On s’en souvient (vaguement) : le candidat Hollande avait promis, outre quelques ruisseaux de miel et de lait, des fesses roses aux bébés et des retraites heureuses aux anciens. Le président Hollande, pour conserver son pouvoir, va cependant devoir fermer le robinet à miel et à lait, arrêter la distribution de talc et réformer les retraites. Ou, au moins, faire comme si.
Et c’est donc après avoir ramené la retraite à 60 ans (pour les salariés ayant commencé jeune, scrofuleux et avec un pied bot) avec la sagacité qui caractérise les démagogues débonnaires que notre président a décidé, à l’odeur de la situation générale qui ne sent plus trop la rose, de lancer une grande et belle réformichette de la retraite afin de sauver (une fois encore) ce système par répartition qui, comme chacun le sait, fait saliver le reste du monde.
Pour cette tâche, qu’on imagine fort ingrate, il a désigné ce dont le pays avait vraiment besoin : un super-Ayrault, qui redressera les comptes, réformera les retraites et guérira les écrouelles (enfin pour les écrouelles, on verra demain, car aujourd’hui il doit aller voir où en sont les travaux de l’aéroport Notre-Dame des Landes). Cette courageuse remise à plat d’un système presque séculaire a été saluée comme il se doit par toute l’intelligentsia politique de Paris comme en témoigne par exemple la palpitante exégèse de laMalgré cette volée de steaks dodus et roboratifs, on comprend bien sûr que cette « réforme » sera du même acabit que les précédentes : de la dentelle législative finement ouvragée, toute en nuances subtiles et aérée comme du coton d’Égypte, ménageant toutes les susceptibilités et plus encore. Bien sûr que l’État ne peut plus attendre ! Bien sûr que la réforme est indispensable pour faire croire qu’on veut et qu’on peut sauver quelque chose ! Bien sûr qu’Ayrault va batailler avec les partenaires sociaux, entre deux bâillements et un petit somme sur les bancs de l’Assemblée, pour obtenir — à l’arrachée — un magnifique texte de Rénovation de la Retraite en France qui sera proclamé, ubi et orbi, trompettes et cors inclus, dans les journaux télévisés pour assurer aux Français que leur système social tiendra le coup.
Car il n’a pas le choix : il lui faudra faire bonne figure ou déclencher l’ire de ses concitoyens.
Mais pour la réforme de fond, celle qui remettra vraiment le système sur des rails solides, qui donnera une vraie perspective aux retraités de toucher, dans les cinq ou dix ans à venir, autre chose que des clopinettes marqué « Don de l’Etat Français » dessus, n’y comptez-pas. Il faut être chroniqueuse à Europe 1 et béatement amoureuse du socialisme appliqué par la fine équipe de Hollande pour voir dans Ayrault un chevalier de la réforme. En réalité, le petit rond de cuir villageois va nous enfumer comme ses prédécesseurs, et le système de retraite continuera cahin-caha comme devant, vers son destin funeste et inévitable. Même si le pesant carrosse vermoulu n’avance plus très vite, il versera dans le fossé, écrasera les chevaux salariés et tuera, plus ou moins vite, ses passagers endormis.
Car la solution, tout le monde la connaît. Elle est économiquement balisée, assez simple à comprendre … mais politiquement impossible à faire passer ; et elle sera donc oubliée entre la page 173 et la page 789 du copieux rapport qui sera pondu suite aux moulinets oratoires qui s’enchaînent actuellement sur le sujet. Cette solution, c’est la capitalisation, sans laquelle il n’y aura pas de salut. Et pour la façon d’y arriver, d’autres pays ayant expérimenté le trajet avec succès, on sait déjà comment on peut procéder.
Mais, comme je l’ai dit, cette capitalisation est politiquement impossible : d’une part, le mot est tabou. D’autre part, une telle réforme nécessitera de remettre à plat tout le système, et concernera donc tous les retraités.
Tous les retraités ?
Non. Un petit village de plusieurs millions de fonctionnaires résiste à l’envahisseur ultra-turbo-libéral et refusera catégoriquement toute modification à ses privilèges. Et alors même que les (âpres) négociations n’ont pas encore commencé entre patronat, syndicats et État, une chose est déjà dans les tuyaux ; la grève de la fonction publique aura lieu, motivée par les raisons habituelles : pas d’alignement du public sur le privé ! Jamais. Scrogneugneu.
Et pourquoi diable s’opposent-ils donc tant à cette réforme ? Pourquoi l’alignement strict des retraites du public sur le privé serait-il scandaleux alors que ceci répond vraiment à l’objectif d’égalité de tous devant les droits du merveilleux système social français ? Tous ces gens seraient-ils des socialistes de pacotille ? D’autant qu’en plus, outre ce vrai effort de solidarité et d’égalité, cet alignement permettrait aussi de gagner de précieuses années pour passer sans trop de casse à la capitalisation…
Peut-être cette opposition est-elle aussi forte parce que, précisément, la capitalisation, ils en bénéficient déjà et qu’après tout, c’est encore mieux si c’est un privilège à eux seuls réservé ? Allez savoir.
Enfin… Je dis qu’ils en bénéficient, je vais un peu vite en besogne.
Sur le papier, nos amis fonctionnaires ont effectivement la possibilité de bénéficier de ce genre de mécanismes qu’ils semblent résolus à ne pas voir appliqué aux salariés du privé. Mais si les structures qui gèrent ce genre de retraites sont aussi bien gérées que la MRFP, nos amis obstinés peuvent s’attendre à quelques déboires.
Et pour ceux qui ont un peu perdu de vue les aventures de René Teulade, rappelons simplement que l’ancien ministre et sénateur PS avait été à la tête de la Mutuelle Retraite de la Fonction Publique (MRFP) qui, après de nombreuses années à ses bons soins (1974 – 1992), a terminé sa course dans une faillite mémorable. Faillite qui aura conduit Teulade au procès dans lequel il fut condamné à 18 mois de prison avec sursis et 5.000 euros d’amende pour abus de confiance et dont l’appel va se dérouler dans les jours qui viennent.
Fâcheuse coïncidence avec l’actualité, ne trouvez-vous pas ?
Surtout si l’on se rappelle que le même Teulade fut ancien député suppléant de … François Hollande, en Corrèze, et que le président lui avait accordé toute son amitié en octobre 2012 — au grand dam des cotisants à la défunte mutuelle, spoliés par Teulade — allant jusqu’à déclarer, je cite : « Je salue les présidents qui ont marqué l’histoire de votre organisation. René Teulade auquel je suis lié par une fidélité corrézienne (….) »
Surtout si l’on se rappelle que Hollande, dans ce cadre, pourrait être appelé comme témoin, et qu’il avait clairement dit, pendant sa campagne, qu’en tant que président, il ferait tout pour aider à la manifestation de la vérité, quitte à témoigner : « Moi, président de la République, j’aurai à cœur de me rendre à la convocation de tel ou tel magistrat. »
Surtout si l’on se rappelle que le brave président a laissé la Corrèze dans un état catastrophique, faisant de ce département l’un des plus endettés de France par habitant (sa dette sera passée de 300 à 345 millions pendant qu’il y sévit), à coup d’iPads pour collégiens et autres dépenses ridicules.
Bref : on aura bien du mal à trouver dans la gestion de cette mutuelle, et les liens présidentiels, un quelconque argument en faveur des socialistes en matière de gestion, que ce soit des retraites ou d’autre chose…
Ce pays s’est acharné, pendant les presque 70 ans qui ont suivi la Libération, à distribuer des petits privilèges et des passe-droits à chacun, de façon différente, en faisant croire à tous que c’était économiquement tenable, quitte à faire des promesses absurdes et à endetter les générations futures. Pour la retraite, il en a été comme pour le reste : on a patiemment construit un système où chacun avait tout intérêt à tirer la couverture à lui, en utilisant le levier de la répartition pour gommer des injustices de plus en plus fortes. Mieux : comme le prouve la petite histoire ci-dessus, on a placé à la tête d’organismes de gestion de ces retraites de parfaits aigrefins qui ont, chacun à leur façon, amené le pays dans la position catastrophique qu’on connaît actuellement. Et maintenant que l’addition arrive, une partie du peuple refuse obstinément tout ajustement ou tout compromis, pendant que l’autre, toute aussi butée, frétille de joie à l’idée d’avoir placé au pouvoir de besogneux bureaucrates aux desseins exclusivement personnels et aux compétences plus que douteuses.
Franchement, je peine à voir en France une issue réjouissante au problème des retraites avec de telles prémices…