Cette fois, c'est un billet d'invité. Un grand merci à mon collègue Alex Mauron qui vous écrit aujourd'hui à ma place:
Le 22 mai, entérinant un vote préalable de la Chambre des députés, le Sénat italien a donné son aval à un essai thérapeutique d’un traitement à base de cellules souches mésenchymateuses tirées de la moelle osseuse. Trois millions d’euros sont budgétés pour cet essai, mis au point par un professeur de psychologie de la communication sans formation médicale, Davide Vannoni. Comme le relate le site Bio News, il n’y a pas une miette d’évidence scientifique à l’appui de ce traitement, si ce n’est de mystérieux articles dans des journaux chinois, articles que Vannoni et la Fondation Stamina qu’il dirige ne communiquent pas. Trois millions d’euros : une jolie somme si l’on considère la pingrerie du financement public de la recherche biomédicale en Italie. Selon le commentateur de Science, beaucoup jugent que cette décision est un moindre mal, car le décret antérieur prévoyait que ce traitement aurait pu être administré à des milliers de patients en dehors de tout contrôle. Mais ce sont bien 3 millions d’euros confisqués pour un essai clinique d’un traitement bidon, mais très officiellement mené sous l’égide de l’Agence italienne du médicament (AIFA). D’ailleurs, on suppose que les experts de l’AIFA sont moyennement enthousiastes d’être ainsi instrumentalisés. Leur directeur a été très clair devant la Commission des affaires spéciales de la Chambre : « la méthode Stamina utilise la même méthodologie pour toutes les maladies. Ça s’appelle de l’huile de serpent » (en français on dirait : de la poudre de perlimpinpin). D’ailleurs, en 2012, l’AIFA et le Ministère de la santé avaient interdit la poursuite d’un essai clinique pratiqué par la Fondation Stamina dans un hôpital public de Brescia pour cause de chaos dans le laboratoire et le suivi des patients.
En amont de la décision du pouvoir législatif, il y a un décret pris le 21 mars par le ministre de la santé Balduzzi autorisant le traitement compassionnel par la méthode Stamina pour un nombre limité de patients malgré le non-respect des réglementations sur les produits thérapeutiques, sans pour autant satisfaire les manifestants descendus dans la rue et exigeant l’accès au traitement pour tout malade « incurable ». Il faut dire que l’opinion publique italienne est travaillée au corps par des médias sensationnalistes qui donnent volontiers une tribune à des traitements « alternatifs » miraculeux dont un establishment médical borné priverait les patients – et surtout les enfants - atteints de maladies dégénératives. Ce mouvement est relayé par la magistrature, car certains parents persuadés que le traitement Stamina était le dernier espoir pour leur enfant ont obtenu des injonctions ordonnant l’administration du traitement.
L’interférence du politique et de la magistrature, cautionnant des traitements sans fondement scientifique contre lesquels ils ont en principe vocation de protéger le public, a suscité l’indignation de la communauté scientifique internationale. Dans une lettre à l’EMBO Journal, des chercheurs inquiets relèvent le danger que l’arrivée sur le marché thérapeutique de produits inefficaces et dangereux représente pour les malades présents et futurs. L’article décortique le traitement Stamina et du même coup donne un excellent résumé des enjeux méthodologiques de la recherche translationnelle.
La convergence entre la posture héroïco-sentimentale des charlatans et le cynisme des politiques n’a en soi rien de nouveau. Quinze ans plus tôt, l’affaire du Dr Di Bella et de son traitement miracle contre le cancer avait suivi un déroulement assez semblable. Mais s’agissant de cellules souches, une dimension idéologique s’ajoute à l’alliance banale de la crédulité, de l’appât du gain et des petits calculs politiques. Il s’agit de la fascination de l’Eglise catholique pour tout traitement à base de cellules souches adultes. On sait que le Magistère catholique actuel pense que l’embryon humain est déjà une personne, que le détruire est malum in se, que les cellules souches embryonnaires sont marquées du signe de Caïn et que par contraste les traitements utilisant des cellules souches sont merveilleusement innocents. Donc ipso facto efficaces ? Pas très logique, mais c’est bien ce wishful thinking qui tente un nombre croissant de catholiques. Le ministre Balduzzo n’est pas un intégriste mais quand même ancien président de l’Action Catholique des intellectuels (Movimento eccesiale di impegno culturale) et des groupements catholiques nettement plus radicaux encadrent les familles demandeuses du traitement Stamina et manifestent bruyamment à l’appui de leurs revendications. Quant au Vatican, il organise des pseudo-congrès scientifiques d’où les chercheurs contestant la ligne du Parti (c’est-à-dire les chercheurs intéressés aux cellules souches embryonnaires) sont exclus, offrant du même coup une tribune bienvenue à des entrepreneurs plus ou moins sérieux mais flattant opportunément les espoirs de guérison catholiquement corrects de milliers de familles. Comme le dit, sévère mais juste, le commentateur de Nature : « Scientifiquement naïf, le Vatican est attiré par le concept des cellules souches adultes simplement parce que les embryons ne sont pas impliqués – mais il semble ignorer les implications éthiques des faux espoirs ».
Ce serait injuste d’accuser l’Eglise catholique d’être systématiquement du côté de l’obscurantisme. Historiquement, elle a toujours été contre la « superstition », c’est-à-dire contre toute forme de crédulité qu’elle ne contrôle pas. Elle se méfie des thérapies alternatives relevant du New Age ou de religions exotiques, voire même de ses propres miracles s’ils sont insuffisamment validés à ses yeux. Mais lorsqu’un traitement paraît qui cadre si parfaitement avec ses dogmes moraux et ses obsessions embryologiques, toutes ses ressources critiques semblent s’évaporer et L’Eglise catholique se montre capable d’être aussi post-moderne que n’importe quel relativiste ordinaire : « J’ai d’excellentes raisons de souhaiter que ce traitement marche. Donc il marche ».