L’ambiance est fébrile mais joyeuse : Toulouse-Blagnac vit ŕ nouveau un grand moment, la préparation du premier vol d’un nouvel avion commercial, l’Airbus A350XWB. Il doit décoller ce vendredi vers 10 heures, sauf difficulté de derničre heure, et rentrer au bercail 4 heures plus tard.
Le constructeur avait curieusement privé les médias de Ťroll-outť mais, comme pour l’A380 en 2005, a mis en place une forte logistique pour tirer une publicité maximale de cet événement. Peut-ętre les historiens de l’avenir estimeront-ils que cet A350 est finalement plus important pour l’industrie aéronautique du Vieux Contient que le géant ŕ 525 places qui peine ŕ trouver sa voie. En témoignent les 613 commandes obtenues par le nouveau-né avant męme qu’il ne décolle pour la premičre fois.
Cet ŤExtra Wide Bodyť a déjŕ une longue histoire : faux départ avec un A330 modernisé, jugé insuffisant, retour ŕ la case départ, priorité aux matériaux composites, choix audacieux d’une motorisation Rolls-Royce, Ťfamilleť annoncée d’entrée, y compris une version longue qui gęne considérablement le Boeing 777. Affichant une capacité de 270 ŕ 350 places selon les modčles, l’A350 XWB se place, face au 787, au cœur des souhaits prioritaires des compagnies aériennes. De ce fait, sauf mauvaise surprise, il devrait mener une carričre d’au moins 30 ans, sans doute en accumulant au fil des années les petites améliorations qui caractérisent les programmes réussis.
Qui plus est, les circonstances sont favorables ŕ Airbus. Le faux départ initial lui avait coűté un dangereux retard par rapport ŕ son concurrent américain. Mais ce dernier a été victime d’un dérapage non contrôlé et a été décalé de 3 ans. Puis a été victime des désormais fameuses batteries lithium-ion. Aussi l’A350 le suit-il ŕ présent ŕ un an et demi seulement de distance, autant dire rien quand on évoque des avions qui vont vivre pendant plusieurs décennies.
Airbus, par ailleurs, a besoin d’une nouvelle réussite éclatante pour faire oublier les gros soucis de l’A380, tout d’abord englué dans des problčmes franco-allemands d’industrialisation, puis handicapé par une faiblesse prématurée de sa voilure. Qui plus est, le carnet de commandes stagne. La famille A320 mise ŕ part (elle est littéralement hors concours, ŕ 42 exemplaires par mois), l’avenir repose largement sur ce XWB, élégant, dont la silhouette est différente de celle des avions qui l’ont précédé.
Son apparition ravit tout le monde. Des enthousiastes avertis scrutent les pistes de Toulouse-Blagnac depuis le début du mois, téléobjectifs constamment pręts ŕ l’action, et les essais de roulement, puis d’accélération-arręt, ont été généreusement immortalisés sur la pellicule. Pour mettre le premier vol en valeur, Airbus s’est inspiré de la maničre de faire utilisée il y a 8 ans pour l’A380, limite barnum type Euro-RSCG (Noël Forgeard était alors le patron de l’avionneur), ce qui est de bonne guerre. Il y aura donc beaucoup de caméras, de belles images, des déclarations soigneusement mises en scčne.
Le choix de l’équipage du premier vol confirme par ailleurs que les leçons ont été tirées de petites erreurs passées. L’A380 avait décollé aux mains de deux pilotes français de grande expérience, Claude Lelaie et Jacques Rosay. Un choix logique, certes, mais trop peu européen aux yeux de certains. Cette fois-ci, c’est l’Anglais Peter Chandler qui sera en place gauche (il est chef pilote d’essais depuis 2011) avec, ŕ sa droite, Guy Magrin, pilote de marque de l’A350. Sera évidemment ŕ bord Fernando Alonso, qui porte ŕ bout de bras la conscience technique des essais en vol d’Airbus, ses collčgues étant Pascal Verneau, Patrick du Ché et Emanuele Costanzo. Les voici assurés d’une place de choix dans la saga Airbus, encore qu’Alonso aligne d’ores et déjŕ de nombreux titre de gloire, y compris sur A400M.
Il est probable que l’A350 vienne jusqu’au Bourget dans une huitaine de jours, pour un rapide survol, ce qui ne manquerait pas de panache. Le succčs de cette premičre apparition est assuré d’avance : ce serait, disent les anglophones, Ťto steal the showť.
Pierre Sparaco-AeroMorning
(photo Daniel Faget)