département, il m’a semblé important de tenter de participer à l’enrichissement de notre mémoire collective.
Le mot mémoire a trop souvent ponctué les discours des uns et des autres, depuis ces dernières années. Pour ma part, je pense qu’il est par trop galvaudé ou instrumentalisé : « mémoire bafouée », « devoir de mémoire », « mémoire de l’histoire »… Bref, à chacun sa mémoire. Mais, dans une société qui questionne en permanence sa mémoire, il me semble qu’il est de notre devoir de célébrer celle de ses filles et fils valeureux.
A travers ces quelques lignes, je voudrais donc évoquer la mémoire d’un être exceptionnel qui vient de nous quitter avec la discrétion qui le caractérisait, je veux parler de Félix PROTO. Cet homme a été et restera pour moi un grand visionnaire, un grand bâtisseur. Je l’ai rencontré en 1986, alors que j'étais Président du Conseil de l'ordre des Architectes de la Guadeloupe et qu'il venait d'être élu à la Présidence du Conseil Régional de la Guadeloupe.
Cette rencontre a eu lieu dans un petit bureau situé rue Nassau, à Pointe-à-Pitre, siège du Conseil Régional installé à cette adresse par José MOUSTACHE, premier Président de cette nouvelle collectivité.
Mais pour ce faire, il m'a indiqué qu'il était nécessaire tout d'abord d'installer la Région à Basse-Terre de façon à être proche du pouvoir de décision et mieux négocier ainsi les projets de développement qu'il avait en tète. En quelques minutes, il m'a tracé sa feuille de route, son programme pour les 6 années à venir, c'est-à-dire, sensiblement l'ensemble des équipements que nous avons actuellement sous les yeux et dont nous profitons tous les jours, sans le savoir : Pour l'éducation, 7 lycées, le vélodrome Amédée Detraux, la mise en chantier de la Maison de la communication devenue plus tard l'Espace régional du Raizet…
En matière d’urbanisme, la liaison port/aéroport avec le pont de l'alliance, plusieurs déviations mises à 4 voies, de nombreuses routes, plusieurs passerelles… et l'Hôtel de Région, à Basse-Terre, que j’ai eu le bonheur de construire après un important concours d’architecture.
L’action de Félix PROTO n’était pas dictée par le hasard ou de quelconques lubies. Il avait toujours une vision juste et argumentée des projets qu'ils mettaient en oeuvre. Il pouvait jeter le trouble dans nos esprits remplis de certitudes. C’était « un Guadeloupéen convaincu» qui avait bien compris que la décentralisation était une chance exceptionnelle à saisir pour réaliser des projets d’envergure sur notre territoire. Il est de ceux dont la Guadeloupe peut s’enorgueillir. Au-delà de sa rare humilité, j’admire la force qu’il tirait de sa liberté de pensée et de sa non-allégeance au système. J’ai été frappé par l’absence de reconnaissance des « politiques » à son égard : ni médaille, ni distinction jusqu’à ce jour.
Mais faut-il rappeler l’adage selon lequel «nul n’est prophète en son pays» ? Heureusement, ailleurs, comme à la Nouvelle Orléans où il a été fait citoyen d’honneur de la ville, d’autres ont su reconnaître les qualités qu’il a montrées au cours d’une vie bien remplie, en toute discrétion, toujours au service de la Guadeloupe.
Dans l’autre grande activité de sa vie, la médecine, Félix PROTO n’a pas non plus démérité me semble t-il. Il n’a jamais eu de cesse, malgré son emploi du temps à la Région où il était présent dès 7 h du matin, même s'il s'était couché tard, de poursuivre ses consultations tant à son cabinet qu’à l'hôpital et, ceci, jusqu'au bout, c'est-à-dire il y a quelques jours encore. On a toujours dit de lui qu’il était le meilleur dans sa spécialité pour réparer les « gueules cassées ».
Pour toutes ces raisons, au nom de la profession, à la Guadeloupe tout entière, je voudrais tout simplement dire combien nous le remercions de nous laisser ce patrimoine remarquable dont il a été l'initiateur. Les plus jeunes d’entre nous, souvent à la recherche de repères, doivent garder dans un coin de leur mémoire tout ce qu’il aura contribué à apporter à notre pays sans rien attendre en retour.
Je sais cette figure timide n’aurait pas aimé entendre parler de lui en ces termes, mais il était de mon devoir de le saluer publiquement. Par-dessus tout, je voudrais que Jade, sa petite fille, notre petite fille, lise plus tard avec fierté ces quelques lignes, lorsque les hommages de circonstances se seront tus.
Architecte DPLG
03 Juin 2013
Les illustrations ont été rajoutées par Jean-Claude HALLEY