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Assistance sexuelle pour les personne handicapées : tribune de Léo Serfati, membre du PRG 67

Publié le 27 mai 2013 par Julienviel
Des débuts difficiles pour l’assistance sexuelle en France

Depuis quelques années, plusieurs associations militent « en faveur d’un accès effectif à la vie affective et sexuelle des personnes majeures en situation de handicap »1 et réclament la mise en place d’assistants sexuels.

 

Le débat a été relancé au mois de mars lorsque le Conseil général de l’Essonne avait émis la proposition de créer un service d’assistance sexuelle aux personnes handicapées avant de se raviser et de voter l’ouverture d’une « réflexion sur la formation des professionnels […] aux enjeux de l’éveil et de l’accompagnement dans la sexualité des personnes lourdement handicapées »2.

Deux semaines plus tôt, le 11 mars 2013, le Comité consultatif national d’éthique avait rendu public son avis relatif à la vie affective et sexuelle des personnes handicapées du 4 octobre 2012. Dans cet avis, le Comité adoptait une position défavorable même s’il reconnaissait des droits liés à la sexualité.

Avant d’étudier cet avis, je rappelle que le Comité consultatif n’a, comme son nom l’indique, qu’un avis consultatif qui ne lie personne dont l’objectif est uniquement d’aiguiller les pouvoirs publics sur des sujets éthiques, tels que l’euthanasie ou les mères porteuses. Le débat continue donc de plus belle en France et chez ses voisins, comme le Luxembourg, qui n’ont pas encore légalisé l’assistance sexuelle pour les personnes handicapées.

Comme pour la plupart des récents sujets de société et d’évolution des mœurs, la France est assez frileuse et je pense qu’il faudra attendre encore quelques années pour voir apparaître des assistants sexuels dans notre pays. Par exemple, la France vient seulement de légaliser le mariage pour tous.

 

Personnellement, je n’avais pas beaucoup réfléchi à la question. Etant moi-même handicapé, j’avais déjà médité dessus mais n’avais pas éprouvé le besoin d’approfondir la réflexion et encore moins de mettre celle-ci par écrit. L’assistance sexuelle pour personnes handicapées était d’ailleurs souvent un sujet de plaisanteries avec mes auxiliaires.

Puis, j’ai lu l’article du 20 minutes concernant la proposition du Conseil général de l’Essonne3. A ce moment-là, j’ai commencé à réellement me demander de quel droit des personnes handicapées pourraient profiter gratuitement de prestations sexuelles. Ma position était assez claire : j’avais l’impression qu’on allait donner, aux personnes handicapées, plus qu’une compensation, un privilège. J’ai alors décidé de rédiger un article pour exprimer mon opposition à cette décision.

J’ai donc effectué des recherches pour alimenter mon article et, au fur et à mesure de ces recherches, je me suis rendu compte que la question était beaucoup plus compliquée qu’elle n’en avait l’air au premier abord. Ainsi, ma position s’est nettement nuancée.

 

Dans mon analyse, je ne parlerai pas de la sexualité des personnes atteintes d’un handicap mental car j’estime que je n’ai pas assez de connaissances sur le sujet et que la question est autrement plus compliquée que celle de la sexualité des personnes atteintes d’un handicap moteur. Mais elle doit faire l’objet de tout autant de réflexion.

 

Ensuite, j’exclurai la vie affective car je pense qu’elle peut être détachée de la vie sexuelle. Et puis, qu’entend-t-on par vie affective ? Comment pallier les manques dans ce domaine ? Une amélioration de la vie affective de personnes handicapées peut se faire par plusieurs moyens ( faciliter les sorties, renforcer l’accessibilité… ) mais pas par des prestations sexuelles. Je ne pense pas qu’un assistant sexuel puisse répondre à ces besoins, contrairement aux besoins sexuels qui sont assez facilement définissables et exprimables.

De plus, les carences en terme de sexualité ne signifient pas forcément qu’il y a des manques dans la vie affective et vice versa.

 

Une fois ces limites posées, il est nécessaire de réfléchir aux moyens les plus adaptés de réduire au maximum les inégalités entre les personnes valides et les personnes handicapées, ce qui n’est pas une tâche simple. L’aide apportée aux personnes handicapées ne doit pas être considérée comme un privilège et doit être proportionnée au handicap.

Pour illustrer, prenons l’exemple de la S. N. C. F. qui a, d’après moi, trouvé un bon équilibre pour le transport des passagers handicapés ayant besoin d’être accompagnés. Les accompagnateurs ne paient pas leur billet alors que les passagers handicapés paient le tarif normal. Ce système est plus intelligent que la mise en place d’un tarif handicapé. Et si le passager handicapé n’est pas accompagné, une assistance pour monter et descendre du train est proposée.

A l’inverse, les dispositions légales sur le temps supplémentaire pour les personnes handicapées passant un examen ne rétablissent pas l’égalité entre les candidats car le même temps est donné aux candidats atteint d’un handicap quel qu’il soit. On pourrait s’inspirer de la nomenclature des Maisons départementales des personnes handicapées pour établir un temps supplémentaire particuliers à chaque handicap.

C’est pour cela que je pense qu’il faut débattre de chacun des besoins et non d’une manière globale de façon à y répondre le plus justement possible. Je parlerai de trois grandes catégories de besoins : l’assistance aux couples de personnes handicapées dans leurs rapports sexuels, la réponse aux « pulsions », comme les appelle le Comité d’éthique, des personnes qui ne peuvent pas se masturber et la réponse aux besoins de rapports sexuels des personnes handicapées qui n’en ont pas.

 

Tout d’abord, il y a le problème des couples qui, du fait de leur handicap, ne peuvent pas faire l’amour sans assistance. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’une aide doit leur être apportée. Comment imaginer une relation de couple sans rapports sexuels ? Refuser de mettre en place cette aide reviendrait, en quelque sorte, à leur refuser une vie de couple. Les relations sexuelles, je le rappelle, sont même un des devoirs du mariage. D’ailleurs, le Comité d’éthique ne s’y oppose pas :

« L’une des personnes auditionnées a évoqué l’exemple de l’aide à apporter à un couple de personnes handicapées motrices dont aucune n’a la possibilité physique de se rapprocher de l’autre. Cette situation appellerait l’intervention d’un aidant, intervention à laquelle on ne voit pas en quoi il pourrait être licite de s’opposer. »

La seule solution dans ce cas serait de former des assistants qui aideraient les couples en fonction de leurs handicaps.

 

La deuxième assistance sexuelle faisant l’objet du débat est celle qui peut être apportée à des personnes ne pouvant pas se masturber. Ce besoin que j’évoque n’est pas le désir d’avoir une relation sexuelle dont je parlerai plus tard mais simplement le fait de satisfaire ce besoin. Pour moi, la distinction est importante puisque, dans le premier cas, le besoin est purement physique, tandis que, dans le second, il y a en plus un bien-être psychologique.

Cette aide à la masturbation est, d’après moi, tout aussi nécessaire que la première. Cette assistance fait en revanche beaucoup plus débat. Certains font valoir que des assistants masturbant des personnes handicapées sont assimilables à des prostitués. Des associations militant en faveur de cette aide affirment que ce n’est pas le cas4. Les juges estiment quant à eux que pratiquer la masturbation contre rémunération relève de la prostitution5. De ce fait, former et payer des assistants sexuels dans ce cadre serait un délit de proxénétisme.

Pour ma part, faire appel à des assistants sexuels pour masturber des personnes handicapées est disproportionné par rapport au but qui est seulement la satisfaction physique quand on sait qu’il existe des appareils capables d’atteindre cet objectif.

J’ai fait un sondage auprès d’une dizaine d’auxiliaires en leur demandant s’ils seraient prêts à masturber des personnes handicapées et s’ils accepteraient d’installer des masturbateurs. Sans grand étonnement, tous ont répondu négativement à la première question ; en revanche, la moitié seraient d’accord d’installer des masturbateurs et vibromasseurs, sous réserves, pour certains auxiliaires, d’avoir reçu une formation.

De plus, le fait que ce soit un appareil qui effectue cette tâche pourrait enlever une partie de la gêne éventuelle ressentie par la personne handicapée vis-à-vis de l’auxiliaire et ressentie par l’auxiliaire vis-à-vis de la personne handicapée. L’auxiliaire installerait le sex-toy, le mettrait en route, partirait accomplir une autre tâche dans une autre pièce ( excepté, bien sûr, dans le cas des handicaps qui nécessitent une attention permanente ) et reviendrait un peu plus tard.

Cette solution serait un bon équilibre car elle permettrait de satisfaire les besoins sexuels des personnes handicapées, tout en restreignant au minimum le contact physique avec l’auxiliaire/aidant. Cette méthode serait aussi celle qui serait la plus proche de la masturbation que pratiquent les personnes valides seules.

En me basant sur le petit échantillon de réponses que j’ai pu recueillir, il ne m’apparaît pas trop compliqué de trouver des auxiliaires acceptant d’installer ces appareils.

 

Enfin, on peut envisager une troisième aide sexuelle avec la participation directe d’un assistant ( caresses, masturbation voire relation sexuelle ). Pour certains, cette aide se justifie parce qu’ils considèrent que le handicap peut être un frein pour les rencontres. Je ne pense pas que le handicap soit la cause directe d’absence de relations sexuelles, même s’il peut y contribuer plus ou moins fortement. On ne peut pas affirmer que les personnes handicapées ayant une vie sexuelle épanouie soient des exceptions. Evidemment, le handicap moteur peut compliquer les choses, mais n’est-ce pas le cas de ce que j’appelle le handicap social ? Par handicap social, je pense aux personnes renfermées sur elles-mêmes, n’ayant pas confiance en elles ou n’arrivant tout simplement pas à séduire. Pourquoi n’auraient-elles pas droit à une assistance sexuelle ?

Mais, à la différence des personnes handicapées, il leur est assez facile d’aller voir des prostitués. La solution serait donc d’aider les personnes à rencontrer des travailleurs du sexe.

Pour prendre l’exemple des escorts, que je connais un peu, la principale difficulté est de les contacter. La plupart ne répondant pas aux S. M. S., il est compliqué de convenir d’un rendez-vous. Ou alors, il peut être difficile de se rendre au rendez-vous sans aide. Les auxiliaires devraient pouvoir assister les personnes handicapées dans leurs démarches pour rencontrer sans risquer de se faire condamner pour proxénétisme.

En discutant avec une escort girl qui a des clients en fauteuil roulant, j’ai pris conscience d’une autre difficulté à laquelle je n’avais pas pensé. Pour bouger certaines personnes lourdement handicapées, il est nécessaire de les manipuler d’une manière précise pour ne pas leur faire mal ou se faire mal. L’escort girl faisait remarquer qu’une formation aurait pu l’aider.

Au premier abord, ce problème laisserait à penser qu’un assistant sexuel est la solution la plus simple pour le résoudre et répondre du mieux possible aux besoins sexuels des personnes handicapées.

Personnellement, je pense qu’il serait plus évident et plus logique de former des travailleurs du sexe au handicap que de former des professionnels du handicap à la sexualité. Comme le souligne le Comité d’éthique, dans les pays ayant légalisé l’assistance sexuelle, on fait appel à des prostitués pour ce travail. En effet, je pense que des travailleurs sexuels sont les mieux qualifiés.

De plus, comment financerait-on les aidants sexuels ? Serait-ce le contribuable, par l’intermédiaire du Conseil général, comme c’est le cas pour les auxiliaires ? Si cette solution était retenue, comment établirait-on les besoins ? Qui y aurait droit ? Quels seraient les critères ? C’est pour tout cela que je pense que faciliter la rencontre des personnes handicapées et des travailleurs du sexe serait bien plus juste par rapport aux personnes valides.

Mais avant de débattre sur cette assistance sexuelle, il est nécessaire de se lancer dans une réflexion sur la prostitution dans notre société. En effet, comment nier que ce type d’aide est similaire à la prostitution ?

D’ailleurs, dans la plupart des Etats ayant mis en place cette aide, la prostitution est légale alors que la France « tolère » la prostitution mais ne l’encadre pas. On peut aussi remarquer que la plupart des critiques faites à l’encontre de l’assistance sexuelle sont les même que celles visant la prostitution. Accorder des prestations sexuelles aux personnes handicapées sans éclaircir la situation de la prostitution reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs.

Pour insister sur le côté financier, il serait très coûteux de payer des prestations sexuelles aux personnes handicapées. Et puis, il y a une multitude de choses plus importantes, à mon sens, à faire pour améliorer la vie des personnes en situation de handicap. Par exemple, l’aide pour payer des auxiliaires de vie, en-dehors des associations, est très faible et, si on souhaite les rémunérer correctement, il faut mettre la main à la poche.

 

Mais, avant de terminer, je m’attarderai sur l’argument le plus absurde que j’ai lu dans l’avis du Comité d’éthique :

« Délivrer un service sexuel à la personne handicapée entraîne des risques importants de dérives. D’une part, les bénéficiaires sont des personnes vulnérables et susceptibles d’un transfert affectif envers l’assistant sexuel possiblement source de souffrance ; d’autre part, rien ne peut assurer que l’assistant sexuel lui-même ne va pas se placer en situation de vulnérabilité par une trop grande implication personnelle dans son service. »

Les personnes handicapées sont tout autant capables de faire la part des choses que les autres et tout aussi aptes à comprendre que la relation avec l’aidant/prostitué se limite au cadre professionnel. Affirmer l’inverse revient à rabaisser les personnes handicapées et à jouer sur des clichés.

Quant à l’aidant/prostitué, c’est à lui de savoir où s’arrêter, tout comme le font les auxiliaires de vie. De la même façon, rien ne peut assurer que l’auxiliaire de vie lui-même ne va pas se placer en situation de vulnérabilité par une trop grande implication personnelle dans son service.

 

La question de l’assistance sexuelle aux personnes handicapées est donc très loin d’être réglée dans une France assez conservatrice et les personnes handicapées risque de devoir encore attendre longtemps pour obtenir une aide dans leur vie sexuelle.

Léo Serfati, Membre du Parti Radical de Gauche du Bas-Rhin

1 Collectifs Handicaps et Sexualité OSE

2 Fiche d'action n° 20 annexée à la délibération de l'Assemblée départementale de l'Essonne du 25 mars 2013 relative au Schéma départemental 2013 - 2018 en faveur des personnes handicapées

3 Article publié dans le 20 minutes le 21 mars 2013

4 Association CH(s)OSE

5 Cour d'appel de Douai, 19 septembre 2007, n° 06/03866


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