Thierry Alet
Cahier d’un retour au pays natal
Fort – de – France
1998
La première performance fut sans doute réalisée par Jacqueline Fabien (Martinique) lors de l’exposition Empreintes contemporaines en 1987.
Habdaphaï a été aussi très actif dans ce domaine.
Trois siècles en trois jours de Thierry Alet (Guadeloupe) fait date. En 1994, Thierry Alet, encore jeune étudiant s’installe sur la petite place Monseigneur Roméro, en face de la Cathédrale de Fort – de – France, capitale de cent mille habitants, sans musée ni centre d’art, peu informée des derniers développements de l’art contemporain ou même de l’histoire de l’art. Il prend l’initiative de cette performance de trois jours où il se réapproprie et réinterprète en public, successivement sur la même toile, neuf chef –d’œuvres de l’histoire de l’art : Caprice architectural de Canaletto ( 1765), Les hasards de l’escarpolette de Fragonard ( 1768), Le Serment d’Horace de David ( 1784), l’Angélus de Millet ( 1858),La Grande Odalisque d’Ingres ( 1814), Impression soleil couchant ( 1872), Les demoiselle d’Avignon de Picasso ( 1907), Marilyn Monroe de Warhol (1967), Dime a dozen de Jean – Michel Basquiat ( 1983) . Un monochrome gris couvrira les couches successives, intégrant celui- ci dans la série Les œuvres Invisibles. Appropriation, citation et esthétique relationnelle sont invitées fugacement dans la capitale foyalaise artistiquement endormie.
Thierry Alet
Cahier d’un retour au pays natal
Fort – de – France
Quatre ans plus tard, Thierry Alet réalise une intervention urbaine, inscrivant certains extraits du Cahier d’un Retour au Pays Natal d’Aimé Césaire dans des délaissés urbains, au coin des rues, sur le sol d’un quartier populaire de Fort – de – France, Les Terres Sainville. Cette intervention urbaine appartient à sa série des Manuscrits. Les textes sont choisis avec soin par Thierry Alet, poèmes de Damas ou de Césaire, Painted Words de Tom Wolf, discours de Bush et Ben Laden ou encore Le Prince de Machiavel. Même s’ils font sens, ce n’est pas la fidélité au texte qui prime mais le geste. Le mode de retranscription très rapide et ses conséquences en sont la preuve. Ce qui compte c’est le tracé impulsif, l’engagement de tout le corps dans cette retranscription nerveuse, tremblée, où les mots ne sont que la matière première. La ponctuation ou les blancs sont supprimés. Certains mots ou passages sont omis. Ces peintures souvent réalisées dans le cadre d’interventions In situ, en fonction de l’espace auquel elles sont destinées jouent sur l’interaction entre l’œuvre et le lieu.
Christian Bertin
Diab là
Paris 2010
Plus récemment, en 2010, Christian Bertin (Martinique) dont l’œuvre donne à voir la blesse, ce mal être social antillais, réalise à Paris en 2009 puis à Liverpool en 2010, deux performances. En résidence à Paris, pour souligner à quel point les artistes antillais sont peu connus et reconnus par le milieu de l’art parisien et contester le système artistique, il parcourt la ville pendant cinq jours, habillé avec élégance mais traînant derrière lui, à la manière d’un clochard, un étrange chariot, un diable surmonté d’un masque de carnaval rouge. Sous l’œil étonné des passants à qui il distribue des textes d’Aimé Césaire, il arpente des lieux symboliques, des sites culturels majeurs, le Musée Beaubourg, le Musée Picasso, La Sorbonne, le Panthéon, le Sénat, Le Pont des Arts, Les Jardins du Louvre, Les Tuileries, Présence Africaine, Giverny, comme pour signifier que, lui aussi, y a sa place. Li Diab là se veut aussi une référence au texte d’Aimé Césaire racontant qu’une vénérable vieille paysanne de Dalmatie qu’il cherchait à aider à transporter une charge lourde lorsqu’il était en vacances en 1935 chez son ami Petar Guberina s’était enfui en hurlant s’imaginant avoir croisé le Diable lui-même. A Liverpool, c’est la problématique économique mondiale et le poids que peut y avoir la Martinique en matière d’exportation qu’il questionne à travers Sinobol à vendre. Déformation de l’anglais snow ball. C’est une boisson populaire et bon marché, vendue aux Antilles, dans la rue les jours de fête, composée de glace pilée et de sirop aromatisé.
Cependant, Victor Anicet (Martinique) a été le précurseur de telles pratiques. De retour à la Martinique en 1967 après ses études artistiques à Paris et à Londres, démuni face à l’absence de structuration du milieu artistique et de lieux de monstration, sans financement pour une quelconque production artistique, il peint en noir et blanc des fresques relatives à l’histoire de la Martinique sur des panneaux de contreplaqué qu’il charge sur sa petite voiture. Professeur de collège en semaine, il parcourt les communes rurales le dimanche et installe ses panneaux sur le parvis des églises à l’heure de la Grand’ Messe afin de nouer le dialogue avec les fidèles, leur proposant une relecture de leur propre histoire. Il est extrêmement regrettable qu’aucune photo de cette action novatrice pour l’époque et inspirée par la structuration inexistente de la diffusion des arts en Martinique n’ait été conservée .
Dominique Brebion