Hors du champ médiatique et du contexte passionnel, le débat sur la fin de vie et la douloureuse question de la fin de vie est relancé
notamment par les auditions de la mission d'évaluation de la loi Léonetti qui viennent de s'ouvrir. Dans cette dynamique, l'espace éthique de l'Assistance
Publique des Hôpitaux de Paris a proposé d'en analyser les problématiques. Des concepts complexes qui posent questions depuis de nombreuses années et ressurgissent régulièrement au gré de
l'actualité, dans un contexte souvent passionnel.
Les dernières situations de Humbert ou plus récemment celle de Chantal Sébire ont relançé le débat toujours tabou sur la légalisation de
l'euthanasie. Jean-Pierre Gaudefroy a choisi, bien que de manière contradictoire, de légitimer sa question par la citation
d'un journaliste « c'est l'honneur du politique, sa plus haute mission, que de légiférer sur l'essentiel d'une société, la vie et la mort ». Dans son allocution, le sénateur reprend
également des propos du docteur Chaussoy écrivant : « Il faut une sage-femme pour mettre l'homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l'accompagner dans
ce monde et l'aider à bien le quitter »
Il a été rappelé par Emmanuel Hirsch que c'était Henri
Cavaillet, sénateur radical du Lot-et-Garonne, qui avait déposé en 1978 la première proposition de loi relative au droit de vivre sa mort, lequel avait aussi présidé en son temps l'Association
pour le droit de mourir dans la dignité. Toute la difficulté de la démarche est d'éviter d'emblée de tomber dans un discours manichéen où tout est bien, où tout est mal selon le point de
vue.
Un débat public apaisé est nécessaire
Le débat médiatique doit aujourd'hui faire place à un débat raisonné. Car nos concitoyens ne comprendraient pas, notamment parmi les
personnes âgées (souvenons-nous du triste épisode de la canicule de l'été 2003) qu'avec 70% des malades qui meurent à l'hôpital (voire 94% dans des régions très urbanisées comme à Paris), que les
responsables politiques et les professionnels continuent d'ignorer d'ignorer les attentes fortes de la population autour de l'accompagnement familial et médical vers la mort.
Les termes de ce débat sur la question de la fin de vie ont été correctement posé par le sénateur en rappelant qu'il « met en cause
deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie d'une part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme d'autre part. » Il a par ailleurs
rappelé que « la question est difficile à aborder parce qu'elle fait appel à des convictions morales ou religieuses ; il me semble néanmoins que, dans un pays laïc, la morale religieuse,
fort respectable au demeurant, ne saurait empêcher de légiférer. »
Entre méconnaissance de la loi Léonetti et manque de moyens
C'est pourquoi avant d'envisager de changer la loi, il semble nécessaire d'en évaluer les effets. Cette démarche de bilan a déjà
commencé. Ainsi, Marie de Hennezel a remis au ministre de la Santé en octobre dernier un rapport, intitulé « La France palliative », dans lequel elle note la très grande ignorance de nos concitoyens et même du corps
médical sur le contenu de la loi Léonetti: « c'est seulement lorsque les professionnels de santé seront informés de la loi et formés aux bonnes pratiques que la loi Léonetti sera enfin
appliquée. » Marie de Hennezel avait aussi noté la responsabilité des pouvoirs publics dans un autre aspect que celui de la communication ou de la formation : « j'ai constaté néanmoins,
en allant sur le terrain, qu'il y a un décalage important entre les efforts faits par les établissements et les soignants pour améliorer la prise en charge de la fin de vie, et les moyens dont
ils disposent pour assumer cette mission. » A ce sujet, on se souviendra que Roselyne Bachelot, à l'occasion du suicide assisté de l'actrice Maïa Simon, partie en Suisse pour mettre fin à
ses jours arguant que cela n'avait rien à voir avec l'euthanasie, avait également indiqué que le "développement massif des soins palliatifs" constituait la piste à suivre. Il est à craindre que
les patients en fin de vie tout comme les personnes démunies qui pensaient bénéficier du fameux RSA fassent tristement les frais des coupes sombres dans le budget de la santé. Il est vrai que
l'on répond aux gestionnaires quelques peu pointilleux que « tout est dans le budget ».
Après trois ans d'application de la loi Léonetti son évaluation vient juste de débuter dans le cadre d'une mission parlementaire, présidée par l'auteur du texte. Cette idée de confier
l'évaluation de la loi à celui qui y a travaillé peut-être le plus au point d'en porter le nom me semble a priori être un mauvais choix. Car d'aucuns ne manqueront selon les conclusions de
l'évaluation d'en tirer des arguments polémiques quelque soit le sens de la conclusion.
Les positions gouvernementales dans l'attente de celle de l'Élysée
Dans ce contexte on comprend donc mal qu'en marge de ce débat sur une possible révision de la réglementation, les ministres de la Santé
et de la Justice ont déjà chacune exposé leurs positions. Tant Roselyne Bachelot qui a clairement indiqué que le médecin n'était pas celui qui tue, et rejetant ainsi toute idée d'euthanasie
alors qu'au mois d'Octobre elle avait précisé, interrogée par Jean-Michel Apathie, qu'elle ne "fermait pas la porte" à une éventuelle évolution de la loi sur la fin de vie. De son côté, Rachida
Dati s'est d'emblée opposée à toute « dépénalisation » un terme curieux dans un débat censé traiter du malheur d'une vie, un terme qui renvoie à des sujets sur l'usage de drogues,
vraiment bizarre. Au point que l'on est en droit de se demander si, au moment même où le Président de la République fait démonstration de son autorité pour faire taire les couacs, derrière ces
recadrages ministériels ne se positionne pas le Président de la République lui-même. Ainsi, je reste surpris de l'empressement de la Ministre de la Justice à rappeler que, suite à l'acquittement
de Lydie Debaine par la Cour d'assises du Val d'Oise, le procureur général de Versailles avait fait appel de cette décision. Cette mère était accusée d'avoir tué sa fille de 26 ans lourdement
handicapée. « Notre droit n'admet pas que l'on donne la mort ». Que craint-elle en rappelant ainsi la triste et exigeante froideur de la loi là où on espérerait de la clémence
et de la compassion ? Craint-elle pour l'ordre public ? Non, mon sentiment est qu'il existe une frange importante des membres du gouvernement qui s'appuie non pas tant sur la raison que sur des
fondements moraux pour prendre partie dans ce débat. Cependant entre temps, le cas hypermédiatisé de Chantal Sébire a montré que quelque soit la législation, il existait des personnes au courage
exemplaire. On attend donc avec impatience les prises de positions d'autres membres du gouvernement comme Xavier Bertrand et Nadine Morano, secrétaire d'État. Mais, dans un contexte de
cafouillage, il est probable que ceux-ci restent prudents et attendent la position officielle de Nicolas Sarkozy, puisqu'aujourd'hui tout semble venir de lui. C'est cela la liberté d'expression
en France.
La revendication d'un cadre légal s'appuie sur l'évolution de la société
De leur côté, les tenants de la légalisation de l'euthanasie arguent du fait que dans le cadre de l'IVG, l'acte de mort est légalisé.
Nous sommes face à une évolution culturelle de la société. Pendant longtemps, l'objectif du médecin était de guérir les gens sans même avoir à leur exposer comment ni à recueillir leur avis.
Aujourd'hui, le patient est considéré comme un citoyen avec des droits et dans ce contexte le médecin s'affiche plutôt comme quelqu'un qui doit aider l'homme malade. La reconnaissance de la lutte
contre la douleur comme un objectif de santé publique rejoint les propos de notre débat. Car la douleur de la fin de vie, comme celle de Chantal Sébire et de bien d'autres, n'est-ce pas là la
douleur ultime ? Et quel doit être le rôle du médecin face à cette douleur ? Faut-il lui demander de continuer à l'ignorer ? Sous quel prétexte ? Au motif qu'il existe des valeurs supérieures
comme le respect de la vie ? Mais alors que fait-on du respect de la liberté du choix du patient ? N'a-t-il pas été trop longtemps infantilisé par un corps médical réfugié dans son expertise
doctorale ? Que fait-on du respect de la dignité de l'être ? Est-il digne de laisser souffrir un individu contre son gré ? Regardons ce qui se passe chez nos voisins, tel l'exemple de la Belgique
qui se demande actuellement comment prendre en compte la demande d'euthanasie des malades psychiatriques dits grands mélancoliques mais aussi des mineurs. Même après la légalisation de
l'euthanasie dans ce pays, le débat n'est donc toujours pas clos.
Voir le compte rendu analytique officiel des débats du 08 avril 2008