Sylvie Lhoste
J'ai lu hier sur Facebook un post d'un membre du Collectif Les morts de la rue...
« Ce matin, une collègue était à une réunion de coordination des maraudes à Paris 17e. Ils ont été informés que "plusieurs opérations d'OQTF [obligation de quitter le territoire français] vont avoir lieu dans les prochains jours, surtout envers les Roumains." Des riverains ont été témoins d'une opération ce week-end dans le quartier de la Goute d'Or (18e), et 9 personnes ont été emmenées de l'avenue des Ternes. Cela ressemblerait à des rafles, disent les témoins, ils seraient envoyés vers le centre de rétention de Vincennes avant d'être expulsés ».
Et en cherchant à en savoir plus sur la toile me voici confrontée à des descriptions de rafles, de violences policières, de conduite en centres de rétention...
Hallucinant ! Lisez : vous aurez peut-être comme moi le sentiment de ne plus être du tout dans le pays de la Liberté, de l'Egalité et de la Fraternité...
Et qu'on ne me parle pas non
plus de point de Goldwin : il y a belle lurette qu'il est dépassé par les agissements des dirigeants que nous sommes de plus en plus nombreux à nous demander s'ils sont bien ceux que
pour lesquels nous avons voté...
Nous reproduisons deux témoignages de la rafle au faciès qui s'est déroulée dans un quartier de Paris le 6 juin 2013. Une personne qui se trouvait sur les lieux et l'un des étrangers embarqués racontent.
« Jeudi 6 juin dans l'après-midi, une rafle comme on n'en voyait plus depuis la guerre d'Algérie ou depuis les grandes vagues d'expulsions de squatts au début des années 1980, a eu lieu à Barbès. Pendant presque deux heures tout un quartier a été bouclé, les gens ne pouvant plus ni entrer ni sortir, bloqués par des centaines de flics de toute sorte arrivés à bord de dizaines de véhicules, quadrillant la zone jusqu'à la Gare du Nord, La Chapelle, Château Rouge et Anvers (ndlr. Ces.quatre stations de métro délimitent un losange d'un kilomètre d'est en ouest, un peu moins du sud au nord).
A l'intérieur du périmètre qui comprenait la rue de la Goutte d'Or, la rue des Islettes et une autre rue parallèle à la rue des Islettes, les flics se déploient. A l'extérieur du périmètre ils sont apparemment aussi extrêmement nombreux. Divers contrôles sont effectués : papiers et ventes à la sauvette, hygiène dans les établissements (d'après ce que disent certains commerçants mais ça je n'ai pas vu).
Des gens commencent à s'entasser aux différents check points. Protestations molles, entre résignation et agacement. Très vite, à l'intérieur du quartier bouclé, beaucoup moins de "vrais gens" que d'habitude et une multitude de patrouilles de robocops qui interpellent au faciès. Comme souvent, délit d'extranéité et de classe sociale sont de mise, à savoir que les cibles principales du contrôle sont les Africains qui ressemblent à des mecs qui viennent d'arriver du bled.
A chaque fois qu'ils en capturent, les bleus appellent victorieusement leur central avec leur talkie pour annoncer combien ils en ont attrapé. Puis ils les ramènent vers des bus d'embarquement sur le boulevard Barbès. Apparemment tout un staff technique et bureaucratique était installé dans les cars.
A un moment, une vieille dame juive a attrapé un jeune sans papier qui était capturé et elle a dit que c'était son fils. Les flics voulaient quand même l'emmener car évidemment ils ne la croyaient pas mais elle criait et s'accrochait au jeune homme et ils ont finalement du le lâcher.
Quand les flics bouclent un quartier ils sont plus ou moins obligés de relâcher les barrages qui empêchent de sortir et entrer dans le quartier pour la sortie de l'école. Du coup ils ont ouvert les barrages à 16h25.
Mais attention, ouvrir les barrages et laisser les gens circuler dans le quartier ne signifie pas que les contrôles vont s'arrêter... Au contraire, et de fait plein de gens se sont fait attraper comme ça. Voyant que certains flics en uniforme partaient et que les camionettes de CRS qui barraient les rues se poussaient, pas mal de personnes, sans doute réfugiées dans des halls, sont sorties de leur cachette... Mais c'était sans compter avec des groupes de civils qui par quatre ou cinq ou six sillonnaient le quartier, pour certains avec des camouflages assez réussis (le rasta, le gars qui ressemble à un sans papier, la fille déguisée en jeune de quartier), et contrôlaient et arrêtaient les gens.
Les personnes arrêtées étaient alors conduites menottées dans des bus stationnés à ce moment-là sous le métro au carrefour Barbès. Le dernier bus rempli est parti vers 16h30.
Dans cette apathie déprimante où on a l'impression que les gens sont menés à l'abattoir dans la passivité la plus totale, si ce n'est quelques ronchonnements individuels (Mais on est prisonniers dans notre quartier) ou désabusés (Ah ici c'est comme ça ils cherchent les cigarettes, les sans papiers, pff). Ca finit toujours par entrainer des personnes qui n'osaient pas se lancer pour protester et par se transformer en petit rassemblement, ce qui permet de discuter de ce qui se passe. Ca met un rapport de solidarité minimal mais essentiel entre les gens arrêtés et les autres qui y ont échappé.
Plus tard, au rassemblement pour l'assassinat de Clément Méric nous avons appris qu'une partie des gens emmenés dans les bus avaient été conduits au commissariat de la rue de Clignancourt, ce qui a provoqué des cris de « Les fascistes assassinent à Saint Lazare ; le PS rafle à Barbès ».
Un appel à se rendre au commissariat de la rue de Clignancourt pour 20h30 a donc circulé. La rue était bloquée à la circulation par plusieurs camionettes et un bus de la police qui sert à transporter les gens arrêtés dans les manifs. Les premières personnes arrivées ont constaté que dans ce bus posté juste devant le commissariat étaient parqués plusieurs sans-papiers. Quelques autres sortaient libres. Ils nous ont dit que dans le commissariat ils avaient été triés : certains comme eux pouvaient sortir et d'autres qui allaient être conduits au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes étaient montés dans le bus.
Cela faisait plusieurs heures que ces derniers étaient enfermés là sous une chaleur écrasante, sans pouvoir boire ; manger, aller aux toilettes. Sans attendre l'heure du rassemblement, des slogans ont commencé à fuser « Liberté », « Solidarité avec les sans-papiers » auxquels les dizaines de personnes emprisonnées dans le bus ont répondu chaleureusement en criant eux aussi et en tapant sur les vitres.
Très vite les flics ont violemment repoussé les quelques personnes présentes en bas de la rue à grand renfort de coups de tonfas, coups de pieds, insultes, … Très vite, alors qu'en bas de la rue quelques autres personnes commençaient à arriver, le bus a démarré, protégé par un grand renfort de flics dont certains étaient flashball à la main. Nous n'avons pu qu'unir nos slogans à ceux des gens qui étaient enfermés à l'intérieur.
Le lendemain nous avons su qu'une quarantaine de personnes étaient enfermées au centre de rétention de Vincennes. D'autres sont peut-être dans d'autres centres de rétention. Les gens arrêtés devraient passer devant un JLD mardi ou mercredi s'ils ne sont pas expulsés d'ici là. (ndlr. Le Juge des Libertés et de la Détention, intervient seulement au cinquième jour de rétention pour juger de la régularité de la procédure)
Témoignage d'un sans papiers arrêté lors de la rafle de Barbès et conduit au CRA de Vincennes.
Ils ont encerclé Barbès et ils contrôlaient « au visage », tous les Arabes, les Noirs... Ils étaient très méchants et ne respectaient personne. Ils sont arrivés vers 14 heures et gueulaient après tout le monde dans la rue. Il y a des gens, ça fait dix ans qu'ils sont ici et ils n'avaient jamais vu ça.
Moi je sortais de chez le coiffeur et c'est un policier en civil qui m'a arrêté. C'était comme Guatanamo. Ça veut dire quoi ? Parce que on est arabe, on est des terroristes, ou quoi ? On a risqué notre vie sur un bateau, on est passé par Lampedusa et ici il n'y a pas de liberté.
On a cru qu'on était en Tunisie. On n'a pas de problème avec les gens ici, on a un problème avec les flics. Ensuite ils nous ont amenés au commissariat de Clignancourt, on était 40 dans une cellule et on ne pouvait pas respirer. Et si on protestait, les flics disaient : « Ferme ta gueule. Pourquoi vous êtes venus ici, Restez chez vous ! ».
Il y avait aussi un vieux touriste marocain au commissariat, sa famille a apporté ses papiers et il a été libéré. Quel accueil touristique !
Devant le commissariat il y avait des dames qui n'étaient pas d'accord et qui criaient « Liberté ! » Et les flics les ont frappées.
On doit être 40-50 de Barbès au CRA. Même en Tunisie la prison c'est pas comme ça.
Personne ne mange.On a décidé de faire la grève de la faim la semaine prochaine. La prison c'est mieux
parce que là je ne sais ce qui va se passer demain. Il n'y a pas de solution. Si on passe le Carême [Ramadan] ici on va
brûler le centre. »
Centre de rétention de Vincennes, vendredi 7 juin 2013
9e collectif des sans-papiers
Depuis la première de ces manifestations à proximité du domicile du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, tous les dossiers présentés en Préfecture par le 9ème collectif sont systématiquement bloqués, vraisemblablement sur instruction du ministre exécutée par le Préfet de police Bernard Boucaut.
Des dossiers présentant toutes les conditions requises pour obtenir une régularisation, y compris suivant les règles particulièrement restrictives de la nouvelle circulaire, sont arbitrairement rejetés.
Pire encore, la semaine dernière, un sans-papiers du 9ème collectif s’est
vu signifier une Obligation à quitter le territoire alors même qu’il réside en France depuis 23 ans.
Face à ces scandaleuses mesures punitives, lors de la manifestation d’aujourd’hui, le 9ème collectif a demandé un rendez-vous au cabinet du Préfet, afin de pouvoir s’en expliquer, la situation de blocage des dossiers étant particulièrement intolérable.
La réponse de la préfecture aura été un refus catégorique. Après plus de trois heures d’encerclement, empêchant comme chaque semaine la manifestation de se dérouler normalement bien qu’elle soit déclarée, la police aura procédé à notre expulsion forcée avec la plus grande brutalité.
Matraquage, coups de pieds, étranglement, bras tordus, tabassage au sol, les violences physiques se sont multipliées contre les manifestants pacifiques qui ne faisaient que demander leurs droits.
Ces violences ont provoqué des réactions des passants, scandalisés par ce spectacle de personnes manifestement inoffensives violentées par de très nombreux CRS particulièrement agressifs. Ces citoyens qui se solidarisaient ont été à leur tour repoussés brutalement, y compris les femmes se faisant malmener.
Les brutalités policières, tout comme la violence administrative qui consiste à empêcher arbitrairement toute régularisation, constituent une persécution particulière contre des sans-papiers qui ne font que revendiquer leurs droits légitimes.
Rappelons que jeudi dernier à Barbès, le lendemain de l’assassinat d’un jeune militant antifasciste, la police du ministre socialiste Manuel Valls a fait procéder à la plus grosse rafle de sans-papiers jamais vue aux temps de la politique extrêmement violente mise en œuvre sous Nicolas Sarkozy ces dernières années.