Un ami chanteur, Sébastien Cochelin, s’est proposé spontanément de vous présenter une œuvre de Schubert : Die schöne Müllerin – La Belle Meunière (D. 795). Je suis donc heureux de lui laisser la plume aujourd’hui.
Franz Schubert (1797 -1828) est Viennois. Son père, bon maître d’école et violoncelliste amateur, voulait qu’il fût plus tard son assistant, et ce malgré ses dons musicaux exceptionnels. Il lui apprit le violon et lui fit étudier à l’âge de 10 ans, l’orgue, le piano, le chant et l’harmonie avec l’organiste de la paroisse. Celui-ci constata que son élève savait d’instinct tout ce qu’il se proposait de lui apprendre.
Franz Schubert 1827
Tout en devenant donc l’assistant de son père, il compose très tôt ses premiers chefs-d’œuvre, dont Gretchen am Spinnrade – Marguerite au rouet en 1814. Rien qu’en 1815, il écrit : 1 opéra, 4 opérettes, 2 messes, une vingtaine d’œuvres chorales, 2 symphonies, de nombreuses pièces pour pianos dont 2 sonates, ainsi que ses grands lieder. Au total 600 lieder seront composés, dont un tiers publiés de son vivant.
Avec Mozart, il fut le plus pur génie musical de l’histoire : il écrivait sans piano, d’un seul trait, généralement sans rature. C’est le sentiment poétique général qui régit son inspiration musicale, pure de toute compromission intellectuelle.
La Belle Meunière.
En 1823, Franz Schubert apprend qu’il est gravement atteint d’une maladie vénérienne et qu’il ne s’en sortira probablement pas. Ce bouleversement coïncide avec sa dernière période créatrice, la plus riche sans doute. Ces années se caractérisent aussi par un changement de registre littéraire : il choisit les poètes du pessimisme et de la résignation comme Albericus Seidl, Ludwig Rellstab ou Heinrich Heine. Le compositeur découvre ainsi un recueil Wilhelm Müller, La belle Meunière dans lequel Schubert s’identifiera lui-même. Ses amours déçues semblent revivre autour de l’histoire du pauvre meunier, la nature exaltée, la figure de l’eau, jusqu’à l’impuissance et le renoncement à affronter la vie devant l’échec, allant au-devant de la mort. 25 poèmes au total dont Schubert ne retiendra que 20, selon un plan très étudié.
Wilhelm Müller
Les trois premiers lieder introduisent un jeune meunier qui, poursuivant le murmure d’un ruisseau, arrive à un charmant moulin. Sur les lieux, le meunier tombe amoureux de la belle meunière qui y réside : rencontre et exaltation des sentiments qui le ravissent (4 à 11). Un morceau central « pause » (12) – qui n’est pas sans rappeler les moments musicaux de Schubert – introduit une césure, le meunier réfléchit, une légère angoisse vient le troubler. La belle dit aimer le vert, le meunier lui propose alors de lui offrir le ruban vert de son luth (13). En fait, un chasseur rôde, il vient pour séduire la belle meunière. Cette dernière aime le vert : car c’est la couleur de la chasse. Cette couleur devient alors une obsession pour le meunier en souffrance (14 à 17). Devant un tel désespoir, le jeune homme se jette à l’eau pour mourir (18 à 19). Le dernier lied est la berceuse du ruisseau (20) ; cette berceuse très connue est l’ultime message qu’envoie le ruisseau : il accueille le meunier pour une véritable paix « Tu reposeras près de moi, jusqu’à ce que la mer boive le petit ruisseau ». Il interpelle même la volage meunière « Va-t’en, Méchante fille ! Lance-moi au-dedans ton joli mouchoir que je couvre ses yeux avec ! », autrement dit : pour lui faire un linceul.
Schubert n’en restera pas là avec Müller et poursuivra avec Winterreise (Voyage d’hiver) que l’on peut comprendre comme un long épilogue à La belle Meunière. Effectivement, si La belle Meunière s’achève par une berceuse, dont les dernières strophes souhaitent bonne nuit « Gute Nacht », le premier lied du Voyage d’hiver, débute avec « Gute Nacht », dans une mélodie et un style différent : le voyageur, devant l’amour déçu, prend congé de sa belle pour un voyage vers la mort. Schubert par ces deux cycles touche une maîtrise du lied rarement égalé, faisant l’admiration de Schumann, Wolf et de tous les chanteurs de langue allemande jusqu’à nos jours. Fischer-Dieskau ira jusqu’à dire que s’il n’y avait que Schubert pour illustrer le lied, l’essentiel serait déjà là.
Deux extraits de la Belle Meunière par Fischer-Dieskau : Halt (3) et Des Baches Wiegenlied (20)