The Iceman est bien l’un de ces films que l’on n’attend pas et qui débarque sans prévenir. Le projet n’a pas circulé plus que de raison, le marketing fut relativement discret et ce n’est, finalement, qu’à la découverte de la bande-annonce projetée dans une salle de cinéma (qui serait allé la voir sur le Net ?) que la curiosité put se développer.
Michael Shannon est une bête, au sens familier du terme. Un tueur, une énormité, un daron. Oui, il terrasse tout sur son passage tant il propose des prestations pas loin d’être toujours exceptionnelles au gré des projets, du moins depuis qu’il se retrouve en tête d’affiche dès, disons, 2006 et un Bug incendiaire. Même dans des objets plus mauvais (qui se souvient encore des Runaways ?), il arrive à sortir son épingle du lot. Ce n’est donc pas avec cet Iceman qui pourrait, pourtant, apparaître mineur dans la liste des films – Bug, Shotgun Stories, Take Shelter, pour ne citer qu’eux, sont hautement plus ambitieux – que le comédien va changer ses habitudes qualitatives. A ce titre, la direction d’acteur est un concept qui lui est, tout bonnement, étranger. A quoi bon, d’ailleurs, s’enquiquiner avec un tel concept formel, une telle approche du cinéma ? Avec lui, tout est bien plus simple car il EST la direction d’acteur. Littéralement. Au delà de sa dimension physique et de son charisme indéniable, l’acteur connait son métier. Le voir mauvais ne sera, sans soute, jamais une possibilité de spectateur. Pourtant, son personnage, comme à l’accoutumée – l’acteur refusant généralement la facilité de rôles lambda – n’est pas loin d’être, quand même, bien casse-gueule. Avec cette fresque se déroulant sur presque trois décennies, la tentation d’en faire trop pour mieux coller aux différentes époques n’est jamais bien loin. Shannon refuse cette attraction, dénigre le cabotinage et préfère l’habitât. La prestation n’est ni exceptionnelle, ni décevante, ni même originale. Elle est juste normale tant on se rend compte que le comédien habite son personnage. Cette alchimie entre un écriture de protagoniste et une personnification par un acteur en deviendrait presque déroutante tant une perfection est palpable. Mais Michael Shannon deviendrait-il seulement une machine à jouer, un corps uniquement interprétatif dont l’émotion se consumerait sous le poids de la performance ? La réponse est claire : non, pour la simple et bonne raison qu’il s’aventure toujours sur des projets où l’humain est primordial. Néanmoins, pour ceux qui souhaiterait voir des failles dans le jeu pour un maximum d’humanité, avoir devant ses yeux un acteur aussi talentueux ne doit pas être repoussoir. Cela doit être célébré. La qualité ne se fait jamais attendre.
Pourtant, The Iceman n’arrive pas à réellement et profondément passionner. La tare principale du film ne vient donc pas de son comédien malgré des sentiers dangereux qu’il aurait pu emprunter. Cependant, et cela est bien dommageable, le réalisateur, dont le film est pourtant son bébé puisqu’il co-signe également le scénario, tombe dans le piège évité par son acteur principal. Avec son étalage presque exhaustif de costumes, maquillages et autres perruques en tout genre, le métrage fait un peu figure de concours au sein du gang des postiches. La science du détail dans la représentation contextuelle est pourtant présente et reste consciencieuse, cela ne fait aucun doute, mais son utilité pose problème. En effet, ce déballage prend trop d’importance aux yeux d’un spectateur se retrouvant aveuglé et vient occulter le plus important. Le métrage n’arrive pas, en fait, à cerner correctement la psychologie d’un personnage pourtant passionnant. Ce tueur qui plonge dans le business presque par hasard car c’est à la suite d’un « licenciement » qu’il doit retrouver un autre job, est d’une froideur absolue. Le titre l’indique déjà, son comportement au cours des contrats ne fera que l’attester davantage. Michael Shannon bute des gens comme d’autres vont travailler dans un bureau, c’est aussi simple que cela. Ce qui aurait donné de la constance au métrage, c’est de voir son quotidien familial. La dichotomie aurait été d’une puissance rare et les états d’âme du protagoniste principal, s’il en a, auraient été magnifiquement retranscris. Hélas, ces instants de tous les jours, malgré un potentiel incroyable (les enfants et leur éducation, le rapport à la banlieue américaine, le mensonge au sein de la structure familiale) ne sont pas assez nombreux, le métrage préférant s’attarder sur une activité professionnelle qui reste toujours identique. Ils sont, cependant, suffisamment présents pour apprécier le retour en force d’une Winona Ryder toujours aussi rayonnante et convaincante en haut de l’affiche. Cela n’est déjà pas si mal.
Le film se présente, donc, plus comme une succession de meurtres que comme une plongée dans une psyché troublée et troublante. Les tentatives pour aller dans cette dernière direction sont soit extrêmement maladroites (la rencontre avec le frère qui arrive comme un cheveu sur la soupe malgré Setphen Dorff) soit tout bonnement ridicules (le flash-back made in Captain Obvious sur le trauma paternel). Dans tous les cas, elles ne servent strictement à rien tant le spectateur, sans être un devin, s’est déjà rendu compte depuis longtemps les origines d’un tel comportement. Un sentiment de gratuité se ferait presque remarquer. Elles n’apportent aucune pierre suffisamment solide à l’édifice, que ce soit en terme de cause ou de conséquence du parcours. Ce dernier, on s’en doute bien également, est un « rise and fall » comme le cinéma américain nous en a balancé des centaines et des milliers. La mise en scène, à ce titre, est plutôt trompeuse. Le début du métrage est pourtant tendu. Avec cette violence contenue et ce rapport entre ombre et lumière dans les teintes de la photographie, le spectateur se dit qu’il va se placer devant le must du polar estampillé 70′s. Hélas, le bât blesse rapidement. Les erreurs sus-citées prennent rapidement le pas et, surtout, une légère impression de malaise vient contaminer l’auditoire. Le cinéaste nous propose, au départ, un objet qui se voudrait ambitieux. La suite ne sera pas du même acabit. Dès lors, se serait-il foutu de notre gueule ? La réponse ne doit, bien entendu, pas être vindicative mais il reste ce petit quelque chose qui rappelle que l’on s’est, peut-être fait avoir. Une tromperie sur la marchandise en somme. La réussite de l’introduction paraît n’être réalisée que pour mieux endormir le spectateur sur l’autel d’une ambition qui ne sera jamais atteinte. Le réalisateur le sait, il n’est pas au niveau des maîtres du genre. Il se fait alors prestidigitateur. Une arme est appelée à la rescousse, elle se nomme la poudre aux yeux. Un bel emballage pour finalement pas grand chose. Le métrage est alors cassé. Où se trouve alors la force de The Iceman ?
La réponse est d’abord évidente : dans la prestation de son interprète principal. Mais elle n’est pas l’unique raison. The Iceman, malgré toute l’étendue de ses défauts, est un métrage qui se suit sans déplaisir. Si la mise en scène que l’on aurait pu croire étincelante baisse dans la qualité, elle n’en demeure pas moins relativement efficace. Si l’on ne parle pas de génie, au moins, on ne peut pas dire qu’elle souffre de grossières erreurs. Le rythme est, de plus, correctement maitrisé grâce à quelques arrivées de personnages savoureux. Il faut penser, notamment, à cette espèce de clown tueur venu d’ailleurs, Mr Softee (génial Chris Evans) ou à Marty (James Franco qui aime jouer les pervers) qui permettent de mettre un peu de piquant au récit. Les interactions avec notre tueur froid font partie de ce qu’il y a de mieux dans le film. La première permet un côté légèrement buddy movie, toute proportion gardée, et le second nous en fait apprendre un poil plus sur notre héros de tueur. On ne peut, hélas, pas en dire du reste de la galerie des autres protagonistes. Si, comme il a été dit plus haut, il faut passer sur la famille, on pourrait néanmoins retenir l’éventail mafioso. Hélas, mise à part un David Schwimmer qui fait péter la perruque et la moustache ou un Robert Davi qui apparaît trente secondes et qui fait toujours à voir, personne ne sort réellement du lot. On en aurait presque marre de voir Ray Liotta cantonné dans le même rôle stéréotypé de bourrin / parrain / corrompu – au choix. Juste après son passage tout récent dans The Place Beyond The Pines de Derek Cianfrance ou Cogan : Killing Them Softly d’Andrew Dominik, le revoilà en train de livrer une performance quasi-similaire. Bien entendu, le voir à l’écran ne doit pas être boudé tant il en impose toujours, mais à quand un réalisateur capable de transcender, ne serait-ce qu’un peu, la condition de ce comédien ? A croire que Les Affranchis, pourtant chef d’oeuvre du genre et qui fait référence chez Liotta, lui a fait plus de mal que de bien. Finalement, au-delà de la problématique des la multitude des personnages qui est un concentré des problèmes et des atouts du film, à chaque élément positif proposé par The Iceman, il faut que des données négatives contrebalancent le plaisir. Cela devient, à la longue, assez pénible.
The Iceman n’est pas prêt de rentrer dans l’excellence du polar. Néanmoins, pour peu que le spectateur n’ait envie ni de faire la fine bouche ni de trop réfléchir et qu’il souhaite passer un moment somme doute agréable, le métrage se pose comme tel.