Lors de ma récente chronique du film Le passé, j'ai écrit, au fil d'un paragraphe, tout le bien que je pensais des jeunes acteurs du film, d'un naturel et d'une justesse de jeu tels qu'on en avait pas vu depuis longtemps.
Visiblement, je ne suis pas le seul à le penser, car figurez vous que samedi soir dernier, j'ai eu une longue conversation téléphonique avec François-Guillaume Lorrain qui, lui aussi, avait bien remarqué le talent d'Asghar Farhadi pour trouver et diriger des acteurs enfants comme nul autre pareil, ce qui n'est plus tellement fréquent dans le cinéma d'aujourd'hui.
Et François Guillaume Lorrain est un peu le spécialiste de la question, pusqu'il a écrit un livre consacré aux enfants stars du cinéma, à ces enfants qui ont marqué de leur empreinte l'histoire du cinéma français par un rôle phare qui les a placé, pour un temps déterminé, sous le feu des projecteurs.
Un livre, intitulé tout bonnement Les Enfants du cinéma, sorti une première fois en 2011 en grand format et qui vient tout juste d'être publié au Livre de Poche. Et un livre qui m'a tant passionné que j'ai tenu et réussi (grâce à Elodie, du Livre de Poche que je tenais à remercier chaleureusement) à interroger l'auteur, non pas par mail comme je le fais de temps en temps, mais carrément par téléphone, ce qui m'a certes donné un peu plus de travail pour la restranscription, mais qui a donné à la rencontre un incontestable aspect plus convivial et interactif qu'un simple contact virtuel.
L'ouvrage de François-Guillaume Lorrain, journaliste de cinéma au Point et également romancier (auteur du récent Homme de Lyon, roman qui est précédé d'échos très favorables et qu' il tarde de découvrir au lyonnais que je suis) se propose en effet de partir à la rencontre de tous ces petits prodiges du 7ème art que nous avons tant aimé dans un grand film et qui ont tous peu ou prou disparu dans l'anonymat le plus complet : la Zazie de Louis Malle, les garnements de La Guerre des boutons (ceux d'Ybes Robert évidemment), l'enfant sauvage de Truffaut, l'héroïne de Diabolo menthe, le petit héros si touchant de Crin Blanc ...
François-Guillaume Lorrain a retrouvé une vingtaine de ces étoiles filantes. Il en reconstitue le parcours avec précision, justesse et un regard qui évite tout voyeurisme (on imagine sans peine le genre de traitement qu'une émission de TV aurait pu faaire sur un même sujet) et tout jugement de valeur.
Leur parcours n'est pas linéaire, évidemment, vu que ces stars d'un jour sont très vite retournés à l'anonymat, alors que d'autres (Sophie Marceau, Charlotte Gainsbourg, Jean Pierre Léaud) ont continué à crever le grand écran.
C'est tout le mérite de François-Guillaume Lorrain d'être parti sur les traces de ces enfants stars qui ont quitté l'affiche, et de nous raconter les résultats de son enquête, parfois follement romanesque et/ou douloureuse.
On apprend ainsi beaucoup de choses sur ces anciennes gloires, d'abord sur le film qui les a révélés, avec pas mal d'anecdotes sur les coulisses d'un tournage, mais aussi sur leur façon d'appréhender cette célébrité si intense et en même temps si versatile.
L'auteur tente ainsi de sonder ce retour, plus ou moins choisi, de l'autre coté de la lumière et de la célébrité, ce retour à la normalité plus ou moins vécu.
Les enfants du cinéma est un livre passionnant sur ce magnifique miroir aux alouettes que constitue le cinéma et aussi une belle réflexion, entre nostalgie et optimisme (ces ex stars rencontrés n'ont finalement conservé que bien peu de rancune et d'aigreur contre le milieu du cinéma, contrairement à ce qu'on aurait pu penser, mais l'auteur nous expliquera pourquoi dans l'itw ci dessous).
Et puis, et surtout, comme me l'a dit l'auteur lorsque je l'ai interrogé, le projet du livre est de se concentrer sur le temps qui passe, ce temps à la fois "assassin en ce qu'il abime les visages et les souvenirs, et en même temps, ce temps qui immortalise à jamais", grâce à la pellicule et à la magie du cinéma.
Pour construire ces récits au tissu souvent diablement romanesque, l'auteur est parfois allé loin dans l'investigation : il a épluché pas mal de pages jaunes en ligne, est allé frapper à la porte des directeurs de castings ou les seconds assistants, ce qui ne fut pas une mince affaire sur certains films des années 50 où tout le monde ou presque a disparu.
Bref, un livre très documenté, parfois haletant, et toujours captivant, à l'image de l'homme avec qui j'ai pu dialoguer une petite heure samedi soir.
Et pour vous finir de vous donner envie de le lire, je vous dévoile une bonne partie de cette discussion téléphonique, dans laquelle il n'a pas été avare en confidences, notamment sur les motivations qui l'ont poussées à rédiger ce livre.
Comme je ne possédais pas d'enregistreur (ouh, l'amateur!),c'est uniquement de mémoire, et aidé quand même de quelques notes griffonés sur des feuilles volantes d'une main, tout en tenant le combiné de l'autre, que je vous la retranscris, mais je pense (j'espère?) avoir conservé les grandes lignes et l'esprit de ses propos.
Entretien exclusive avec François Guillaume Lorrain,
auteur du livre Les enfants du cinéma :
Blog Baz art : D’où vient au départ cette fascination pour ces étoiles filantes du 7ème art ? Est-ce que cela provient d’une curiosité particulière à l'égard de leurs parcours et des raisons de leurs retours à l’anonymat ou bien, du désir plus général de raconter la grande difficulté à durer dans ce milieu si particulier ?
François-Guillaume Lorrain : Au fait, à l'origine de ce livre, je suis parti d'un vieux film italien de Vittorio de Sica "Le Voleur de Bicyclette", et j'ai voulu retrouver les traces du petit Bruno, l'enfant de 10 ans qui était d'une présence phénoménale. Je l'ai rencontré, et si le portrait- récit que j'ai élaboré suite à cette rencontre n'a pas abouti, cela m'a donné envie d'aller partir à la rencontre d'autres enfants qui avaient marqué l'histoire du cinéma. Le livre s'incrivait alors dans un projet plus international, et puis, de fil en aiguille, j'ai commencé à m'interesser plus longuement sur certains films français, et me suis ensuite plus focalisé sur les acteurs français.
En fait, j'ai eu envie de savoir comment ces enfants avaient pu ressentir le décalage qu'il pouvait exister entre cette image qu'on leur a collé, un peu comme un chewing-um impossible à enlever, et ce qu'ils étaient en réalité. Et de vérifier si, de longues années aprés, ils avaient réussi, ou pas, à digérer ce décalage.
Plus personnellement, ces enfants ont connu une enfance terriblement différence de la mienne sur pas mal de points, une enfance où notamment tout leur était permis , et il m'interessait beaucoup de savoir comment ils avaient réussi à passer de cette période où tout leur était permis à des périodes d'oubli total.
2. Comment avez-vous ciblé les enfants qui feraient l’objet d’un portrait dans votre livre ? Par rapport à vous goûts personnels ou par rapport à la qualité du film et du rôle qui les a révélés ?
FGL : J'ai vraiment tenu à choisir des films et des rôles emblématiques du cinéma, des films reconnus par des oeuvres incontestables du 7ème art, et qui avait pour personnage central un enfant qui a marqué l'imaginaire de plusieurs générations.
Des enfants qui ont connu une notoriété fulgurante, a explosé avec le film, puis s'est eteint très rapidement après. Je tenais vraiment à choisir des films qui avaient marqué toutes les décennies des années 50 aux années 80, et ces films, qui sont finalement peu nombreux par décennie, s'imposaient alors d'eux même.
Et puis je voulais des relations vraiment particulière entre l'enfant et un cinéaste, ainsi que des histoires vraiment distinctes les unes des autres pour ne pas avoir à faire des copier coller de plusieurs histoires.
Je pense que mon livre est assez représentatif d'une époque précise, celle des années 50- 60 où les enfants étaient beaucoup plus laissés dans la nature, sans repère, "grillés" aussi vite qu'ils avaient été mis dans la lumière, au détriment des conséquences sur leurs vies futures, et c'est ce que j'ai essayé de transmettre à travers cet ouvrage.
3. Combien de temps a pris la constitution et l'écriture de ce livre ?
FGL : Le livre a mis pas mal d'années à se mettre en place. J'ai commencé à l'élaborer en 2007, avec une energie et une motivation incroyable, pret à remuer ciel et terre pour retrouver ces enfants , ce que j'ai fait pour les héros des 400 coups et de l'enfant sauvage notamment. Je faisais certainement un peu volontairement trainer les choses, afin de créer le tissu romanesque que je recherchais pour la forme de ce livre, composés plus de vrais récits que de simples portraits.
Puis j'ai carrement mis de coté ce projet pour d'autres activités professionnelles, et notamment pour me lancer dans l'écriture de mon roman l'Homme de Lyon, et la phase d'écriture et de promotion m'a pris pas mal de temps.
Je suis revenu à cet ouvrage quelques années après, avec une démarche un peu différente, car pressé par le temps et par mon éditeur ( Grasset) qui tenait à ce que le livre sorte en même temps que les deux remakes de la Guerre des Boutons, il m'a fallu le finaliser plus rapidement que prévu
4. Comment en général se sont passés ces rencontres ? Comment ces ex acteurs que vous avez rencontrés vous ont ils perçus?
FGL : Les rencontres se sont globalement bien passés, j'ai souvent contacté par mail les personnes que je voulais rencontrer, et pour certaines, j'ai tenu à leur envoyer des portraits déjà écrits, afin qu'ils comprennent bien l'esprit de mon livre.
En général, ils appréciaient le fait que je n'occulte pas du tout la seconde partie de leur vie, celle qui s'est déroulée après leur expérience cinématographique, car très souvent on les interrogaient sur telle ou telle anecdote liée au cinéma, mais plus du tout sur leur vie après.
Et ils savaient que je n'aurais pas un regard voyeuriste ou larmoyant sur leur destinée.
Je pense également, car la plupart me l'ont dit, que je suis arrivé pile au bon moment dans leur vie, à une période où il se sont reconstruits et qu'ils étaient en mesure d'avoir le recul nécessaire pour restituer leur propre expèrience avec objectivité, sans l'aigreur ni la rancune qui auraient pu être la leur quelques décennies auparavant.
5.Quelle est la rencontre/retrouvaille qui a vous le plus marqué , et ce, pour quelles raisons ?
FGL : Evidemment, toutes ces histoires m'ont touchées, forcément, mais si je ne pouvais n'en retenir qu'une seule, je dirais peut-être celle avec le Michaël, le fils de Charlie Chaplin (NDLR : la seule exception internationale, à ce livre mais qui s'est exprimé en français). C'était une rencontre totalement fortuite à la base (je narre longuement dans le livre les conditions de cette rencontre) et m'a raconté avec vraie franchise sa destinée si particulière, son coté fils rebelle qui n'aura connu que l'intimité avec son père que pendant les tournages. La relation avec son père sera très conflictuelle, allant jusqu'à être renié, avant de retrouver longtemps après, une relation pacifiée qui lui permettra à la mort de Chaplin d'assurer l'héritage de son génie de père.
Et puis aussi peut-être, chez les acteurs français, j'aimerais ressortir ma rencontre avec André Treton, le Lebrac de la guerre des Boutons, qui a su rester fidèle à l'image de son personnage de fier à bras laissée par le film, mais en même temps il m'a témoigné d'une personnalité et d'une vision sur sa vie absolument personnelle et terriblement touchante.
6. Est-ce qu’il d’autres enfants que vous auriez aimé faire figurer dans ce livre et qu’il n’a pas été possible de faire, pour plusieurs raisons ?
FGL : Oui, j'aurais beaucoup aimé parler des enfants dirigés par Jacques Doillon, considéré par beaucoup comme le cinéaste de l'enfance, et notamment de la petite Ponette (NDLR : la petite Victoire Thivisol, récompensée à 4 ans de la Coupe Volpi pour la meilleure interprétation féminine à la Mostra de Venise en 1996,) qui a maintenant 22 ans, mais finalement cela n'a pu se faire pour diverses raisons. Mais dans l'ensemble, je suis vraiment heureux de tout ceux qui y figurent.
7.La plupart de ces enfants présents dans ce livre ont été dénichés par le biais de casting sauvage. Regrettez vous que ce type de casting n’existe plus ou très peu et pensez vous que cela influe sur la personnalité du jeune acteur et de son jeu ?
FGL : Oui, forcément, je dirais que, désormais, à cause de cette prolifération d'agence en tous genres autour du cinéma, on aboutit forcément à des histoires plus stéréotypés et moins dissemblables d'un enfant à l'autre. Cette professionnalisation à outrance du système a commencé aux USA dès les années 60, et le cinéma français s'y est mis également .
Par ailleurs, l'autre gros problème du jeu des enfants dans le cinéma d'aujourd'hui réside dans le fait que la caméra est devenue tellement familière et que n'importe quel enfant a l'habitude d'être filmé avec tout et n'importe quoi qu'on assiste à la disparition de l'innocence dans le jeu de ces acteurs. La fameuse grâce de la première fois, ce mélange de virginité, d'émotion et d'apréhension que l'on retrouvait dans le jeu des acteurs du cinéma d'avant s'est à mon sens totalement envolée.
Heureusement, de temps en temps, on voit apparaitre quand même quelques enfants qui démontrent le contraire, comme par exemple Céline Sciamma avec Zoé Héran, ( NDLR un film que j'avais chroniqué ici même) ou plus récemment les jeunes acteurs du Passé d'Asghar Farhadi.
8. J’ai appris que vous aviez la volonté de continuer à suivre la route des enfants ex stars du cinéma, mais ce coup ci, avec des acteurs étrangers. Où en êtes vous de ce projet et est qu'il ressemblerait peu ou prou à celui que vous avez mené pour ces enfants- français du cinéma ?
FGL, Effectivement, ce projet de livre avec des ex enfants stars étrangères est toujours dans un coin de ma tête, puisque j'ai retrouvé comme je le vous disais au début le petit Bruno du Voleur de bicyclette( une rencontre différente des acteurs français du livre, l'homme renvoyant une image triste et amère) ainsi que les enfants de la Nuit du Chasseur, mais pour le moment il n'y a pas de projet de livre clairement défini. C'est un projet forcément plus onéreux que pour les enfants français, et qui nécessite d'y consacrer un temps que je n'ai pas forcément (je suis en plus de mes activités de journaliste, romancier et traducteur, patron d'une maison d'édition indépendante ). Peut-être que ces histoires, et notamment celles du petit Bruno, trouveront place sous une autre forme, plus fictionnelle, mais pour le moment, je ne saurais vous le dire.
Eh ben Monsieur Lorrain, vous m'en avez dit suffisament, et bien plus que ce que j'en attendais..... Voici pratiquement tout ce qui est ressorti de ma passionnante discussion avec le non moins passionnant François Guillaume Lorrain, que j'aurais bien écouté toute la soirée tant il fourmillait d'anedcotes et d'un sens du récit évident... Un grand , un énorme merci à vous, François Guillaume et en esperant que j'aurais su vous convaincre d'aller lire ( pour une fois que je vous parle d'un livre de poche, vous n'avez aucune raison de ne pas l'acheter ) ces si captivants Enfants du cinéma!!!