Crise de la dette : La BCE devant la Cour de Karlsruhe
12 juin 2013 Frankfurter Allgemeine Zeitung"Défense de piss**. Le bâtiment [la BCE] n'est pas aussi stable qu'il en à l'air."
Le 11 juin, la Cour constitutionnelle allemande a commencé à vérifier si la Banque centrale européenne a outrepassé ses compétences en créant le Mécanisme européen de stabilité et en rachetant de la dette souveraine des Etats en difficulté. Une fois encore, la zone euro est suspendue à ses décisions.
Holger SteltznerCe procès est celui du rachat, par la BCE, des obligations des pays criblés de dettes de la zone euro. La banque centrale, pour assurer la pérennité de l’euro, est-elle habilitée oui ou non à racheter ad libitum les obligations des pays déficitaires de l’UE, comme l’a affirmé le président de la BCE, Mario Draghi ("whatever it takes" – "quoiqu'il en coûte") ? A moins qu’il ne s’agisse pas de juger ici une politique monétaire, mais le financement illicite d’Etats membres, comme le suppose le président de la Bundesbank, Jens Weidmann] ?
En réalité, la Cour constitutionnelle allemande n’est pas compétente pour juger la BCE. Pour autant, les institutions européennes ne sont habilitées à agir que lorsque les Etats membres les y autorisent. Les juges constitutionnels peuvent donc juger que la BCE a outrepassé ses prérogatives en rachetant, au travers d’un "acte juridique d’empiètement", les obligations de pays de la zone euro dont le premier garant se trouve être le contribuable allemand, et ce sans y avoir été habilité par le Parlement, et sans que le Bundestag n’ait même été consulté.
Confronter les arguments clés
La Cour constitutionnelle pourrait transmettre le dossier à la Cour européenne de justice. L’issue ne ferait alors pas de mystère : lorsque la Cour suprême irlandaise a contesté la validité du MSE devant la Cour de justice, les juges luxembourgeois ont entériné le fonds de sauvetage sans plus de formalités.
Selon les termes de son jugement express sur la validité du MSE, Karlsruhe autorise le mécanisme de sauvetage sous réserve que le Bundestag y soit associé, mais pointe du doigt le rachat d’obligations : l’acquisition d’emprunts d’Etat par la BCE, "qui avait pour objectif de financer les budgets des Etats membres sans passer par les marchés de capitaux, est considérée comme un contournement de l’interdiction du financement du budget par voie monétaire, et est à ce titre interdite".
La Cour de Karlsruhe ne juge pas seulement le programme de rachat de Mario Draghi, l’"Outright Monetary Transactions" (opérations monétaires sur titre), dont le seul nom suggère la nécessité d’un élargissement de la politique monétaire avant le rachat des premières obligations. Elle juge également le financement des Etats sous le mandat de l’ancien président de la BCE, Jean-Claude Trichet, à l’époque où la Banque centrale européenne mettait plus de 230 milliards d’euros dans le rachat d’obligations italiennes, espagnoles, irlandaises, portugaises et grecques.
Pour amadouer le tribunal, la BCE a attiré son attention sur l’existence d’une limite aux rachats prétendument illimités d’obligations. On peut déjà y voir un premier point au crédit de la Bundesbank. On peut aussi se demander si une telle limite, qui n’a jamais été entérinée par le conseil des gouverneurs, a vraiment une valeur contraignante.
La confrontation des arguments clés de la BCE et de la Bundesbank permet de clarifier le conflit : l’irréversibilité de l’euro est garantie dans le cadre de son mandat, juge la BCE. La composition actuelle de l’Union monétaire ne saurait être garantie au vu de la souveraineté des Etats membres – en tout cas pas par la banque centrale, objecte la Bundesbank. Dans certains Etats membres, la politique monétaire n’est pas en mesure de produire pleinement ses effets, estime la BCE. A quoi la Bundesbank rétorque que les écarts des taux d’intérêt du marché ne sont pas antinomiques avec une politique monétaire commune.
Manipulations politiques
La posture adoptée par la BCE est la preuve qu’elle est elle-même devenue prisonnière de la stratégie de sauvetage par la voie politique. La mission de la BCE n’est pas d’assurer la pérennité de l’Union monétaire. Les écarts de taux observés entre les pays et les entreprises de la zone euro ne relèvent pas d’une défaillance, mais sont l’expression du risque perçu par les opérateurs de marché, lesquels se fondent sur les études de solvabilité et la situation économique de chaque pays. Lorsqu’une banque centrale intervient de manière ciblée en faveur de certains Etats, dans le but de garantir à un pays des taux réduits, c’est une mesure de politique budgétaire faisant appel à la redistribution.
L’argument selon lequel la BCE serait en mesure de supporter toutes les pertes est curieux. En cas de désintégration de la zone euro, les fonds propres de la BCE se volatiliseraient avant que Mario Draghi n’ait le temps de s’en apercevoir. Par ailleurs, comment le rachat d’obligations peut-il relever de la politique monétaire s’il est soumis aux critères du fonds de sauvetage ?
Sur le dossier grec, par exemple, la Bundesbank montre que les allégations des banques centrales, qui affirmaient ne pas avoir d’autre choix, ont fini par devenir réalité. Athènes a décroché de nouveaux financements alors que les conditions du plan de sauvetage n’étaient pas respectées et que les ministres des Finances avaient mis le holà à tout nouvel engagement financier.
Pendant ce temps, même le Fonds monétaire international a reconnu avoir commis des erreurs et rappelle que la Grèce ne peut supporter ses dettes. En Irlande et à Chypre aussi, les banques centrales se sont laissé manipuler par la politique. En Irlande, la banque centrale finance un cinquième de l’activité économique. A Chypre, l’Eurosystème en finance même 60%. La hausse des taux d’intérêt que préconisent hypocritement des élus en campagne au chevet des épargnants est tout bonnement impossible, car elle provoquerait le naufrage des pays renfloués.
Traduction : Jean-Baptiste Bor