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Notre entretien avec Arthur Peschaud cofondateur de Pan European Recording

Publié le 13 juin 2013 par Chroniquemusicale @chronikmusicale

Notre entretien avec Arthur Peschaud cofondateur de Pan European RecordingAu lendemain de la célébration des 5 ans du label Pan European Recording (Koudlam, Kill For Total Peace… déjà présentés dans nos colonnes) c’est avec grand intérêt que nous avons évoqué avec Arthur Peschaud cofondateur du label, la création de la structure, le choix des artistes, son financement, internet et l’actualité 2013.

Vous venez de fêter les cinq ans du label, alors comment et pourquoi on crée un label en 2008 ?

Arthur Peschaud : Effectivement c’est une période où il y a eu très peu de labels qui se sont créés. Nos parents en tant que label ont quelques années de plus, ils viennent de la french touch, de cette période qui était faste.

En fait, j’ai l’impression que je n’ai pas eu le choix que de monter ce label. Parce que j’ai travaillé en maison de disques, chez Record Makers, un label indé. Je me suis retrouvé là parce que j’ai toujours joué dans des groupes, au collège, au lycée. Cela s’est imposé à moi, c’était une évidence. Je jouais dans l’un des groupes que j’avais un peu poussé chez Record Makers qui s’appelle Turzi, et à force de rencontrer des groupes qui signaient pas en maison de disque dans une période qui était au début de la période de la crise. Il y avait plein de groupes qui étaient à la marge, que j’ai rencontrés. C’est ce qui m’a poussé à monter un label à un moment où personne n’en montait.

Il n’y avait donc pas de calcul ?

Non, cela s’est imposé à moi. J’ai croisé tellement d’artistes que j’aurai voulu qui soient dans le label pour lequel je travaillais, de gens que j’ai rencontrés en jouant avec Turzi que finalement ça s’est imposé, comme un sacerdoce. Bizarrement.

Ce n’était pas du tout calculé, la période n’était pas du tout faste. Maintenant il y a des labels qui se montent, parce qu’il y a un nouveau système de monétisation de la musique qui s’est mis en place.

Ca nous porte vachement d’avoir été créé pendant cette période trouble, que par passion. C’est un label de passion.

Tu connaissais donc les artistes avant de créer Pan European ?

Sur la route. C’est presque une idéologique, tout s’est fait de façon intuitive. Ce sont des rencontres. Aqua Nebula Oscillator la première fois que je les ai vus, je travaillais chez Records Makers, ils avaient un rendez-vous chez un label concurrent que je ne citerais pas. Ils étaient là pour signer. J’avais entendu parlé d’eux, ils étaient un peu mythiques, j’entendais des trucs de malades sur eux, qu’ils s’habillaient en peaux de bêtes, je ne savais qui ils étaient. Un jour je vois des freaks débarquer dans la rue en train d’hurler sur la maison de disque avec laquelle ils devaient signer suite à une incompréhension de dernière minute. Ce sont des tarés, des gens qui vivent de leur profession de foi musicale à fond. Ils m’ont marqué.

Il y a plusieurs artistes comme ça qui m’ont marqué et m’ont obligé à monter ce label.

Pour Koudlam, je jouais avec Turzi lors d’un gros festival organisé à Créteil, dans lequel il y avait Koudlam avec Cyprien Gaillard. A l’époque Cyprien n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, c’était un pote. On se connaissait bien on passait notre soirée ensemble et il m’a dit « Tu vas voir Koudlam c’est bien ». Il y avait une soirée de préparation à ce concert de Créteil qui était un truc énorme à Maubeuge, dans une énorme salle où ils nous avaient emmenés en bus, comme dans une colonie de vacances. Koudlam jouait avec rien, il chantait. Mais j’ai pris une claque de malade mental ! Réellement je suis allé le voir et j’ai dit : « je pense que je vais monter un label dans un an, appelle moi dans un an ». Il m’a appelé un an après, j’avais monté le label. On a sorti Koudlam comme ça.

Toute l’histoire du label n’est basée que sur des rencontres, du patos, pas sur de la stratégie, du marketing. Je pense qu’on atteint le bout du tunnel de ça. C’est la fin d’une période d’éducation au succès. Ce n’est pas les émissions de télé-réalité qui font de la musique. J’adore la Nouvelle Star, je regarde à chaque fois. C’est facile de trouver quelqu’un qui chante bien, encore faut-il lui donner de bons morceaux. Le vrai problème, ce n’est pas de trouver quelqu’un qui chante bien. Ce qu’il faut c’est incarner la musique que tu chantes, et chanter des bons morceaux. C’est plein de facteurs qui doivent se réunir, en un point pour faire des choses vraiment magnifiques. C’est ce qui m’intéresse, ce point de convergence, d’artistes qui ne trouvent pas forcément des voies de sortie. Des gens comme Aqua Nebula et très différemment Koudlam c’est un peu ça. Le label est un point de rencontre.

Le point important du label c’est donc des artistes qui vivent leur musique, qui incarnent leur musique…

On ne fabrique pas des artistes.

L’aire du marketing disait « on prend quelqu’un qui chante bien, on lui trouve un bon morceau, on lui fabrique une personnalité, et on crée la convergence ». Mais je pense que non, la vraie réussite, et ce pourquoi on aime les artistes qui ont marqué l’histoire, c’est parce que ils créent leur propre convergence. Ils avaient tout en eux. Moi ce que je recherche ce sont des artistes qui ont tout en eux. Je ne cherche pas à créer des gens, à créer de l’image. D’ailleurs dès que j’ai du le faire, ça à moins bien marché que quand je prends des artistes qui se connaissent eux-mêmes.

Plus que de la personnalité, ils doivent savoir ce qu’ils sont comme artistes. Après moi je les aide, un label c’est un vecteur entre les gens qui savent créer quelque chose, un disque et une sortie. C’est ça le travail d’un label aujourd’hui, plus que de fabriquer des artistes. C’est le marketing qui laissait dire ça. Ca a marché, pour vendre des disques, pas forcément pour créer des icônes.

Des artistes incarnés, tu en trouves régulièrement ?

De temps en temps. Ca existe plus que ce qu’on croit. Il y a un système qui est en train de changer. Après je ne suis pas que dans la recherche de l’artiste incarné. Je suis à la recherche de l’artiste incarné qui saura faire un bon disque. Ce qu’il faut c’est la convergence : que ce soit incarné, que ce soit porté par une personnalité qui soit convaincue, avec une présence. Je ne vais pas relooker ! Le relooking c’est la mort du look, c’est le cul-de-sac. Ce que j’aime c’est la liberté.

Il y a plein de facteurs, et la musique n’en est qu’un. Il y a parfois des gens que je pousse à faire de la musique parce que leur personnalité les dépasse. Je n’ai jamais signé une démo qu’on m’a envoyée. Ni par la poste, ni par mail, ce n’est jamais arrivé.

Comment un label arrive à vivre depuis cinq ans ?

Par la synchro. Qu’est-ce qui fait vivre la musique ? C’est là où il y a de l’argent, de la publicité, de la musique de film. C’est ça qui nous fait vivre. Mais c’est parce qu’on a une personnalité plus abrupte et plus assumée qu’on fait appel à nous, que les gens ont besoin de patos, de personnalités. Ce n’est pas les ventes de disques. Le disque permet d’accéder à notre secteur de rémunération. Le disque n’est pas rémunérateur. C’est la pub, je n’ai pas honte de le dire. Les labels indépendants sont souvent contre ça…

Je ne regarde pas la télé, je n’ai pas remarqué vos musiques dans les pubs…

En plus c’est ça, personne ne le voit, c’est indolore. C’est juste une question d’exister.

Le travail d’un label, c’est de faire exister ses musiciens, leur donner la capacité de vivre de leur musique. Et vivre de leur musique c’est faire de la musique de pub, faire de la musique de film. Mon but, en tant que société qui signe des artistes, c’est que mes artistes marchent. Je ne suis pas prêt à toutes les compromissions, mais on le fait de façon tellement humaine et intuitive, instinctive, que je ne vois pas où est le mal.

On ne roule pas sur l’or, on fait en sorte que des artistes existent, et la publicité est un ressort. Quand la publicité n’existera plus on trouvera d’autres ressorts, juste pour faire exister des artistes. On fait avec les moyens qui nous sont permis d’avoir.

Je souhaite que tous les gens qui travaillent avec moi soient contents de travailler avec moi. La réussite dans le monde de l’entreprise se fait souvent en écrasant les gens. Je constate que dans le domaine artistique c’est hyper important que tous les partenaires avec qui on bosse à tous niveaux, soient valorisés de travailler avec nous. On est sensé être un centre un peu artistique, je trouve ça du coup vachement important de transpirer quelque chose de positif à tous les gens qui bossent pour nous.

Je n’ai jamais démarché personne, tout est venu à moi juste pour la pureté de la démarche. Je n’ai pas l’impression d’être impur en faisant de la musique de pub, de la musique de film. C’est normal, cela permet à mes artistes de mieux vivre, d’être heureux de faire ce qu’ils font, d’être épanouis.

Le monde de l’indépendant contre les majors c’est fini en fait, vraiment c’est fini. J’ai signé en major pour la distribution. Je pense que c’est un modèle qui va se reproduire à l’avenir. Les majors ne sont pas là pour faire du développement de terrain. Les majors sont de trop grosses structures. Si une major faisait le boulot que je fais, ça leur coûterait dix fois le prix. Alors que nous avoir en distrib, bénéficier de ce qu’on sait faire et nous bénéficier de leur vitrine c’est saint en fait. En major, je n’ai à faire qu’avec des gens qui sont passionnés de musique. La génération des mecs de HEC qu’ont été employés en major pour jouer sur le marketing, finalement ils ont fini par partir. C’est la crise, il n’y a plus grand monde, il y a un zéro en moins sur le chiffre d’affaire de ces grandes sociétés, avec les plans de licenciements qui vont avec. Je pense qu’on commence à voir le début d’une solution. Où chacun doit être à sa place, où un label indé doit avoir sa place comme travail de terrain, mais il doit aussi avoir les bons relais pour exister. J’ai l’impression, je ne suis pas dans les confidences, mais c’est ça l’avenir, c’est confronter les deux mondes de façon positive.

Internet redistribue les cartes entre les acteurs ?

Tout est redistribué. Internet induit que ce soit redistribué ailleurs. Ce n’est pas que Internet, mais c’est Internet qui induit ça. Je trouve que le monde de la musique s’est plutôt assaini depuis dix ans. Si un pingouin en image de synthèse vend moins, c’est plutôt sain.

Vraiment j’ai à faire à des passionnés de musique en major. Ca paraît bizarre. Le cliché de la major, le pingouin en image de synthèse, tout ça je ne connais pas, je ne sais pas qui c’est. Je ne connais pas toutes les majors, on est dans le pôle distribution de Sony, peut-être qu’on a de la chance, mais c’est vraiment étonnant.

Vous avez des relations avec Deezer, iTunes… ?

Via Sony, ce sont eux qui gèrent notre distribution. C’est ça qui est génial. Dès qu’un disque est fini, j’ai les relais pour le distribuer.

J’écoute Deezer, évidemment, je suis là dedans, mais ce n’est pas moi qui m’occupe d’être un relais direct avec ces plateformes. Je voix par exemple pour Poni Hoax, elles sont super réceptives, Deezer, iTunes… On y est présent, je crois qu’on a pas le choix, il faut aller là où la musique est, que les gens écoutent ce qu’on a à proposer. Qu’ils aiment qu’ils n’aiment pas après on s’en fiche. Mais il faut que la création soit en contact le plus rapproché avec l’auditoire. Et je pense que c’est le cas. C’est ça qui assainit le marché.

J’ai adoré l’époque des blogs, c’est fini, mais j’ai adoré les quatre-cinq ans de blogs hyper érudits qui mettaient en ligne tous les disques les plus rares. Je suis un collectionneur de vinyles, j’ai vécu un âge d’or du blog. J’ai cherché des milliards de trucs, c’était passionnant. J’ai adoré. Les gens qui ont aimé ces blogs là, ce sont des gens qui vont aimer ce que je fais comme musique à travers mon label. Je crois que l’Internet gratuit a permis une tranche d’érudition forte et que les gens vont le porter pour longtemps. Après, je ne sais pas ce que cela deviendra. Là c’est un peu lissé, tous les blogs de téléchargements gratuits sont fermés. Ce n’est pas que Méga-Upload, mais c’est une politique générale. Il y a eu un âge d’or du téléchargement gratuit. En tant que label indépendant, je le regrette presque. C’est absurde d’ailleurs. Mais c’était des morceaux tellement rares qui n’existent pas sur les plateformes. Je veux bien aller sur iTunes acheter la nouveauté, mais on n’y trouve pas le disque qui, en tant que collectionneur de vinyles, je pouvais trouver sur un blog, qui faisait des compilations, qui récupérait tous les vieux vinyles africains. Je suis passionné de musique africaine, je suis passionné de musique c’est pour cela que ce label existe, ce n’est pas par stratégie, je ne suis que dans l’amour. Et finalement c’est assez porteur aujourd’hui tellement la musique est galvaudée, et ne vaut rien. Je pense que c’est hyper porteur, d’être juste serein et sain par rapport à ce que tu fais. C’est un peu le propos du label.

Votre actualité pour 2013 ?

C’est énorme, il y a trop de trucs. En fait, on a mis cinq ans à monter un catalogue, maintenant le label existe vraiment, il n’est pas institutionnalisé mais il existe. En 2013 il y a le nouveau Poni Hoax (ndlr le 25 mars 2013), il y aura plein de choses sur Koudlam dans l’année, je pense l’album, je ne peux pas l’annoncer. Il y aura forcément un nouveau Aqua Nebula… Tous les artistes du label vont sortir un album.

Je pense qu’il faut revenir à un rythme de sortie plus rapide. Les ricains, il y a longtemps qui l’ont compris. Rihanna sort un album par an, c’est un single tous les mois et demi.

Il y a aussi le format EP qui fonctionne bien ?

Moi, je tiens au format album. Le problème d’Internet c’est que ça peut détruire le format album. Je tiens à ce que les pages se tournent, qu’il y ait des volumes dans la vie d’un groupe, que ce ne soit pas juste une fuite de single en single. Je trouve qu’un album impose un format. C’est mon coté vieillot. Je suis passionné de musique, je tiens à l’album, je tiens au temps que ça dure, à l’implication que cela donne. Chaque album est un album concept, quelque soit l’album. Tu mets une pochette, tu mets un nom, il y a dix morceaux. Je tiens à ça. Après si ça disparaît tant-pis, la musique continuera.

On est obligé de s’adapter aux deux formats, on découpe l’album en singles, c’est la vie. Mais je tiens quand même à tirer des fils. On vit par cycle, un album c’est un cycle. Dix morceaux, c’est un an de travail, il y a ce coté temporel, les pieds dans la terre que j’aime bien.

C’est vrai que sur une clé USB on peut mettre douze mille heures de musique mais pendant très longtemps et jusqu’à très peu de temps, que ce soit en CD ou en vinyle un album ca durait 1h, 1h20. Je pense que plus on n’est pas capable de l’entendre vraiment.

C’est comme poser des pierres sur un parcours, des cailloux blancs. Un album c’est ça. Un single tu ne poses rien, tu es dans une fuite continue vers le présent. Ce n’est pas ça qui m’intéresse, ce qui m’intéresse c’est la temporalité, de créer des mythes, c’est avoir une place dans l’histoire de la musique. Qu’en tant que label que mes artistes existent et soient les plus mythiques de leur époque. Il n’y a que ça qui m’intéresse. Il faut faire de sa vie un mythe. Je veux faire de mon label un truc mythique. Ce sera ce que ce sera mais j’aurais fait ce que je pensais de mieux… Ca fait un peu prétentieux… Mais sinon à quoi ça sert de faire les choses.

Les perspectives sont belles pour les cinq prochaines années ?

On est trop au jour le jour. On est dans une avancée à très court terme. Je peux faire des projets pour toujours mais qui se font forcément avec de l’intensité très courte, avec des moments très courts. C’est donc très difficile de se projeter.

Mais je l’espère pour répondre courtement à une de tes questions (rires).


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