Warren Buffett et l’interprétation des Etats financiers : La recherche des entreprises qui possèdent un avantage compétitif durable (De Marry Buffett et David Clark). Ce livre, édité chez Maxima Laurent Du Mesnil éditeur à Paris, est traduit de l’anglais (titre original : Warren Buffett and the Interpretation of Financial Statements: the Search for the Company with a Durable Competitive Advantage). L’une des auteurs, Marry Buffett, est l’ex-belle fille du fameux Warren Buffett. Il s’agit ni plus ni moins du cinquième livre des deux auteurs portant sur la méthode par laquelle W. Buffett investit. Certaines redondances entre cet ouvrage et les précédents sont ainsi probables. Ce livre de 200 pages propose des explications sur la façon dont W. Buffett analyse les comptes des sociétés et les critères qu’il applique pour décider à investir. Ceci pour un prix de 24,50 Euros ou 43,80 CHF (chez Payot), enrichissement du distributeur assuré si on l’achète en Suisse !
L’ouvrage compte 57 chapitres tous très courts, la majorité abordant un aspect spécifique des comptes de l’entreprise. Alors que l’analyse financière paraît fort difficile face à la masse d’informations et de ratios du monde financier, la multitude et concision des chapitres simplifie la compréhension et permet de découper ce festin comptable en portions relativement digestes. Les points clé de chaque chapitre ont été repris par l’auteur du blog BourseEnsemble ici : http://www.bourseensemble.com/warren-buffett-et-linterpretation-des-etats-financiers-partie-110/. De ce fait, je ne les répéterai pas inutilement, mais je pointerai quelques une des idées énoncées dans l’ouvrage, notamment en lien avec l’investissement dans les dividendes. Le livre début par une citation des propos de W. Buffett qui donne le ton de l’ouvrage :
Vous devez comprendre la comptabilité et ses nuances. C’est le langage des affaires, un langage certes imparfait, mais si vous ne faîtes pas l’effort d’apprendre la comptabilité (c’est-à-dire comme lire et interpréter les rapports financiers), alors vous ne devriez pas choisir vous-même des actions. (p. 17)
Comme l’indique le titre, l’idée clé est celle d’apprendre à identifier les entreprises détenant un avantage compétitif à long terme sur leurs concurrentes. Ces entreprises possèdent une caractéristique, tel un produit phare difficilement imitable, qui permet de générer des revenus croissants et ceci sur de nombreuses années. De plus, ces sociétés présentent toute une série d’autres attributs tels que de faibles dettes, un besoin restreint d’investir massivement pour maintenir leur rentabilité et bien d’autres particularités que vous découvrirez dans l’ouvrage. Au-delà de nos connaissances quotidiennes sur le succès de certains produits révélant des sociétés fortement bénéficiaires (on pense à Coca-Cola), comment déterminer si une société possède ce fameux avantage ? Prenons une autre citation de Buffett souvent reprise :
Je recherche des entreprises dont je pense que je peux prédire l’évolution pour les dix ou quinze prochaines années. Prenez Wrigley, le fabricant de chewing-gums. Eh bien, je ne pense pas qu’internet va modifier la façon dont les gens mâcheront leur chewing-gum. (p. 180)
Si chacun acquiescera, ce raisonnement ne devrait cependant pas constituer une raison suffisante pour investir ses économies dans Wrigley. En effet, cette société n’est qu’un fabricant de chewing-gums parmi d’autres, ainsi est-il essentiel de déterminer si elle possède un véritable avantage sur ses concurrentes. Au fur et à mesure des chapitres, les auteurs décrivent spécifiquement ce que W. Buffett recherche lors de l’analyse des comptes (soit de l’état financier) pour identifier cet avantage ; c’est ce qui fait l’intérêt de l’ouvrage. Notons que pour l’investisseur dans les dividendes, un avantage compétitif à long terme constitue en quelque sorte un signe que l’entreprise sera en mesure de continuer à verser des dividendes et de les augmenter dans le futur. Ce pourrait, à ce titre, être un complément au payout ratio. L’avantage compétitif durable est une qualité que les investisseurs dans la valeur ne sont ainsi pas les seuls à rechercher.
Les questions de l’achat et de la vente des actions des entreprises en question sont malheureusement abordées que de manière très brève par les auteurs. Nous pouvons en retenir que si ces entreprises semblent survalorisées par rapport aux sociétés sans avantage, elles constituent néanmoins les meilleures choix sur le long terme. L’achat est conseillé lors de marchés baissiers et/ou lorsque l’entreprise commet une bévue sans grande conséquence, mais provoquant une chute du cours. La vente est conseillée dans le cas où l’entreprise perd son avantage ou lorsque le ratio cours/bénéfice (P/E) atteint 40.
Warren Buffett et les dividendes
Si l’ouvrage ne porte pas spécifiquement sur les dividendes, certains passages en traitent. Bien que plusieurs des sociétés constituant son portefeuille soient reconnues pour verser des dividendes de manière régulière (p. ex. American Express, Coca-Cola, P&G ou Wells Fargo), W. Buffett n’est pas pour autant favorable à leur versement.
Lorsqu’il a repris la société Berkshire Hathaway en 1962, à l’époque une médiocre entreprise de textile, Buffett a stoppé le versement d’un dividende afin d’accumuler des liquidités ; ces liquidités lui ont permis d’investir dans d’autres sociétés (voire même de les racheter) et à terme de constituer un holding. Les sociétés qu’il choisit possédant un avantage compétitif, il augmente les bénéfices du holding et ainsi ses liquidités pour de nouvelles acquisitions. Et ainsi de suite. Il s’agit du pouvoir des intérêts composés (compounding) que les investisseurs dans les dividendes appliquent, quant à eux, en réinvestissant les dividendes perçus dans d’autres actions qui leur verseront plus tard des dividendes supplémentaires. Aujourd’hui encore, malgré des bénéfices astronomiques, Berkshire Hathaway ne verse aucun dividende, ce qui ne manque pas de faire débat parmi les actionnaires.
L’ouvrage nous apprend que Buffett préfèrerait au versement d’un dividende les rachats d’actions, qui font mécaniquement augmenter le ratio gain par action (une réduction du nombre d’actions en circulation réduit le dénominateur du ratio) et à terme le cours de l’action. Il rechercherait des sociétés qui rachètent de manière régulière leurs propres actions, sachant que celles qui peuvent le faire disposent de liquidités qu’elles n’ont pas eu besoin de dépenser pour rembourser une dette ou développer de nouveaux produits. Un autre argument de Buffett porte sur la taxation des dividendes : ceux-ci sont taxés lors de leur versement à l’actionnaire alors que le rachat d’action n’est pas soumis à l’impôt et serait de ce fait plus profitable à l’actionnaire. Toutefois, si l’actionnaire veut vendre ses titres afin de toucher les bénéfices, la taxation intervient à ce moment-là pour les contribuables domiciliés dans la plupart des pays (la Suisse fait exception). La stratégie de W. Buffett consiste cependant à conserver ses actions sur un très long terme, tant que l’avantage compétitif perdure (Buy & Hold).
Les actions préférentielles ─ qui sont des parts de capital donnant droit à dividende fixe ou variable versé avant celui des actionnaires ordinaires, mais pas au droit de vote ─ sont aussi brièvement discutées dans l’ouvrage. Selon Buffett, les sociétés disposant d’un avantage compétitif n’en émettraient généralement pas, ce qui serait préférable car ce type d’actions constitue une forme de dette. En effet, des dividendes devront être versés mais ceux-ci ne sont pas déductibles du résultat de l’entreprise. Ainsi les actions préférentielles constituent une manière très coûteuse de lever des capitaux.
Pour conclure
Soulignons aussi que si l’ouvrage propose un très bon glossaire en français (avec mention du terme équivalent en anglais), la qualité rédactionnelle est médiocre. En effet, le style est assez « brutal » et quelques explications supplémentaires auraient à mon avis été bénéfiques à la compréhension. De plus, les auteurs tendent à se répéter et utilisent la comparaison entre quelques entreprises (celles qui ont un avantage compétitif durable telles que Coca-Cola ou Wrigley versus celles qui n’en ont pas comme General Motors) à un nombre incalculable de reprises. Un peu plus de diversité et de généralisation aurait été le bienvenue pour ne pas donner le sentiment que l’ouvrage constituait une publicité pour investir dans Coca-Cola et Wrigley.
L’ouvrage nous apprend que le succès de W. Buffett n’est pas dû à des intuitions divines d’un oracle, mais bien à une analyse systématique des états financiers visant à déterminer le possible avantage compétitif durable d’une entreprise. Ceci demande des efforts ; pour citer à nouveau celui que l’on surnomme l’oracle d’Omaha :
Certains hommes lisent Playboy. Moi, je lis des rapports annuels. (p. 39)
L’ouvrage constitue à mon avis un bon manuel pour l’investisseur qui cherche comment identifier des sociétés prometteuses sur le long terme. Combiner l’approche de l’investissement dans les dividendes et certains des principes décrits dans cet ouvrage (à l’exception de la préférence pour le rachat d’action plutôt que le versement d’un dividende ; certaines sociétés font les deux !) pourrait s’avérer une stratégie profitable.