L’inconnu du lac sera projetté en présence du réalisateur Alain Guiraudie et de Franck FINANCE-MADUREIRA, créateur de la Queer Palm
Mercredi 19 juin à 20hCinéma ComoeœdiaPréventes aux caisses du Comoeœdia dès le 12 juinSéance organisé par le cinéma Comoedia et Ecran Mixtes
L’inconnu du lac. Sortie mercredi 12 juin 2013. France. 2013 – 1h32. VF.
Avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick d’Assumçao. Interdiction aux moins de 16 ans.
Prix de la mise en scène dans la compétition Un Certain Regard au Festival de Cannes 2013
L’amour, le sexe, la mort : avec ce huis clos à ciel ouvert, le réalisateur enthousiasme et fait son grand retour dans le monde tel qu’il est.
Etonnant comment un chef-d’oeuvre de cinéma peut parfois sembler simple comme bonjour. Prenez L’Inconnu du lac : un lac donc, une plage, des bosquets, un parking, une R25, quelques hommes nudistes, trois personnages, bref, trois fois rien sur le papier : à l’arrivée, un diamant de film qui brasse avec humour et gravité la vie, l’amour, la mort.
Beau jeune homme, Franck est un habitué du lac où il vient l’été pour se rafraîchir, bronzer, draguer, fourrer dans les fourrés. Il y fait la connaissance de deux nouveaux : Henri, un solitaire hétéro enrobé, qui se tient à l’écart et vient là pour la tranquillité, voire un brin de conversation ; et Michel, apollon moustachu et bon nageur (croisement entre Freddie Mercury, Mark Spitz et Tom Selleck). Faisant mentir son titre, le film est donc une équation à deux inconnus. Un soir, dissimulé dans les buissons, Franck voit Michel noyer son amant comme on jetterait une capote usagée, donnant corps à l’expression “entre chien et loup”. Poison dans le lac et dans le film. Le lendemain, pas chien, Franck noue une relation enflammée avec le grand méchant loup.
Le talent d’Alain Guiraudie consiste à tresser mille registres, thématiques et métaphores sous l’apparente épure économe d’une série B américaine des années 50. L’univers du conte se pose en soubassement. Ajouter un mix fluide entre comédie et thriller, emblématisé par la scène de la R25. Michel : “On n’en voit plus beaucoup des R25.” Franck : “Ouais, j’en suis content.” Humour guiraudien, bien sûr, mais en même temps repérage par le criminel de la voiture du possible témoin. Sourire et menace mêlés. Personnages qui savent les abysses obscures du lac et du désir mais font mine de ne pas savoir.
Car au bord de ce lac, à la fois espace utérin, gouffre dangereux, miroir et mirage, surface plane et profonde comme un écran (le plan d’eau et le plan drague fusionnent ici avec le plan de cinéma), en ce coin de nature revenu à l’archaïsme des origines, petit domaine des dieux grecs où les corps ne sont pas seuls à être mis à nu, se joue une ronde parfaitement réglée entre la vie et la mort, l’érotisme et le danger, la passion et l’amitié, l’exultation fugace de la chair (et Guiraudie y va franchement) et la respiration durable des sentiments. Tiraillé entre Michel et Henri, Franck l’est entre deux philosophies des relations, deux choix de vie : partager sans baiser ou baiser sans partager, la durabilité féconde ou la fulgurance risquée, telle est l’alternative cornélienne qui s’offre à Franck.
Franck, Michel et Henri sont des personnages puissants parce qu’ils sont incarnés par des acteurs extraordinaires. Pierre Deladonchamps, parfait d’innocence, de désir et de terreur mêlés, Christophe Paou, superbe de charisme anxiogène, et Patrick d’Assumçao, aussi magnifique et bouleversant que son personnage, les trois déroulant avec une aisance impériale des dialogues d’une force et d’une finesse rares. Les seconds rôles sont au diapason et parviennent tous à exister, distillant des touches de fantaisie comme des respirations.
On terminera par le plus beau personnage de ce film : la mise en scène. Regard sans jugement sur les divers protagonistes, sismographe sensible des lieux et des éléments (eau, lumière, espaces, le vent dans les arbres et le clapotis du lac faisant office de BO, ciels, pénombre…), théâtre plagiste avec ses rituels, ses entrées et sorties, Guiraudie déploie tout ça avec une force tranquille, une limpidité et une modeste évidence de chaque instant. Lui aussi semble atteindre la rive du lac, celle de la plénitude enfin accomplie de son fantastique potentiel de cinéaste, qui nous avait pourtant déjà ravis à maintes reprises. Alors, chef d’oeuvre gay, comme l’a titré Libération ? Oui, parce qu’on ne peut ni ne veut sous-estimer cet aspect, mais surtout ne réduisons pas et clamons l’essentiel : chef-d’oeuvre, point barre.
(Serge Kaganski, Les Inrockuptibles, 11/06/2013)