Abattez les grands arbres ! L'intégrale, de retour...

Par Sandy458

La nouvelle qui suit est basée sur des faits réels et des témoignages de Rwandais survivants, glanés de-ci de-là.

Le génocide qui a saigné le Rwanda s’avère simple et complexe à la fois.

Le monde occidental a planté les graines de la tuerie puis a contemplé les arbustes s’élever jusqu’au point de non retour. Lorsque les fruits se sont révélés suffisamment mûrs, l’occident a fermé les yeux et a quitté la terre. Advienne que pourra.

 

Mais tout cela est une autre histoire.

Je ne propose qu’une petite histoire dans l’Histoire… pas celle des manuels scolaires qui continuent d’occulter l’étendue des responsabilités.  

 

Rendez-vous pour un article de fond sur le Rwanda, sous peu…

**********

Banlieue de Kigali, matin du 7 avril 1994.

« Tais-toi, pas un mot… il approche… »

Il n’a pas besoin de le chuchoter à nouveau.

Je suis tellement terrorisée que je cache mon visage dans le cou de mon frère qui me serre contre lui  dans un geste follement désespéré de protection impossible.

Ce n’est pas l’obscurité dérisoire de ce placard qui empêchera l’homme de nous atteindre, il lui suffira de donner un violent coup du bout de sa botte militaire pour défoncer le mobilier et nous offrir à son arme.

Ce n’est pas plus Paul-Toussaint, mon aîné de 2 ans, qui parviendra à nous sauver.

Du haut de ses 12 ans, il ne fera pas le poids.

Même maman ne s’y est pas trompée qui nous a ordonnés de nous cacher dans ce meuble exigu lorsque la milice a commencé à arpenter notre rue.

Lorsque l’homme est entré, je l’ai entendu la traiter de tous les noms. Il renversait les meubles, il hurlait des insanités, lui demandant où elle cachait ses sales cafards.

J’ai mis un moment avant de comprendre qu’il parlait de nous, les enfants.

Puis tout s’est enchaîné… maman qui s’interpose… qui supplie qu’on ne touche pas à ses petits… qui s’offre en sacrifice pour nous sauver… qu’on fasse d’elle ce qu’on veut mais qu’on nous épargne...

Les larmes qui coulent sur les joues de mon frère m’impressionnent terriblement. Lui si fort, un vrai petit dur lorsqu’il joue avec les autres garçons du voisinage, sa faiblesse momentanée me trouble au possible.

J’entends du bruit, des choses tombent bruyamment sur le sol, puis je perçois des pleurs et enfin des souffles. Je me sens éclaboussée par ces sons étouffés, salis par ce que je ne comprends pas vraiment. Paul pleure doucement, les yeux baissés, il me serre plus fortement contre lui et pose un doigt sur mes lèvres pour m’imposer le silence.

Seulement, je me trémousse, je ne suis pas très à l’aise, mes membres ankylosés à force de rester crispés dans une immobilité forcée commencent à douloureusement fourmiller. Honteuse, je ressens une sensation incongrue d’humidité qui coure le long de mes jambes et qui baigne déjà l’endroit où je suis assise.

« Paul, je suis désolée, j’ai fais pipi sur moi… » je chuchote d’une voix contrite à l’oreille de mon frère qui plaque sa main sur ma bouche.

L’homme est devant notre meuble, une mince paroi de mauvais bois nous sépare de sa haine incompréhensible. Nous avons l’impression de sentir sa respiration sur nous. Je me retiens de hurler.

« Femme, ouvre les portes que je vérifie si tes sales petits cafards ne sont pas terrés là. »

Le souffle court, nous subissons la distorsion du temps. Chaque seconde nous rapproche de l’inévitable, notre mère ne pourra pas éternellement détourner la stupide violence de cet homme que nous ne connaissons même pas.

«Sale Tutsi, tu accoures plus vite quand un européen te siffle ! Traînée, ouvres ces portes où je mets le feu et je te crame avec… ».

Serrée dans les bras de mon frère, je dégage ma tête pour mieux percevoir un piétinement devant nous. Entre les portes disjointes du lourd meuble, filtre un mince rai de lumière dont la clarté blanche me captive.

Je me figure être un insecte pris aux rets d’un éclat mortel, si séduisant mais dont les sirènes luminescentes n’ont été créées que pour mieux le capturer.

Dans un formidable vacarme, les portes volent en éclat.

Paul et moi émettons un long hurlement où nous mêlons notre angoisse, notre effroi et où nous tentons d’effrayer le mauvais génie par la force de notre cri d’innocents persécutés.

L’énorme tête du militaire surgit à quelques centimètres de mon visage.

Sa forte haleine me saisit et manque de me faire suffoquer sous sa pestilence.

Ses yeux roulent dans les orbites, découvrant une sclérotique jaunâtre injectée de sang qui me donne instantanément la nausée.

Les coins de la bouche de l’homme, qui arboraient un rictus carnassier de prédateur conquérant, s’affaissent soudainement.

Un filet de sang coule au milieu de son front, décrit une volte entre les deux yeux au regard vide et s’écoule lentement jusqu’aux lèvres entrouvertes.

Le militaire s’écroule au sol, sa tête heurte violemment le fond du meuble.

Mon souffle, le temps, tout est suspendu. Paul est figé lui-aussi, les yeux exorbités, fixant l’homme au visage grotesquement écrasé devant nous.

Maman se tient derrière lui, hagarde, son corps se balance doucement d’un pied sur l’autre. Ses habits déchirés parlent pour elle et exprime la violence que lui a fait subir ce maudit homme.

Des petits confettis sanglants ponctuent le tissu qu’elle a rabattu pudiquement sur ses jambes égratignées. Son joli visage fin, que papa aime tant caresser d’une main amoureuse, pleure des larmes écarlates.

Elle me fait peur, j’ai honte de mon sentiment, mais je ne reconnais que difficilement cette femme aux yeux stupéfaits qui tient dans ses mains un lourd tabouret dont l’assise porte encore la trace de l’impact du crâne de son tortionnaire.

Paul pleure silencieusement, la vision de sa mère souillée lui est trop insupportable.

Moi, c’est de découvrir que ma mère peut tuer qui me tient interdite.

« Pardon, maman, je me suis mouillée. »

Je ne sais pas pourquoi cette phrase incongrue et idiote franchit mes lèvres en ce moment mais cela a au moins le don de faire sortir maman de sa torpeur.

Elle me regarde, me sourit et me lance tendrement :

« Ce n’est pas grave, Marie, tu vas te changer. »

Dans la pièce à côté, un pleur de bébé nous rappelle qu’Eugénie, notre petite-sœur d’à peine un an réclame une tétée ou un peu d’attention.

Maman pose le tabouret sur le sol et disparait dans la chambre du bébé.

J’enjambe, non sans dégoût, le corps de l’homme et je file dans ma chambre pour enfiler des vêtements secs.

Je ne peux m’empêcher de passer un long moment dans la salle de bain à accomplir des ablutions méticuleuses.

Est-ce que laver mes yeux enlèvera la vision de l’homme et de maman le tuant ?

Est ce que frotter ma bouche m’aidera à ravaler mes hurlements de terreurs ?

Est-ce que noyer mes oreilles diluera dans le néant  ce que j’ai entendu ici-même?

L’eau peut-elle purifier le monde et le cœur des hommes en emportant au loin la fange des âmes ?

« Marie ? Viens vite ! »

Maman m’appelle, j’essuie en toute hâte mon visage ruisselant et je m’empresse de retrouver ma famille.

Paul a séché ses larmes, il semble être redevenu maître de lui-même.

Maman porte Eugénie tout contre elle et ma petite sœur gazouille d’aise, inconsciente des événements qui se déroulent dans ce monde qui vient de perdre la raison.

« Les enfants, prenez des sacs et mettez-y de la nourriture, ce que vous trouverez de pratique et de pas trop lourd ! C’est compris ? Allez, dépêchez-vous ! ».

*****

Quelques minutes plus tard, notre mère ouvre avec précaution la porte d’entrée tandis que nous retenons notre souffle.

La rue est étrangement silencieuse et une détestable chair de poule parcourt mon corps. Par l’entrebâillement de la porte, j’ai le temps d’apercevoir un tissu bariolé et rougi par le liquide épais qui recouvre une masse affalée sur notre pelouse.

Je baisse les yeux, je ne veux pas savoir ce que c’est ou plutôt de qui il s’agit.

J’ai trop peur de pouvoir mettre un nom sur un tas de chair humaine.

Maman nous intime le silence, un doigt impérieux posé sur ses lèvres, le sourcil froncé et je lis tant de maîtrise de soi que je parviens momentanément à adoucir le souvenir de son acte dans mon esprit.

Après tout, elle nous a protégés et certainement sauvés comme toute mère aurait agi…

Elle nous fait signe de la suivre et nous glissons comme des anguilles sur le perron de notre maison. Des  bruits de craquements et de cris nous proviennent d’une rue adjacente et nous rappellent que la mort incompréhensible continue de roder à la recherche de son quotas de victimes.

Son appétit est féroce et les chairs sont trop tendres pour lui résister.

Nous savons qu’il nous faut gagner la protection de la forêt voisine et fondre nos corps avec les fûts des hauts arbres pour espérer avoir une chance d’échapper à la meute meurtrière de la milice.

Nous courrons dans l’allée, la peur et la proximité de notre objectif nous dotent d’ailes.

Pourtant, Paul s’immobilise soudainement, rejoint par maman qui le prend par le bras pour le forcer à reprendre sa course.

« Maman, c’était Henri, là, par terre… » hoquète-il.

Mes yeux se posent avec horreur sur un corps mutilé dont les bras ne sont plus que des moignons sanglants.

La position de l’être qui git-là témoigne de son dernier geste dérisoire : tenter de se protéger avec ses mains comme seul rempart fragile devant la mâchoire acérée d’une machette qui s’abat avec violence.

Mais déjà, il nous faut repartir, fuir pour sauver nos vies. Il n’y a pas de temps pour s’appesantir sur les morts tant que les vivants ne sont pas tirés d’affaire. Nous pleurerons plus tard, demain, dans un mois, mais nous pleurerons sincèrement. Parce qu’il ne restera plus que cela à faire.

Dès la lisière de la forêt, je me sens rassurée, presque en sécurité. Les arbres sont enracinés ici depuis longtemps, pour certains fiers et droits ou pour d’autres tordus et torturés, mais toujours présents et vénérés. Dans ma culture, nous accordons beaucoup de puissance aux éléments de la nature. Les animaux ont une âme tout comme les arbres, nous les respectons comme nous respectons les anciens de nos familles.

J’enlace le tronc d’un arbre, son contact rugueux est une bénédiction. Je le sens vivre, je vis aussi, nous unissons nos souffles dans le même élan vital, ici, sur ce petit coin de forêt rwandaise.

Je suis Tutsi. Je suis vivante.

Maman continue de s’enfoncer dans la forêt, elle veut nous emmener le plus loin  possible vers le cœur des arbres, là où l’ombre n’est plus menaçante mais protectrice, là où elle confiera notre survie aux bons esprits qui peuplent l’épaisse toiture de feuilles.

Nous marchons un temps infini jusqu’à ce que mes jambes me fassent mal. Eugénie, la tête posée sur l’épaule de maman, s’est endormie, bercée par l’ondulation du corps maternel.

Paul me tient par la main, il a l’air aussi fatigué que moi mais le contact de nos deux peaux chaudes et la détermination de maman nous donnent un regain de force.

Ce soir-là, nous piochons dans les victuailles que notre mère a eu la bonne idée de nous demander d’emporter. La nuit nous semble moins ténébreuse et le monde moins hostile même si je songe à papa, qui doit nous chercher là-bas, dans notre maison saccagée où le corps du militaire git dans une mare de sang.

Paul, plus taciturne que jamais, dévisage maman, évite mon regard et détourne les yeux d’Eugénie. Il est mal à l’aise, des pensées brûlent son esprit et ils serrent les lèvres pour ne pas exprimer ce qui le torture tant.

Parfois, il engouffre la nourriture comme on bouche une cavité nauséabonde : hermétiquement et avec dégoût.

A la différence de mon grand frère, je ne sais pas réfréner mes questions, inclinaison qui indispose souvent les adultes qui répugnent à m’expliquer les vicissitudes du monde puisque je ne suis encore qu’une enfant.

« Maman, où est papa ? »

Maman repose la bouchée de pain qu’elle s’apprêtait à mâcher, époussette soigneusement ses habits pour se donner une contenance puis, elle me sourit.

-   Il est dans les locaux de «  Mille collines consortium » à Kigali Nord. Il est en sécurité chez ses employeurs belges, ne t’inquiète pas.

-   Il va venir nous chercher ?

Elle baisse les yeux, mal à l’aise.

-   Dès qu’il le pourra, il le fera, sois-en sûre. Pour le moment, il nous faut gagner un petit village près de la rivière Nyabarongo. Là-bas, un grand nombre des nôtres vivent en paix avec les Hutus et les Twa. Nous y serons en sûreté le temps que… que les événements cessent. »

Maman prend Eugénie dans ses bras et lui présente un peu de pain.

Les petites lèvres d’ébène se referment goulument sur la croute friable tandis que le bébé saisit la tranche entre ses deux menottes dodues.

La petite dernière de la famille est un vrai clown. Nous lui pardonnons tout et elle le sait, usant déjà de ses prérogatives de poupée délicieuse.

Mais une question demeure là, dans ma gorge, elle enfle, elle pique mes muqueuses, elle pousse mes mâchoires avec une force inouïe et fourrage ma langue de sa puissance incendiaire. Elle va m’étouffer, il faut que je la crache, que je mette mon interrogation à nue, qu’elle roule dans la terre pour éteindre le feu qui me dévore.

«  Maman, qu’est ce qu’il se passe au Rwanda ? »

Ses yeux las se posent sur moi. Elle renonce à me mentir. J’en ai trop vu, trop vécu en ce jour où une partie de mon enfance vient de s’écrouler dans un fracas irréparable. Je ne suis plus une enfant, trop jeune pour être une adulte, je ne suis rien de tout cela car on vient de me voler mon âge.

Alors, elle nous raconte… le fléau qui pourrit la terre rwandaise : la rivalité entre Hutus et Tutsis, attisée par les puissances occidentales qui ont tout intérêt à nous maintenir divisés.

Elle nous raconte… les principes de l’ethnisme des européens qui arguaient que les Tutsis, les « nègres blancs », étaient supérieurs aux Hutus, trop négroïdes dans leurs faciès pour correspondre aux canons des races dominantes.

Elle nous raconte ensuite … les tueries, massacres, pogroms qui secouent notre pays depuis trop longtemps, saignant mortellement un peuple qui ne trouve plus le moyen de fraterniser, encore moins de cohabiter paisiblement.

Elle nous raconte enfin… ce que notre père lui a appris par téléphone, tard dans la nuit alors qu’il s’apprêtait à regagner notre domicile.

Ce 6 avril, le président rwandais, Juvénal Habyarimana, a été victime d’un attentat.

Son avion a été la cible d’un tir de roquette et il s’est écrasé juste avant d’atterrir à Kigali.

Pressentant le pire, Papa s’est branché sur les ondes de la Radio Mille Collines, la radio de propagande de l’Akazu et de tous ceux qui se retrouvent dans les thèses de la Hutu Power.

« Abattez les grands arbres ! Abattez les grands arbres ! »

Cette phrase, hurlée en boucle par les animateurs, n’était rien d’autre que le signal du génocide.

Elle signifiait les machettes qu’on affute.

Les voisins et les amis qui ne vous connaissent plus.

Elle signifiait l’extermination systématique de tout Tutsi.

Homme, femme, vieillard, enfant.

Tue, égorge, éventre, danse sur le cadavre encore chaud, Dieu te récompensera !

Extermine le cafard, écrase la vermine.

 

Coupe encore, coupe toujours, sans fin et profondément.

Que la vie quitte les corps, que le sang ruisselle et nourrisse la terre revenue aux Hutus.

Tues-les tous jusqu’au dernier.

Ne laisse pas  un vieillard en vie, mémoire encore vaillante de son ethnie.

N’épargne pas un enfant, futur bras vengeur contre ton travail de purification du Rwanda.

Les paroles de maman m’emportent dans un tourbillon vertigineux et je vois, devant mes yeux, se mêler l’éclat mortel du métal des machettes, le blanc des yeux qui s’écarquillent devant l’horreur, la teinte rougeâtre des chairs coupées à vif et les grands arbres, les grands arbres qui s’abattent bruyamment sur le sol.

« Maman, pourquoi tu ne nous a pas fait naître Hutus ? »

Terriblement, Paul vient de sortir de son mutisme en posant la question fatale, celle qui brule atrocement toutes les entrailles des mères Tutsis en ces jours où Dieu à détourner les yeux du Rwanda.

Nous restons tous les trois, serrés les uns contre les autres, immobiles avec cette phrase qui taraude nos esprits :

« Pourquoi tu ne nous a pas fait naître Hutus ?  Pourquoi ? »

Je ne tarde pas à sombrer dans un sommeil sans rêve en continuant encore à me demander pourquoi...pourquoi ?

********

Une odeur âcre s’infiltre dans mes narines et me pique la gorge.

Je tousse, j’éternue, je panique en cherchant de l’air frais, je me débats contre des ennemis invisibles.

« Les enfants, il faut partir, vite ! »

Maman crie, nous met debout de force, secoue Paul qui peine à reprendre ses esprits.

Hagarde, je fixe une ligne orangée qui semble se rapprocher de nous.

Une langue de feu grignote dangereusement la forêt.

D’un arbuste à notre gauche, surgit un homme qui coure droit devant lui en hurlant, qu’importent les obstacles sur sa route.

Il bouscule notre mère, roule à terre, se relève et reprend sa course sans même nous jeter un regard.

La moitié de ses habits est en lambeaux encore fumants, une partie de sa chevelure a disparu, rongée par les flammes.

Sidérés, nous le suivons du regard alors qu’il disparaît, happé par la forêt sombre.

Nous nous dévisageons et nous comprenons soudain.

Les Hutus ont volontairement mis le feu.

La proximité de la forêt avec les rues de notre banlieue de Kigali était trop propice à la fuite des Tutsis, tentant de se cacher et de sauver leur vie.

Il ne restait plus qu’à nous débusquer, nous faire sortir de notre repaire en nous enfumant et en nous forçant à fuir l’incendie.

Les flammes ou la machette, un choix cornélien pour une fin de vie annoncée.

Comme des bêtes aux abois, nous courons à perdre haleine, dans le sens opposé à la chaleur et à la lueur qui illumine les bois.

Eugénie s’époumone de terreur dans les bras de maman, Paul me tient fermement la main et m’entraîne dans son sillage.

Mais soudain, devant nous, la même ligne orangée se profile.

Nous sommes cernés.

Les Hutus, prévoyant et calculateurs jusqu’au bout, ont enflammé la forêt en plusieurs points.

Le piège se referme fatalement sur nous, il n’y a pas d’espoir.

Si nous restons là, les flammes vont nous dévorer.

Si nous avançons… « ils » vont nous massacrer.

Mes jambes se paralysent, mon esprit se fige, je m’apprêt à accueillir la mort s’il le faut.

« La rivière, les enfants, la rivière n’est pas loin, fuyez ! »

Maman, ralentie par la fatigue et le poids d’Eugénie toujours cramponnée à elle, accuse une distance de quelques mètres. Après une brève hésitation, Paul  menotte fermement mon poignet et me tire de toutes ses forces.

Je hurle, je supplie, il ne peut pas faire ça, il ne peut pas les laisser derrière nous.

D’une poussée magistrale, il m’envoie loin devant lui, je vacille, le sol se dérobe, j’ai de la terre plein la bouche, des pierres et des branchages me fouettent le visage et les bras.

Enfin, la rivière se referme sur moi.

C’est une étrange sensation… je flotte, le courant doux contre ma peau m’enveloppe dans un cocon fluide.

Je ferme les yeux pour les rouvrir au contact de mon frère.

Il maintient ma tête au-dessus de l’eau. Je lui en veux presque d’interférer dans mon suave dialogue avec l’onde, là où tout est simple et lénifiant.

Nous gagnons la berge, tant bien que mal, nous trébuchons sur le sol instable que la pénombre ne nous permet pas d’appréhender.

Le silence étrange qui nous encercle hurle par intermittence le drame qui se joue cette nuit.

Le feu, les grands arbres rongés sur place sans pouvoir s’enfuir, tous ces gens qui paient de leur vie une appartenance à une ethnie exécrée… Eugénie… maman… elles aussi ?

Papa… où es-tu ? Pourquoi n’es-tu pas là pour nous protéger ?

Je sanglote contre mon frère qui serre les dents pour ne pas craquer.

Je grelotte tout autant de froid, de peur que de solitude.

Un clapotement dans l’eau nous fait retenir notre souffle.

A quelques mètres de nous, quelqu’un s’extrait avec peine de la rivière.

Ami ou ennemi ? Doit-on se taire ou manifester notre présence ?

« Paul ? Marie ? »

Je reconnais la voix qui appelle tout bas dans l’obscurité.

Nous nous précipitons vers notre mère et vers notre petite sœur, le cœur en joie.

Nous sommes invincibles, nous sommes vivants, tous ensembles.

Si Dieu a détourné les yeux du Rwanda, il a quand même jeté un coup d’œil furtif cette nuit, nous permettant d’être toujours vaillants et debout même si nous avons tout perdu…

Le jour se lève lorsque nous arrivons en vue d’un petit village encore endormi.

Des maisons traditionnelles et des constructions plus modernes se côtoient en une belle harmonie, serrées autour de l’église blanche bâtie dans le plus pur style coloniale.

Maman nous a exhorté à marcher tout le reste de la nuit, marquant parfois une courte pause pour se mettre à l’écoute des bruits environnants.

Etrangement, le bruit des détonations ne nous effraye plus, tout au plus renforce-t-il notre attention et nous rappelle-t-il que le péril guette mais que nous devons continuer à avancer avec son ombre qui nous poursuit.

Notre compagnon est un prédateur mais ne dédaigne pas la charogne, il sait attendre son heure, la prudence est de mise.

Sommes-nous déjà façonnés par la tragédie qui secoue le Rwanda au point de nous accommoder de l’invivable et de l’insupportable ?

Est-ce là le signe que notre innocence s’est définitivement envolée et que nous sommes devenus des enfants de la guerre ?

Si tout cela se finit un jour, serais-je encore capable de jouer avec insouciance, de faire confiance à mon prochain et de m’endormir sans rester sur mes gardes ?

Tandis que nous remontons la rue principale du village, des têtes apparaissent furtivement aux ouvertures des maisonnettes.

Une vieille, sur le pas de sa porte, apostrophe maman :

« Vas à l’église avec ta marmaille, c’est là qu’il faut se réunir.. .»

Maman remercie la femme qui secoue la tête de gauche à droite avant de tourner les talons.

Une sensation d’étrangeté m’étreint à cheminer sans peur vers la maison du Christ.

Moi, la petite fille Tutsi, avec ma famille Tutsi, nous apportons, accrochés à nos corps exténués, les lambeaux de mort et de destruction dans ce qui ressemble à un havre de paix.

Nous sommes les témoins de la folie qui s’est emparé de notre pays. Nous tendons à bout de bras l’image d’un peuple déchiré qui vient de verser dans le génocide le plus implacable. Qui viendra nous aider puisque nous nous entretuons entre frères ?

« Maman, Marie, regardez !!! C’est un véhicule militaire européen ! Nous sommes sauvés ! »

Paul caracole autour de nous et nous montre, tout sourire, une jeep cabossée d’où descend un militaire blanc.

Il fait quelque pas dans notre direction, une arme à la main.

Son casque est mal attaché, sa tenue négligée m’intrigue mais lorsqu’il nous salue, son ton calme me réconforte quant à ses intentions : il n’est pas notre ennemi, il est là pour assurer notre sécurité.

« Tutsis ? Allez rejoindre les autres dans l’église. »

D’un ample geste de la main, il nous indique la porte de l’édifice, entr’ouverte.

A l’intérieur, nous sommes saisis par le nombre d’individus entassés.

Hommes, femmes, enfants, des centaines de personnes sont réunies là, dans la fraîcheur de la bâtisse sacrée.

L’odeur, qui nous prend à la gorge, nous paralyse et nous retient sur le seuil.

Mon estomac se tord sous les effluves de sueur, sang et excréments mêlés.

Ce n’est pas un refuge mais un mouroir !

La protection et la sécurité prennent soudainement la coloration de la déchéance et de la corruption de corps vivants…pourrir sur pied, se décomposer… voilà ce qu’on nous propose dans un premier temps.

Mais nous n’avons pas le choix, nous pénétrons dans l’église en retenant les élancements d’une nausée qui monte de nos entrailles.

Maman nous installe à proximité d’un bénitier dans lequel j’hésite à tremper le bout de mes doigts : l’eau bénite est d’une teinte rosée qui laisse des doutes quant à sa réelle composition.

Commence alors un temps d’attente sans objectif et sans limite. Les minutes peinent à s’égrainer et les heures s’écoulent au rythme des conversations et des gémissements de nos compagnons.

Nous avons faim et soif, la fatigue extrême et la lassitude nous privent de toute pensée. Je jette un œil aux autres enfants, les petits yeux fatigués sont vides d’enfance mais déjà emplis de gravité.

Oui, « ils » nous ont tout volé, jusqu’au plus précieux, au plus sacré : l’âge d’innocence et de légèreté…

**************

Et le temps passe, la poussière grossière s’écoule avec une lenteur exaspérante sans jamais satisfaire l’appétit du sablier…

Nous sommes tellement serrés qu’à côté de l’autel, les membres d’une famille sommeillent, les uns empilés sur les autres. Ils ressemblent à des sacs de millet entassés. Quiconque voudrait passer serait réduit à marcher sur leurs corps…

Au cœur de la nuit, un jeune garçon, trop curieux ou en quête d’un air moins vicié, gagne une fenêtre en ogive percée dans le mur immaculé.

Il scrute l’obscurité et rejoint les siens, livide.  Il bégaie d’une voix dépersonnalisée comme s’il avait croisé un Grand Esprit des Brumes : « Les blancs sont partis, ils nous ont abandonné ! « Ils » sont là, à leur place ! ».

La rumeur gonfle et emplit la nef de l’église, les paroles du garçon rampent sur les corps, pénètrent dans les cerveaux exténués, suivies par une onde d’inquiétude et d’horreur qui s’insinuent dans les cœurs… le serpent putride est là, dehors, il attend le signal de sa horde de démons pour fondre sur nous et nous engloutir.

 Abattez les grands arbres ! Abattez les grands arbres !

 

Tue, égorge, éventre, danse sur le cadavre encore chaud, Dieu te récompensera !

Extermine le cafard, écrase la vermine.

 

La berceuse macabre résonne à mon oreille tandis que la mort nous recouvre de son linceul stérile.

Dormez, Tutsis, votre épreuve sera bientôt finie…

Dormez, Tutsis, Dieu et le monde entier se voilent les yeux…

Dormez…

Les hautes silhouettes des adultes qui se tiennent devant moi occultent la lourde porte de l’église qui explose soudain sous des coups rageurs.

Tout n’est plus que hurlements et bousculades, grands arbres qui chutent au sol, jeunes branches coupées, sève rougeâtre qui forme un tapis visqueux et glissant.

On me bouscule, je me raccroche à je ne sais quoi où je ne sais qui, une marée humaine agonisante me porte jusqu’à l’entrée, là où les lames sectionnent et démembrent, là où les mâchoires acérées s’abattent sans pitié.

De nos bourreaux, je ne distingue que les mains sombres qui assènent les coups.

D’eux, je ne vois que les jambes et les chaussures maculées.

Ont-ils des visages ? Des yeux et des bouches comme nous ?

Au sol, il n’est plus possible de distinguer les morts des vivants.

Des corps intacts mais sans vie s’abattent sur des mutilés qui gesticulent encore et tentent de les repousser…

Je coure en me couvrant la tête des mains, je saute au-dessus des masses informes qui jonchent le sol, la bouillie humaine me répugne même si elle est tout ce qui reste de pauvres victimes assassinées.

Où est maman ? Où sont Paul et Eugénie ?

Je n’en sais rien, je verrai plus tard !

Tout ce qui compte en cet instant, c’est sauver ma peau, courir, me protéger et échapper au carnage.

Seule ma vie compte. Ma vie au-dessus de tout…

Je détale sans savoir où aller, sans même savoir ce que je dois faire à présent.

Je ne comprends plus ce qui se passe dans ce monde inconnu, tout cela est impossible, tout cela n’existe pas, je vais me réveiller dans mon lit avec papa qui sourit à mon chevet et me chantonne que je suis la plus jolie des petites filles du pays… sa petite chérie.

J’emboîte le pas de fuyards, j’entends qu’ils veulent sortir du pays, rejoindre une des frontières. Notre pays est petit, nous pouvons y arriver si nous avançons droit devant nous, sans nous retourner...

Séparée de ma famille, les chiens à mes trousses, je ne peux que faire confiance à ces inconnus et avaler les kilomètres.

Vallées à parcourir, forêts à traverser, villages à éviter soigneusement, ramper et se fondre dans le sol au moindre bruit suspect, surmonter la répugnance naturelle lorsqu’il faut fouiller un cadavre – qui sait, il possède peut-être encore sur lui le gage de notre salut ? – sont mes seules occupations pendant les deux semaines qui suivent.

Ma bouche reste désormais muette.

Pourquoi parler encore puisque je n’ai plus personne pour m’écouter ?

Mes yeux sont étonnamment secs, je ne suis plus capable de pleurer les miens, j’évite de penser à eux, je doute parfois d’avoir eu une autre existence que ma vie actuelle de fugitive.

Ah si, je me rappelle, je suis Tutsi, je suis encore vivante dans un pays qui nie mon droit à avoir un avenir.

Oui, c’est ça, je suis Tutsi, je m’appelle Marie, j’ai 10 ans mais je ne suis pas comme d’autres fillettes qui ont la chance de naître Hutus ou Twa…

J’ai bien 10 ans mais je ne sais plus ce que c’est que d’être une petite fille, le monde entier m’a oubliée comme il a oublié le Rwanda, ce petit point insignifiant sur une carte géographique.

Quotidiennement, je suis en but avec les vilenies des adultes, ceux qui devraient me protéger dans un monde normal qui n’aurait pas perdu toutes ses facultés mentales. Je découvre que la faim, la soif, la peur, la recherche de la satisfaction des besoins vitaux éveillent en eux les pires pensées et les pires actes. Surtout envers les enfants, les mayibobo* que personne ne réclame…

Mais ça, je ne suis pas encore prête à en parler…

* mayibobo : gamins des rues.

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Camp improvisé de réfugiés,  frontière du Burundi, 30 avril 1995.

Ce n’est pas un camp officiel et très bien organisé mais je me suis habituée à vivre sous les tentes montées à la hâte dans la plaine. 

Depuis une année que je vis ici, je me débrouille assez bien.

J’ai de la chance car j’ai échappé à plusieurs épidémies de choléra sans dommage. Cela n’a pas été le cas des plus faibles ou des malchanceux qui, après avoir survécu aux machettes ont regardé le contenu de leur boyaux se répandre sur le sol jusqu’à la mort.

Mon corps change aussi. Moins bien nourrie, j’ai un drôle d’air dégingandé, trop affutée pour mon âge. Je ne crois pas être toujours aussi jolie qu’avant…

Des humanitaires blancs nous apportent de l’aide, des médicaments, des vivres, un toit fragile et un peu de sécurité. Ils éprouvent bien du mal à s’occuper des réfugiés et de tous ceux qui transitent par ici, à la recherche d’un proche ou juste désireux de se reposer avant de reprendre leur périple douloureux vers le Rwanda.

De toute façon, le monde continue à nous ignorer, nous n’existons plus.

Comme tous les enfants séparés de leur famille, je suis prise en charge par une « mama » référente dépêchée par une petite ONG.

La mienne s’appelle Adeline, elle est française et s’occupe d’une dizaine d’autres jeunes. Elle nous prodigue des soins, s’occupe de notre éducation et parvient même à nous réunir plusieurs fois dans la semaine pour nous enseigner un peu de français et de calcul. Nous formons un petit groupe stable et soudé, un substitut de famille qui nous réchauffe l’âme. Nous recréons notre structure affective comme nous pouvons, un gamin esseulé devient mon frère de cœur.

J’ai un rêve pour plus tard : je veux devenir institutrice pour transmettre mes connaissances aux enfants et leur enseigner à vivre ensemble.

Le reste du temps, je rends quelques services dans le camp en échange d’eau ou de nourriture. Je vis à peu près correctement si je considère que je suis toujours en vie.

Chaque matin, je passe un long moment à arpenter le « labyrinthe ». Il s’agit d’un enchevêtrement de palissades où sont affichés les photos et les patronymes des réfugiés.

J’aime épeler les noms et suivre du bout du doigt le contour des visages figés sur les clichés.

Il n’est pas rare qu’un visiteur reconnaisse l’un des siens et s’écroule d’émotion en bénissant la providence. Des sentiments ambigus m’étreignent alors : joie, déception et un peu d’envie.

Il y a ma photo sur une des palissades avec mon nom  au complet :

Marie-Espérance Kayitesi.

Mais personne n’a encore pleuré de joie en le lisant ou en me reconnaissant. Personne.

Le soir, avant de regagner ma tente-dortoir, je vais souvent me poster sur la route qui relie le Burundi et le Rwanda. Le chemin de terre est bordé d’herbes couchées par les passages incessants des hommes et des véhicules.

J’aime à rester ici.

Seule.

J’attends papa.

Maman.

Paul et Eugénie.

« Abattez les grands arbres »… pour aller plus loin sur la question du génocide rwandais.

Avril 1994.

Le Journal Télévisé montre furtivement  des images d’événements se déroulant au Rwanda.

Conflit interethnique ? Massacre tribal ? Les reportages ne servent que des images peu loquaces et des commentaires laconiques qui minimisent la portée de la tragédie.

Il faudra attendre quelque temps avant que le terme de « génocide » ne soit susurré à la sauvette pour qualifier la tuerie qui saigne le Rwanda.

Au-delà des massacres, c’est l’indifférence totale qui entoure cette tragédie qui ne laisse de m’étonner.

Comme si faire disparaître une « ethnie » était dans l’ordre des choses dans un continent qui peine à se hisser à un certain niveau international. Comme si « Rwanda » était une incongruité à ne pas prononcer…

Indifférence des médias, indifférence devant les images, indifférence des âmes et des consciences…

Fermons les yeux, bouchons nos oreilles, la réalité n’est pas des plus plaisantes…

Pour comprendre les raisons de ce génocide, il faut remonter le temps et retourner à l’époque où le Rwanda est sous domination européenne.

Le pays est dirigé tout d’abord par les Allemands, puis par les Belges qui les remplacent à l’issue de la Première Guerre Mondiale.

A cette époque, un vaste programme d’évangélisation est menée par les Pères Blancs qui assurent les conversions en masse des rwandais.

Ethnisme…

La population est composée de Tutsi, Hutu et Twa.

Les Tutsi, plus conformes morphologiquement aux canons des bases raciales supérieures prônés par les Européens, se voient désignés comme l’élite. Les « nègres blancs » comme on les nomme à l’occasion bénéficient de nouvelles responsabilités dans le pays.

Cela se fait au détriment des Hutu qui, présentant des traits moins « occidentaux » que les Tutsi, sont classés dans les « races inférieures » et, de fait, sont écartés des positions sociales les plus intéressantes.

A partir des années 30, les Tutsi sont curieusement stigmatisés comme étant une population étrangère au Rwanda, des immigrés, des envahisseurs.

Etrangement, il est fait l’impasse sur la culture et la langue commune aux Tutsi et aux Hutus depuis des décennies, tout comme sur le fait que tous partagent la même terre...

La carte d’identité rwandaise porte dorénavant la mention de Tutsi ou Hutu.

Ce détail se révélera dramatique lors du génocide de 1994 puisqu’il permettra de retrouver les Tutsi « fichés » par leurs papiers officiels.

La montée des hostilités…

En 1959, le Rwanda gagne son indépendance et les Belges se retire non sans laisser les Tutsi diriger le pays.

En 1959, 1965, 1973, 1989 et 1990, les tensions sont telles dans le pays que les violences débutent et montent en gravité.

Les Pères Blancs, demeurés dans le pays au départ des Belges, persuadent les Hutus de leur persécution injuste et les motivent à prendre le pouvoir de force.

Les massacres se succèdent alors, ignorés sciemment par l’Occident.

Le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana est victime d’un attentat alors que son avion s’apprête à atterrir sur l’aéroport de Kigali.

Aussitôt, la radio de propagande anti-tutsi « Radio des Milles Collines » diffuse en boucle une phrase intrigante « Abattez les grands arbres !».

C’est le signal du début du génocide.

Tout au long de 100 jours d’extermination effroyable, près de 1 millions de Tutsi perdront la vie, massacrés à coups de machettes, de houes ou de gourdins cloutés. La Radio des Mille Collines encourage les génocidaires, exaltent la violence et dénonce les Tutsi où qu’ils soient cachés. Pire, la tuerie est érigée comme devoir patriotique pour tout Hutu qui se respecte. Ceux qui sont modérés ou qui hésitent à emboîter le pas aux tueurs subissent le même sort que les Tutsi.

Des barrages bloquent le passage de ceux qui tentent de fuir et les Tutsi sont prétendument regroupés dans différents édifices (école, église, stade…) pour être protégés mais sont ainsi plus facilement exterminés.

La communauté internationale démissionne et se détourne totalement du Rwanda…

L’ONU ferme les yeux, l’Europe se bouche les oreilles, les médias se taisent.

Aujourd’hui, plusieurs ONG telles que « Survie », accusent notamment la France de complicité dans ce génocide : livraisons d’armes aux génocidaires, passivité ordonnée des forces militaires françaises présentes au Rwanda (opération Amaryllis, Turquoise), accueil de génocidaires sur notre territoire en toute impunité, obstructions répétées des instances françaises lors des instructions pénales internationales, tentatives de faire classer différentes affaires relatives aux événements du Rwanda…

Malgré le « secret défense » s’opposant encore à la recherche de la vérité entourant le génocide, le tableau est effarant et accablant pour notre pays…

Les rescapés réclament que la lumière soit faite sur ce qui restera comme l’un des génocides les plus méconnus du siècle dernier.

1994-2009, 15 années ont suffit pour que la tragédie tombe dans l’oubli.

La cicatrice est toujours béante dans les chairs et l’esprit des survivants.

Marie-Espérance Kayitesi a cessé d’attendre sa famille sur la petite route qui relie le Rwanda et le Burundi…

A quoi bon, puisque le monde les a oublié…

Puisque nous l’avons oubliée.