C’est toujours un plaisir de venir à la Polka Galerie, pour la coquetterie du quartier, pour le lieu en plusieurs parties emboitées, et surtout pour la qualité des expositions.
Jusqu’à cet été (au 3 juillet pour le premier et au 3 août pour les deux autres), il sera possible de voir 3 belles expositions photos très différentes.
Sur le fil du rêve, Gérard Uféras
En suivant l’acuité du regard de Gérard Uféras, on convient aisément de son qualificatif comme expert du cadrage. Ses images nous livrent en effet des détails infimes, qui rendent esthétique une scène anodine. Ayant travaillé pendant des années dans les coulisses de l’Opéra partout en Europe, il s’est tourné presque naturellement vers le monde de la mode.
De cet univers dont il ne connaissait pas encore les ficelles, il a trouvé une passion semblable à celle qu’il a rencontrée dans la danse. Son dernier ouvrage, Dior, 30, rue Montaigne, a été publié en novembre 2012 et c’est à cette occasion que la Galerie présente quelques uns de ses travaux issus de la mode. Il a exposé à la Maison européenne de la photographie, une rétrospective d’environ 20 ans de travail, intitulée « États de Grâce » et à l’Hôtel de ville pour une exposition appelée « Paris d’amour ».
Son travail révèle ici véritablement le hors-champ, et le quotidien des gens qui peuplent l’univers de la mode. Il découpe, saisi et sélectionne, un geste, une situation, une attitude ou une expression. Ce qui saute aux yeux c’est l’esthétisation du geste et de la posture des modèles qui apparaissent dans une lumière étudiée, dans des situations diverses, aux moments de la préparation, lors de répétitions, ou lors de moments de détente. J’ai aussi apprécié la réflexion entre les corps réels et les corps de tissu des mannequins qui servent à ajuster et à reprendre les tenues. L’image raconte avec ses codes, une histoire en se passant de mot, en communiquant directement avec l’imaginaire du visiteur.
Home Works, Joakim Eskildsen
Le monde de Joakim Eskildsen est onirique, baigné d’une lumière diaphane et où la brume enveloppe délicatement les choses. L’attention est clairement portée à la Nature et à sa beauté élémentaire.
Le travail qu’il effectue sur « Home Works » est inspiré par la maternité de son épouse, et s’inscrit dans l’observation attentive et documentaire d’un quotidien. La démarche adoptée par Joakim Eskildsen ici est celle qui lui correspond, puisqu’il aime suivre ses sujets et partager leur vie un moment, et de faire naitre ses images d’une relation avec son sujet, qui révèle sa vision sincère et affectueuse. Il place ses sujets, dans une Nature merveilleuse, celle qui surgit de « ses rêves et de ses désirs », loin d’une vérité brute qu’il ne souhaite pas représenter.
Son reportage dépeint ses enfants dans l’immensité des paysages, magnifiés par la lumière claire et pure. Intime, sa vision révèle les scènes journalières les plus anodines (comme ses enfants prenant leur petit-déjeuner) avec la force d’un contexte, d’une histoire que l’on se raconte en voyant les photos. Cette série invite à la contemplation, à l’appréciation de cette lumière nordique, et qui reflète l’intention première de Joakim Eskildsen : « photographier son environnement au gré des lumières et du temps ».
Gunkanjima, Yves Marchand & Romain Meffre
Passionnés par les sites en ruines, les deux photographes français Yves Marchand & Romain Meffre forment leur duo en 2002. Ils documentent ainsi des sites en friches, en région parisienne, avant de partir en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne…) et à l’international. Ils fixent les vestiges d’un passé monumental, façonné par l’industrie, aux Etats-Unis (et notamment dans les villes de Détroit et de Motor City) ou au Japon comme ici dans la série exposée. Dans ces îlots oubliés, la ruine s’intègre à la ville et au paysage urbain, devenant courante. Ils initient à cette époque leur série dont les images sont connues, des « Movies Theater », des espaces de réception ou de spectacle datant de l’âge d’or d’Hollywood.
Dans leur reportage sur Gunkanjima, issus de deux séjours d’observations en 2008 et 2012, ils cherchent en documentant les lieux, non seulement à mettre à jour les dérives économiques de la société qui délaisse ce lieu dans le paysage, mais aussi à comprendre à travers l’architecture, la culture d’une époque, et du même coup à imaginer les lieux animés et fonctionnels.
J’ai découvert les lieux, grâce à l’article très bien cartographiéé et documenté progressivement par de véritables reportages photos de qualité par Jordy Meow, dans son article Gunkanjima, l’odyssée
Les deux photographes aidés par un pêcheur local ont pénétré les lieux, dont l’accès est désormais interdit. Le temps s’est arrêté, et l’île subit les assauts de la Nature qui la ronge de l’intérieur ou qui la frappe de plein fouet lors des typhons. En explorant les lieux, ils ont fait état des infrastructures mises à la disposition des ouvriers à l’époque : hôpital (dont on voit quelques pièces, dont la chambre remplie de bouteilles de perfusion vides), bibliothèque, ou salon de beauté. Dans cet espace construit sur la mer, malgré les efforts pour ne pas couper les ouvriers et leur famille, du reste du monde, il est compliqué de ne pas se sentir esseulé, au milieu des hautes constructions bétonnées et de l’immensité de la mer.
L’architecture livre des bizarreries, des liaisons d’immeubles et de pièces improbables à l’aide de passerelles et d’escaliers qui rendent l’ensemble biscornu et infini. Les habitations sont sommaires et certaines pièces sont collectives (toilettes, salles de bains ou cuisines). Ci-dessous « Jigokudan, l’escalier de l’enfer »
Après le ravage de la bombe atomique à Nagasaki, Hashima participe à la reconstruction et connait son âge d’or en 1959. C’est à ce moment que fleurissent les bars, les restaurants ou le cinéma. L’île est approvisionnée de l’extérieur, y compris en terre qu’elle utilise pour créer des jardins sur les toits des immeubles. A la fin des années 1960 pourtant, elle commence à se dépeupler, notamment lorsque le pétrole remplace le charbon, et ce, jusqu’en 1974 à la fermeture de la mine. L’écrivain Brian Burke-Gaffney, lui consacre un ouvrage documenté intitulé The Ghost Island, publié en 1996. On y trouve les témoignages de personnes y ayant vécu, dont Suh Jung-woo qui raconte « Quatre ou cinq mineurs mouraient par mois dans des accidents. [...] Aujourd’hui, les gens appellent Hashima l’île cuirassé, pour nous, c’était une île prison sans espoir de fuite. » Aujourd’hui, un ancien habitant Dotoku Sakamoto, a créé une association pour la défendre et la faire classer au patrimoine mondial de l’UNESCO.
A voir :
Sur le fil du rêve, Gérard Uféras – Home Works, Joakim Eskildsen – Gunkanjima, Yves Marchand & Romain Meffre
Polka Galerie
12 rue Saint Gilles
75003 Paris