Quel est le point commun entre Eric Woerth (député-maire UMP de Chantilly et ancien ministre du budget), Jean-Noël Guérini (président PS du conseil général des Bouches-du-Rhône et sénateur), Christine Lagarde (présidente du FMI et ancienne ministre de l’économie), Jean-Pierre Kucheida (ex député-maire PS de Liévin), Jérôme Cahuzac (ancien député-Maire PS de Villeneuve-sur-Lot et ministre du budget) ou encore Nicolas Sarkozy ?
Ce sont des personnalités politiques de premier plan, au niveau national ou international, et toutes sont actuellement inquiétées par la Justice. Un cran en-dessous sur l’échelle médiatique, nous pouvons citer Sylvie Andrieux (députée PS des Bouches-du-Rhône) ou encore Philippe Kaltenbach (maire PS de Clamart), eux aussi dans le collimateur des juges. Ces personnes ont été mises en causes dans le courant de ces 6 derniers mois, sont sous statut de témoin assisté ou mises en examen dans des affaires qui défraient la chronique judiciaire, toutes pour des faits présumés de corruption : elles auraient utilisé à des fins privées le pouvoir public que leur a accordé directement ou indirectement le peuple.
Une coïncidence ?
On pourrait croire à une très improbable coïncidence ou bien à une cabale orchestrée par les juges contre la classe politique tant ces affaires retentissantes ont éclaté dans un laps de temps très court. Si l’on prend le temps de s’informer des éléments matériels constituant le faisceau de présomptions ayant conduit à la mise en cause de ces personnalités, la thèse de l’acharnement judiciaire s’évanouit rapidement. Quant au caractère exceptionnel de cette séquence judiciaire, il est à relativiser : La liste des hommes et femmes politiques français condamnées pour des faits de corruption s’allonge régulièrement. Vous trouverez de telles listes ici, là ou encore là. Transparency International fait état de 12 élus ou responsables politiques condamnées pour corruption pour la seule année 2012. La classe politique garde le rythme, donc.
Pas si nombreux, les corrompus
Un internaute a dénombré 156 condamnations d’élus entre 1997 et 2012, soit en moyenne 10 condamnations par an en 16 années. Si l’on prend en considération qu’en France siègent 44.000 députés, sénateurs, conseillers régionaux, généraux et maires, nos 10 indélicats annuels paraissent très, très peux nombreux (ou franchement pas discrets).
Devant ce rapport de 1 à 4.000, un esprit purement rationaliste serait tenté d’absoudre la classe politique et s’excuser pour le dénigrement général dont elle fait l’objet de la part des citoyens.
Des pointures, tout de même
Il est pourtant difficile de lutter contre le sentiment d’écœurement et ne pas céder aux sirènes de ceux qui instrumentalisent l’actualité judiciaire pour renforcer leurs positions politiques. Pourquoi le discours du « tous pourris » trouve-t-il un tel écho chez les citoyens ?
Une première raison tient peut-être à la qualité des personnalités politiques condamnées ou mises en causes, dont certaines occupent ou ont occupé d’éminentes fonctions. Parmi celles formellement condamnées, on compte par exemple :
- Harlem Désir, député européen depuis 1999, actuel premier secrétaire du PS (recel d’abus de biens sociaux).
- Alain Juppé, plusieurs fois ministre et Premier ministre, ancien Président du RPR et de l’UMP (abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, et prise illégale d’intérêt).
- Jean-Marc Ayrault (et oui…), actuel Premier ministre (Délit de favoritisme).
- Jacques Chirac, ancien Président de la République et plusieurs fois Premier ministre, fondateur du RPR et de l’UMP (détournement de fonds publics, abus de confiance, prise illégale d’intérêts et délit d’ingérence).
Quant à la catégorie de celle dont le sort judicaire n’est pas encore joué, notons qu’elle compte le successeur de Jacques Chirac à la Présidence de la République, deux des ministres du budget les plus en vue de ces 10 dernières années, l’actuelle Présidente du Fond Monétaire International.
Vous avez dit « sanction » ?
Mais le délitement inquiétant de la confiance du peuple en ses représentants et gouvernants trouve peut-être également son origine dans l’apparente impunité de ceux pris la main dans le sac.
Le citoyen peut déjà s’estimer heureux lorsque les poursuites ne s’éternisent pas au point de se heurter à l’échappatoire de la prescription ou se conclure sur une peine symbolique tant les faits reprochés sont anciens. Parmi les exemples les plus emblématiques de l’enlisement judiciaire, citons Jacques Chirac, condamné le 15 décembre 2011 pour des faits remontant aux années 90, ou encore Jean Tiberi, condamné le 12 mars 2013 pour une fraude électorale concernant les élections municipales de 1995 et législatives de 1997, révélée cette même année 1997. Le plus cocasse : Jean Tiberi s’est pourvu en cassation et pourrait se présenter aux municipales de 2014…
Deuxième motif de profonde frustration, les peines dont écopent les hommes et femmes politiques condamnées pour corruption paraissent pour le moins légères. Les amendes correspondent généralement aux montants d’argent public détournés, ni plus ni moins ; Les peines de prison sont quasi systématiquement prononcées avec sursis ; Les périodes d’inéligibilité excèdent rarement les cinq années. Comment expliquer que, en comparaison, le consommateur de cannabis encourt une peine maximale de dix ans ou d’une amende pouvant atteindre 750 000 euros (le consommateur pouvant être assimilé à un trafiquant…) Le peuple considère-t-il que la consommation de cannabis est plus nuisible à la société que le détournement d’argent public ? Nos représentants seraient inspirés de demander au peuple de trancher cette question.
Cerise sur le gâteau, la condamnation d’un élu pour corruption n’hypothèque en rien sa carrière politique. Les exemples sont légions d’élus condamnés retrouvant leur siège une fois leur période d’inéligibilité achevée : Patrick Balkany, Alain Juppé, Henri Emmanuelli, Harlem Désir, Jean-François Mancel, Jacques Mellick, etc, etc. Concernant ce dernier point, la responsabilité des électeurs et la question de leur éducation civique reste entière.
La moralisation, c’est pour quand ?
François Hollande s’était engagé avant son élection à engager de nombreuses mesures destinées à moraliser la vie : réforme du statut pénal du chef de l’état, durée d’inéligibilité portée à 10 ans, indépendance du parquet, suppression de la Cour de Justice de la République, notamment.
13 mois après son élection, nous sommes loin du compte.
Si les réformes promises par François Hollande permettraient une évolution des mœurs, elles semblent tout de même insuffisantes. Le système de sanctions mérite d’être révisé en profondeur. L’auteur de ces lignes se risque à proposer les pistes suivantes :
- Remboursement des sommes détournées, ou de l’équivalent de l’avantage économique perçu, par le bénéficiaire de ces sommes ou avantages, majorés de 100%.
- Amende pour la personne corrompue représentant 10% de son patrimoine déclaré au titre de l’ISF.
- Remboursement par la personne corrompue des appointements perçus entre les dates d’ouverture de la procédure judiciaire et de condamnation. Elle perçoit en retour une rémunération correspondant au Smic.
- La personne corrompue est déclarée inéligible pour une durée de 20 ans.
- Interdiction d’exercer dans le public à des fonctions donnant un pouvoir de décision pendant 20 ans.