, on pénètre dans ses maisons opulentes, avec une certaine admiration, et on ressort du film étourdi par cette aventure fugace qui semble comme son sujet, flirter avec la vacuité.
A voir :
The Bling Ring, un film américain de Sofia Coppola (1h30)