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Goûtu onirisme

Publié le 10 juin 2013 par Ladytelephagy

Hannibal

Le "buzz". Un petit mot qui circule à la vitesse de la lumière, comme, prétendûment, le concept sur lequel il porte. Le buzz, c'est le bouche-à-oreilles, non, plus discret encore, c'est ce petit bourdonnement dans le fond de votre tête qui semble souffler en permanence le titre d'une série qu'il faut absolument que vous regardiez. Mais qui vous a dit cela ? Tout le monde et personne à la fois.
C'est comme ça qu'un dimanche soir, on se met devant Hannibal. En jetant, sans même avoir vu les premières images du pilote, des coups d'oeil derrière soi (il faut vraiment que j'installe des rétroviseurs à mon bureau !). Pas rassurée. Je suis une chochotte, Bryan Fuller ne va faire qu'une bouchée de moi, c'est sûr !
Et puis finalement, non, ça va. Je m'attendais à pire. Le pire est peut-être à venir, c'est possible aussi. C'est très possible aussi. Mais, anesthésiée par le buzz, je serais presqu'un peu déçue de n'avoir pas plus été mise au défi. De n'avoir pas senti une petite remontée acide, quelque chose...
Attendez, non, stop. On arrête tout. QUOI ?!
Depuis quand est-ce que l'on recherche dans une série : le dégoût ? A quel jeu terriblement malade et dangereux joue-t-on quand on guette le moment où Hannibal, ou n'importe quelle autre série, va devenir vraiment écoeurante ? Je ne vous parle pas des litres de sang, ou des éventuelles scènes un peu choquantes, non, le spectateur qui se met devant Hannibal attend vraiment qu'on lui sorte le grand jeu. On ne s'attable pas devant une fiction sur un cannibal à l'intelligence perverse pour regarder des flaques de sang ! On veut des hauts le coeur, on veut détourner sincèrement les yeux, on veut pouvoir dire qu'on a quand même regardé une scène particulièrement atroce. Se met-on réellement devant Hannibal pour se faire peur, ou plutôt pour guetter quand le pire va se produire ?
Le pilote de Hannibal se joue de ces attentes. Avec un délice qui n'est pas moins pervers, on nous conduit à attendre, avec le même état d'esprit malsain que celui des deux protagonistes principaux, le moment où OH MON DIEU NON, le moment où le tabou va être franchi. Et ces séquences-là, Hannibal rechigne à les servir tout de suite, pour les servir sous forme de scènes de cuisine ou de gastronomie raffinées. Vous avez voulu être révulsés ? Pas de chance, Hannibal a sorti l'argenterie.
C'est qu'on est taquin, dans le cerveau de Fuller... Joueur, c'est sûr. Un peu mauvais aussi, dans le fond.
Au milieu de tout ça, Hannibal délivre dans un tout autre registre. Un registre qui n'a que peu à voir avec la dégustation d'organes humains. C'est, une fois de plus, dans le monde de l'imaginaire que Bryan Fuller va chercher ses délires, et non dans l'ostensible.
Curieusement, c'est le "gentil" qui se révèle le plus ignoble à suivre au quotidien pour le spectateur, en la personne de Will Graham. Torturé, mais surtout doté d'un cerveau fonctionnant de façon un peu atypique (il se décrit comme proche de l'autisme et d'Asperger), Will est capable de penser comme des sociopathes... comprendre qu'il est capable de partager une partie de leur fonctionnement, et même de leurs fantasmes. L'aspect cauchemardesque de Hannibal se loge là-dedans. Dans ces séquences qui échappent au contrôle de Will, et où il ressent la pulsion de destruction (mais de destruction animée de sentiments, et avide d'une certaine beauté, en un sens) de ceux qu'il traque.
Le pilote va passer beaucoup plus de temps à nous effrayer au sujet de Will, et des images proches de l'hallucination qui lui apparaissent, qu'à nous rappeler que Lecter représente un danger. Après tout, le second sait se tenir et se contrôler, quand le premier est totalement victime de ses visions, de ses pulsions, de ses envies, et même de son propre corps, comme ses suées le prouvent. C'est assez brave d'en avoir fait le "gentil", celui sur lequel le spectateur fait mine de compter pour rétablir la vérité et peut-être même la Justice, quand il apparait comme plutôt évident qu'il ne fait pas le poids face à un Dr Lecter méticuleux, attentif, pesant le moindre de ses mots, et au regard scrutateur.
Le mélange n'aboutit pas au résultat anticipé, c'est certain. Mais c'est tant mieux. Le raffinement de la réalisation parachève l'impression de se faire trimbaler par un showrunner qui prend un plaisir morbide à nous donner envie du pire, tout en nous permettant d'attraper, du bout des lèvres, quelques morceaux de cauchemar esthétisé : "vous voulez de l'horreur ? Vous voulez vous écoeurer un peu vous-mêmes de regarder Hannibal ? Eh bien soit, mais même ça, vous ne l'aurez pas de la façon attendue".
On s'en délecte, on s'en lèche les babines à l'idée d'en déguster une nouvelle bouchée. Mais de vous à moi, je n'aime pas trop la téléphage que Hannibal révèle. Il n'y a pas de rétroviseurs pour garder un oeil sur celle-là...

Challenge20122013


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