Le catalyseur Méric

Publié le 09 juin 2013 par Copeau @Contrepoints

Les événements se bousculent. L'actualité s'accélère. Le pays, sortant à peine d'un mois de mai hivernal, trottine rapidement dans le mois de Juin en gardant exclusivement à l'esprit un été que tout le monde désire douillet, calme et reposant. Ces petites foulées rapides ont cependant bien du mal à cacher la dégradation franche de l'humeur des coureurs.

François Hollande, qui serait Président de la République française, part au Japon pour serrer quelques mains, tenter de vendre un peu de produits du terroir aux locaux alors que leur pays est en plein coma économique. Sur place, parfaitement égal à lui-même, il enchaîne bourdes et balourderies avec la prestance naturelle d'un cachalot échoué sur une plage de la Manche et son légendaire charisme d'abribus éteint.

Pendant ce temps, la France trottine, sur plusieurs autres actualités. Hollande au Japon ? Ah bon ?

En effet, pendant qu'il voyage, l'UMP a fini par déterminer, à la suite d'une procédure aussi rocambolesque que ridicule, que Nathalie Kosciusko-Morizet sera la candidate officielle du parti à la mairie de Paris. La crédibilité du scrutin étant aussi solide que celle de la candidate, certains présagent déjà une réussite flamboyante à la hauteur des enjeux et de la cohérence générale de la droite ces derniers douze mois. Au train où vont les choses, la candidate officielle du PS, Anne Hidalgo, peut quasiment faire imprimer un petit "Fluctuat Nec Mergitur" sur ses cartes de visite. Du reste, même si elle n'est pas élue, les cartes une fois imprimées pourront très bien servir pour sa rivale tant les deux socialistes sont interchangeables : les Parisiens devront probablement faire dans la spectrographie pour mesurer l'écart réel des deux programmes qu'elles vont nous présenter.

Et toujours pendant que le Président et sa concubine renouvellent le comique vestimentaire, la droite s'organise mollement pour 2017 avec un match Fillon - Sarkozy qui s'annonce déjà pathétique ; entre l'ex-président excité et l'ex-premier atone, on voit mal ce qui pourrait passionner les foules. En outre, le simple fait que ces deux lascars puissent imaginer que tout pourra se passer comme sur du velours pour encore quatre ans, que ces deux loustics puissent se pouiller pour devenir président d'une république dont on sait qu'elle sera complètement en faillite à ce moment là, tout ceci donne une bonne idée du décalage à la réalité qui anime les bonshommes. Je n'évoque pas Copé, les yeux rivés sur 2022, tant son cas relève de la psychiatrie lourde.

Pendant ce temps, la France trottine encore. NKM à Paris ? Fillon vs Sarkozy ? Ah bon ?

En fait, le peloton français s'est clairement scindé. Magie du socialisme réel et appliqué, le Président des Bisous est parvenu à faire en un an ce que Sarkozy, aussi nul et agité fut-il, n'a pas réussi à faire en un quinquennat complet. Les médias et pas mal de politocards avaient lourdement insisté sur le risque que comportaient les manœuvres sarkoziennes de monter une France contre une autre : les fonctionnaires contre les salariés du privé, les retraités contre les actifs, les "de souche" contre les nouveaux arrivants, chaque débat lancé par Sarkozy semblait propice à déchirer la société française. Le bilan du quinquennat fut nettement plus pastel, ce qui n'empêcha pas Hollande d'insister vouloir revenir à une France apaisée.

Après un an, le constat est terrifiant : non seulement, la France n'est pas apaisée, mais elle n'a jamais semblé aussi proche de mouvements de foules massifs et violents. Le mariage homosexuel aura servi, ici, de déclencheur : en quelques mois, on est passé d'un vague, très vague débat de société (qui n'intéressait au premier chef qu'une toute petite minorité de personnes) à des manifestations multiples rassemblant des centaines de milliers de personnes, s'opposant de façon plus ou moins calme à ce que le pouvoir en place tente de faire passer.

À ces modifications sociétales décidées cavalièrement se sont ajoutées les bricolages laïcards et sexuels des ministres, dans l'éducation et dans la magistrature.

Pour aider encore à la roue de l'apaisement, on entend à présent les murmures chuintés de complots militaires tentés par une droite alternative, loin des partis officiels (du reste, peut-on blâmer sans réserve la grogne des militaires alors que les soldes continuent de tomber de façon irrégulière au point que le Ministère mette un numéro vert à disposition des soldats ?)

Mais si ces événements disjoints forment, à l'évidence, des raisons possibles pour deux France de se former, l' "affaire Méric" semble jouer le rôle de catalyseur dans cette séparation. Comme souvent, il faut un événement grave, lourd d'implications, pour cristalliser les opinions et faire sortir les réactions les plus animales des tripes des uns et des autres. La mort du jeune extrémiste de gauche lors d'une rixe avec des extrémistes de droite qu'il avait provoqués aura permis à toute une classe politique de s'exercer à l'art nauséabond de la récupération de cadavre. Abandonnant tout recul ou toute pudeur, continuant sur leur folle lancée basée sur ce mensonge d'une France über-raciste si flagrant qu'il n'échappe même plus à la presse (pourtant première pourvoyeuse de ce mythe), les politiciens s'en sont donné à cœur-joie pour pointer les vilains petits canards noirs en oubliant consciencieusement leur propres vilains canards. Ce faisant, ils ont encore accéléré la scission entre les deux France, celle effarouchée de se découvrir remplie de la production féheuconde de la bèheuteu immonheudeu, et celle qui constate surtout que personne ne s'occupe plus, pendant ce temps, des réponses indispensables aux questions fondamentales qui s'entassent.

Devant la réaction de rejet d'une partie importante des Français aux belles paroles courroucées de ces politiciens d'opérette, résistants contre une hydre fasciste de carton-pâte, sur les réseaux sociaux, dans les commentaires des sites de presse, on peut se demander combien d' "événements Méric" il faudra encore pour que la séparation soit actée, évidente, et avec elle, son lot de débordements ?

Oui, comme je le disais en introduction, la semaine qui vient de s'écouler en France fut particulièrement symptomatique. En quelques jours, l'actualité nous a offert ce que la France produit de plus détestable, de plus veule et de plus médiocre. Ce fut comme si toute la clique médiatico-politique avait appuyé, d'un commun accord, sur la touche "avance rapide" de la vie française, pour nous propulser plus vite encore vers l'instant où tout va partir en sucette dans un immense feu d'artifice coloré, mais ni citoyen, ni festif, et franchement pas bisou. Parce qu'à présent, la question n'est plus de savoir si l'on peut éviter ce basculement, ni s'il s'approche encore (tout le monde en est convaincu). La seule incertitude qui demeure, c'est le paramètre vitesse.

Et tout montre que certains s'emploient à l'augmenter.
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