Central Park
Mahattan. Un soleil d’hiver, froid diffuse une lumière jaune sur Central Park. De la 110e rue au nord, la 8e avenue à l'ouest, la 59e rue au sud , l’oasis de verdure dans cette ville verticale apparaît immense. Le Jacqueline Kennedy Onassis Reservoir s’étend sur presque toute la largeur du parc. Au cœur de cette urbanisation effrénée, à la spéculation galopante, Central Park s’offre comme une lumineuse exception.
New York N°10 1971 huile sur toile Jacques Monory
New York n° 10 de Jacques Monory représente également une lumineuse exception dans l’oeuvre du peintre. En 1969 Monory effectue son premier voyage à New-York. Dans cette ville magique, le peintre, appareil photo à la main, capte image après image un matériau considérable. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il produira une série de douze toiles sur le thème de New-York.
Le bleu Monory
Du rêve, la peinture de Monory a la couleur bleue depuis quelques années déjà. Ce bleu manifeste, selon la formulation de Jean-François Lyotard, “cette profonde érosion des rapports chromatiques (…), elle est la pulsion de mort agissant dans le champ des couleurs”. Jacques Monory confirme cette analyse : “Cet insupportable avènement de la mort, j’essaie de l’agrémenter du faste de la tragédie, le colorer de la froideur du roman noir, du thriller bleuté, du délire glacé d'un romantisme dérisoire”. Déjà en 1968 les "Meurtres" puis ensuite "Velvet Jungle » « Situation », « Mesures », toutes ces séries révèlent, toile après toile, le symptôme de ces « maladies virales de la société » selon Jean Baudrillard, maladies virales présentes dans le bleu de Monory nous dit Jean-Luc Chalumeau.
"New York N° 10"
New York N° 10, dans le rêve du peintre, bascule et le tableau sera monochrome jaune « parce que ce jour là, dit-il, j’ai vu Central Park tout jaune ». Une autre hypothèse surgit : ce jaune envahissant ferait écho à une anecdote de son enfance liée aux projections en plein air des cinémas ambulants, où l’on mettait, devant la projection noir et blanc un filtre bleu pour représenter la nuit et un filtre jaune pour évoquer le jour. En outre la toile imposante avec ses plus de cinq mètres de largeur, adopte le format panoramique du cinéma hollywoodien.
Dans cette immensité de Central Park, quelque chose se passe, une histoire invisible, une narration énigmatique dont nous n’aurons pas la clef apparaît : un visage féminin, anonyme occupe la partie gauche basse du panoramique. Sur la partie inférieure de la toile court une inscription de chiffres et de lettres entremêlés où l’on peut déchiffrer les mots « Sibérie », « beauté », « gouffre », « blessé », « jamais », « séparée ». Pour Jean François Lyotard, «Le tableau Monoryen est ainsi fait (techniquement comme on dit) qu’il a toujours l’air d’une illustration. Il paraît illustrer un écrit qui est absent. Pour comprendre l’image, on est conduit à se fabriquer le texte qu’elle illustre, à faire oeuvre de littérature, même mineure ».
Pendant le temps de ce tableau unique, le peintre se serait-il guéri un moment de ce bleu obsédant et glacé pour donner à cette vue de Manhattan la couleur d'un moment privilégié, d'un souvenir heureux que nous n'arriverons pas à décrypter ? Ce jour là Monory a peut-être exprimé le besoin de voir le monde avec ce filtre complémentaire indissociable du bleu qui, très vite, retrouve, dans ses toiles, la place privilégiée.
Photo:éditions IMAGO
"New York n°10"
1971
Huile sur toile
195 x 520 cm Chaque panneau : 195x130cm