Lors de sa création, le gouvernement n’a pas prévu de ministère de la Météocologie Nationale et c’est bien dommage. Nul désormais ne sait plus donner à l’Administration les ordres adéquats. En conséquence, le temps s’est depuis régulièrement dégradé. Au point que, ce matin, il pleut encore sur mon courtil. Décidément, seules les petites marchandes des quatre saisons sont désormais en mesure de tirer leur épingle du jeu. Les chèvres naines en leur enclos accourent malgré tout en trois cabrioles dès qu’elles m’aperçoivent. Je leur octroie leur friandise de pain dur. Elles me remercient d’un bêlement plaintif avant de se réfugier dans leur bergerie par crainte d’une nouvelle ondée. Le faisan aperçu l’autre jour se présente à son tour et me laisse l’approcherà quelques pas. Je lui jette une poignée de grain mais mon geste trop brusque le fait fuir. Dans leur volière, les pigeons s’éparpillent en tous sens dans un grand bruissement d’ailes lorsque je pénètre dans leur tanière. Ils se précipitent néanmoins lorsqu’ils comprennent que je verse leur pitance dans la mangeoire. Le chefrepousse un jeune impertinent et commence son festin. Sa femelle le rejoint, suivie bientôt des autres adultes. Les deux pigeonneaux nés au début du printemps tournent en rond à proximité, attendant leur tour.En sortant, je lance une dernière poignée à l’extérieur. Les moineaux se presseront avant de s’enfuir dans les buissons avoisinants lorsque les merles se poseront en grand ramage pour prendre part aux agapes. Dans le châtaignier qui étend ses ramures au-dessus, les tourterelles échangent des commentaires incompréhensibles. Deux écureuils roux se poursuivent dans les bouleaux, silhouettes furtives qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues. Une mère lapine et trois ou quatre lapereaux se tapissent un court instant derrière une potée de fuchsias en fleur et s’éclipsent comme un courant d’air dans l’ombre des sapins. Tout un monde, un univers, vit et s’ébat. Un monde qui s’est familiarisé avec ma présence. Lequel a apprivoisé l’autre ? On parle d’une pianiste en quête de paix qui se refugie au milieu de ses loups entre deux concerts. On s’émeut à cette idée saugrenue. Demeurer au milieu des hommes lui suffirait pour éprouver de délicieux frissons. Elle prend cependant moins de risques avec les quadrupèdes. Le loup est en effet réputé pour avoir mauvais goût. On rapporte qu’il aurait mangé jadis une bergère famélique égarée à l’orée d’une forêt profonde et que sa faim n’étant pas rassasiée, il aurait poursuivi avec un sous-préfet et peut-être même un fonctionnaire. Notre pianiste est bien trop belle pour attirer les appétits dépravés du canidé. D’autant qu’on n’a jamais entendu dire qu’il dévorerait aussi les pianos. Même les Yamaha d’occasion les plus mal accordés. En tout état de cause, on voit par là que le loup n’est pas un modèle à imiter même lorsqu’il est apprivoisé. Pour ce qui est des hommes, il était bien difficile d’ignorer leurs ébats carnassiers tant nos écrans de télévision se complaisaient à nous les exposer. Mais on annonce une accalmie à ce sujet qui serait due en grande partie au départ des ménagères laborieuses pour les campings paradisiaques du littoral. Pour aujourd’hui, en attendant que la normalitude retrouve son sens commun, je vais me plonger dans les préludes et fugues de Jean-Sébastien Bach avec, bien sûr, Hélène Grimaud au piano et si , comme l'augurent les cassandres, les giboulées persistent, dans les "Années de Pèlerinage" de Franz Liszt avec Bertrand Chamayou.
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