Quelle crédibilité accorder ŕ l’Aerion ? Aucune réponse satisfaisante ne peut ętre apportée ŕ la question, bien que des moyens financiers importants soient investis dans le projet depuis 10 ans déjŕ : un biréacteur ŕ 8/12 places, capable de voler en croisičre ŕ Mach 1,6, de franchir de longues étapes, ŕ commencer par la traversée de l’Atlantique Nord, et qui devrait ętre vendu 80 millions de dollars environ. Les responsables du projet, qui se disent pręts ŕ passer ŕ l’action pour autant qu’ils trouvent un partenaire industriel, affirment avoir réuni une cinquantaine d’intentions d’achat. Ils espčrent en vendre 400 exemplaires en 15 ans, une estimation empreinte d’optimisme quand on se souvient des ordres de grandeur beaucoup plus modestes avancés jadis par Dassault Aviation, Gulfstream, Sukhoi et d’autres.
Le directeur général d’Aerion, Doug Nichols, un ancien de Boeing qui ne se départit pas d’une grande conviction, vient de faire une déclaration surprenante : le concept retenu pourrait ętre extrapolé pour donner naissance ŕ un appareil de dimensions beaucoup plus importantes, celles de Concorde. De quoi susciter des espoirs fous, sans que l’on sache, lŕ encore, ce qu’il convient d’en penser.
Sur papier, l’Aerion (notre illustration), est une bien belle machine, apparemment modérément novatrice au plan de la technique. Depuis le début des études, menées dans le Nevada, il est en effet prévu d’équiper l’appareil de deux Pratt & Whitney JT8D Ťdétarésť, ce qui intrique. En effet, c’est un moteur de conception ancienne, dont le principal mérite est tout simplement d’exister, et il serait maintenant question de lui substituer un autre type de propulseur de type non précisé.
Toutes considérations financičres mises ŕ part, c’est lŕ que tout se joue. De hauts responsables de Dassault, il y a plusieurs années, nous avaient dit que le SSBJ (SuperSonic Business Jet), sorte de super Falcon Mach 2, ne serait pas lancé faute de moteur adéquat, sans doute ŕ cycle variable. A sa maničre, Snecma avait rétorqué qu’il serait possible de développer un tel propulseur, ŕ condition d’y consacrer une somme considérable, en pratique irréaliste. On attend donc qu’Aerion s’explique sur ce point.
Le dossier américain, fréquemment qualifié de concept de ŤTime Machineť, n’en continue pas moins d’avancer pas ŕ pas. Ainsi, sur le plan de l’aérodynamique, l’équipe d’Aerion, faite de grandes pointures, croit beaucoup aux vertus du contrôle de la couche laminaire. Un profil particulier d’aile a été mis au point et, depuis peu, il est testé en vol, sous forme d’un élément de dimensions réduites, sur un F-15B propriété de la NASA. Ce qui permet de noter que l’agence témoigne d’un intéręt concret pour les travaux d’Aerion.
Le financement est assuré grâce aux fonds propres de Robert Bass, milliardaire tout droit sorti des pages de papier glacé de Forbes, et dont la fortune personnelle, venue du pétrole, atteindrait 22 milliards de dollars. Cet homme est forcément un grand passionné d’aviation, sans quoi il mettrait son argent ailleurs. Il s’est assuré les services de scientifiques reconnus qui incitent au respect. Mais Aerion n’est qu’un bureau d’études et, aussi brillant soit-il, il lui manque la possibilité d’établir des liens avec un industriel. Et c’est lŕ que le bât blesse, des contacts réputés prometteurs n’ayant, jusqu’ŕ présent, donné aucun résultat. Le coűt de développement du projet serait de 2,5 milliards de dollars, chiffre invérifiable et probablement sous-estimé.
Chacun n’en souhaite pas moins que l’Aerion devienne réalité. Si son aérodynamique Ťde pointeť ne permet pas de supprimer les nuisances nées du bang sonique, interdisant de ce fait le survol des continent, ŕ vitesse hautement subsonique (Mach 0,95 ŕ 0,99), l’avion garderait son sens, au plan économique s’entend. Mais, pour entériner de tels propos, il faudrait qu’un autre motoriste entre en scčne. Ou encore que Pratt & Whitney témoigne d’une grande imagination. Ce qui n’est évidemment pas impossible.
Pierre Sparaco-AeroMorning