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Entourloupe, entourloupette et gros chiqué

Publié le 13 juin 2013 par Rolandlabregere

« Si on découvre la moindre entourloupe, le moindre dessous de table ou quoi que ce soit d’anormal, alors dans la seconde, à mon initiative, j’annule l’arbitrage », a déclaré Bernard Tapie (2 juin 2013) en marge de la dernière des vagues du litige qui l’a opposé au Crédit lyonnais. Le tribunal avait rendu une décision qui lui a permis de percevoir 403 millions d'euros en 2008.

Dans la plupart des usages « entourloupe » fait référence au grisbi, au conflit lié à des transactions qui n’aboutissent pas comme prévu. Elle résulte d’une intention de nuire, de faire capoter ce qui est convenu. Les synonymes donnés par la plupart des dictionnaires font état du recours à des irrégularités, à des arnaques. « Entourloupe » a été en vogue dans l’entre-deux-guerres. Les lexicographes s’accordent d’ailleurs pour lui reconnaître une origine fantaisiste au début des années 1930. Louis-Ferdinand Céline lui a donné une reconnaissance littéraire. Il l’emploie à plusieurs reprises dans Mort à crédit. La littérature, d’une manière générale, préfère « entourloupette », donné pour synonyme « d’entourloupe » par les dictionnaires. « Entourloupette » adoucit les effets de l’entourloupe. Pour Le Trésor de la Langue Française Informatisé, « entourloupe » et « entourloupette » appartiennent au vocabulaire familier. Les deux termes s’entendent pour signifier qu’ils mettent en jeu une relation déséquilibrée entre celui qui initie une tromperie, qui manigance un mauvais tour, qui prend les allures de ce que les conversations nomment un tour de cochon et celui qui en est victime. « Entourloupe » et « entourloupette » ont en commun cependant d’être employés par ceux qui subissent l’action. Les victimes emploient nettement plus souvent les deux termes que ceux qui sont à l’initiative des coups tordus. Il est plus rare de se vanter de commettre une entourloupe à l’encontre d’un tiers. Entourloupe et entourloupette produisent des préjudices qui parfois trouvent une solution devant les tribunaux. La forme verbale entourlouper appartient au registre de l’argot.

La déclaration de l’ancien ministre laisse entendre qu’un citoyen, à son « initiative », pourrait avoir la capacité à faire annuler une décision de justice.  Dans l’esprit de Bernard Tapie, il est possible de décider de sa propre justice. Les piles du petit lapin sont-elles fatiguées ? Dans son entretien, il suggère qu’il a été victime d’un marché de dupes, d’un mauvais tour qui lui a procuré malgré tout une cassette de 403 millions d’euros. Cette allocation de subsistance aurait-elle la vertu de bouleverser l’entendement de l’homme des affaires ? De tous les usages, de toutes les citations recensées, épluchées, comparées, la représentation de l’entourloupe de Bernard Tapie s’impose par son originalité. Il a subi une entourloupe positive. Il ne s’agit nullement de supposer que le terme est employé approximativement. En vérité, habitué des déclarations qui font mouche, Bernard Tapie joue de la gradation, procédé qui consiste à se faire succéder des mots pour aboutir à persuader les destinataires. En disant vouloir s’opposer à « quoi que ce soit d’anormal », il montre qu’il ne peut être considéré que comme un parangon de normalité. De plus, Bernard Tapie fait sienne la tendance contemporaine : les mots peuvent désormais s’employer avec le sens que le locuteur veut leur donner. Il s’agit de se mettre à l’abri de toute accusation, de tout sous-entendu. Il y a entourloupe quand le sens commun est débarqué au profit d’un sens nouveau à usage unique. Le sens jetable. Bernard Tapie invente le sens kleenex des mots, et tout s’efface d’une caresse. Les dictionnaires ne sont plus opérants. Tout locuteur est à même de donner un sens qui lui convient à chaque mot. L'Université va devoir en toute hâte créer de nouvelles certifications en FLE, français langue étrange.

Un sondage sur la page d’accueil de Yahoo.fr pose la question suivante « Bernard Tapie doit-il rendre l’argent de l’arbitrage ? Plus de 40000 personnes se sont prononcées depuis le 02/06/2013. Elles répondent "oui" à 65%. C’est net, sans entourloupe. Alors dans la seconde, il faut annuler l’arbitrage. C’est possible en faisant don à des associations humanitaires. Déductions d’impôts sans problème. Alors, une seule solution : Rends l’oseille et tire-toi !


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