Preuve? Après avoir traité les manifestants de «vandales», de «jean-foutre» ou d’«extrémistes», le premier ministre, Tayyip Erdogan, alias le Sultan, a franchi une étape significative dans l’expression de sa propre escalade en affirmant que son gouvernement ne ferait plus preuve d’«aucune tolérance». Ne laissant aucun doute quant aux objectifs de sa détermination, il a précisé devant les députés de l’AKP: «Je m’adresse à ceux qui veulent poursuivre ces événements, qui veulent continuer à terroriser: cette affaire est maintenant terminée!» Quelques minutes plus tôt, l’homme avait envoyé ses brigades anti-émeutes pour reprendre sans ménagement la désormais célèbre et symbolique place Taksim. Les jeunes d’Istanbul ont résisté. La violence, souvent aveugle, s’est abattue. De quoi craindre le pire pour les jours qui viennent?
Face à cette jeunesse qui lutte pour la liberté et veut préserver les acquis démocratiques et laïcs en agissant pour la justice sociale et les droits de tous les citoyens, l’attitude brutale et aberrante d’Erdogan a quelque chose d’effrayant. Comme si les soubresauts de l’histoire contemporaine n’avaient jamais existé et étaient niés jusqu’à l’absurde. Prenons donc la mesure de l’événement : cette répression a déjà provoqué des morts et plusieurs milliers de blessés. Pourtant le mouvement populaire, qui s’étend à toute la société civile, ne semble pas faiblir malgré son hétérogénéité. Si les questions du voile ou de la limitation des ventes d’alcool relèvent d’une forme de despotisme insupportable dans une société qui aspire à la laïcité et à l’ouverture au monde, il en est une autre tout aussi fondamentale: le développement économique de la Turquie - réel - n’est pas encore synonyme de développement social pour le plus grand nombre, en particulier la jeunesse. Comment croire que cela n’a rien à voir?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 12 juin 2013.]