Que suggèrent aujourd’hui à un amateur d’art les termes art de la Caraïbe ? Une production singulière et exotique confinée sur son territoire ou bien quelques démarches individuelles fortes bien ancrées dans la contemporanéïté et largement diffusées ? Est – il d’ailleurs toujours pertinent de se ranger sous une bannière géographique ? Comment accroître la visibilité des artistes de l’arc antillais et dynamiser leur présence sur le marché international ? Au regard de cet objectif, quelle est la réalité actuelle ?
Aujourd’hui la Caraïbe reste encore sans doute à construire. L’Espace Caraïbe est un ensemble de 38 territoires de plus de 5,2 millions de km² soit 10 fois la superficie de la France métropolitaine alors que les îles de la Caraïbe font environ 235 000 km², l’équivalent de la superficie du Royaume-Uni. C’est une aire géographiquement, linguistiquement et politiquement fragmentée mais dotée de caractéristiques communes dues au processus partagé de créolisation. Cet air de famille est indéniablement perceptible dans les rythmes caribéens : calypso, soka, salsa, reggae, dancehall.
Après une longue période d’ignorance réciproque, des tentatives de coopération voient progressivement le jour dans les années quarante : commission anglo-américaine des Caraïbes, CARIFTA, CARICOM alors que, dans le même temps, la départementalisation de 1946 isole davantage les trois départements français des Amériques. Même si l’ancrage culturel des îles francophones au sein de l’archipel est de plus de plus fortement revendiqué, surtout à partir des années quatre – vingt, les rapports verticaux avec les puissances coloniales continuent d’être privilégiés et les échanges commerciaux au sein de l’archipel demeurent minoritaires. Ainsi au milieu des années quatre – vingt, seules deux entreprises métallurgiques de Martinique ont des partenariats avec la Caraïbe. Près de vingt ans plus tard, en 1998, la Martinique ne réalise toujours que 2,7% de ses relations économiques avec son environnement immédiat. Il n’y a pas en effet de transports efficients entre les îles où le niveau de vie reste très inégal. Les réseaux de distribution ne sont pas structurés et la barrière linguistique joue aussi un rôle non négligeable. Cependant les échanges informels persistent et les instances de coopération s’affirment davantage.
Sur le plan culturel des instances comme The Museums Association of the Caribbean ( MAC), The association of Caribbean University, research and institutionnal librairies ( ACURIL), the South Caribbean section of the international association of art critics (Aica Caraïbe du sud) fédèrent les professionnels. The University of the West Indies(UWI) accueillent trente neuf mille étudiants sur quatre campus à Barbade, Jamaïque, Trinidad, Antigua et Barbuda. L’intégration culturelle de la Caraïbe hollandaise, en 1992, est plus récente alors qu’un fort sentiment d’appartenance à l’aire latino – américaine persiste dans la Caraïbe hispanophone.
Pour ce qui concerne l’art contemporain, le rayonnement de la Caraïbe hors de ses frontières s’est construit à travers une dizaine d’expositions internationales : trois participations aux biennales de Sao Paulo en 1994, 1996,1998, Caribbean Visions : contemporary paintings & sculptures au Center of Fine Arts de Miami en 1995, Caribe insular : exclusiõn, fragmentacíon y paraíso au Museo Extrmeňo & iberoamericano à Badajoz & Madrid en 1998, Infinite island : contemporary caribbean art au Brooklyn Museum New-York en 2008, Afro Modern à la Tate Liverpool en 2010.
En France, il a fallu attendre 2009 et Kreyol Factory à la Villette pour qu’une manifestation d’envergure soit consacrée à l’art actuel de la Caraïbe. Et, en 2012, est attendu le grand projet Caribbean crossroad of the world, conçu par trois musées de New – York, le Museo del Barrio, le Queen’s museum, le Harlem Studio museum.
L’analyse de la liste des plasticiens sélectionnés pour ces manifestations laisse apparaître la référence particulière à neuf artistes: Christopher Cozier ( Trinidad), Anna Lee Davis ( Barbade), Ernest Breleur ( Martinique), Alex Burke( Martinique), Jorge Pineda (République Dominicaine), Mario Benjamin ( Haïti), Joscelyn Gardner ( Barbade), Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla ( Porto Rico) . Ces artistes de la Caraïbe déjà bien établis ne sont pourtant pas répertoriés par les sites d’information sur la côte des artistes.Lorsqu’ils le sont comme Burke, Pineda, Allora et Calzadilla , on dénombre de une à trois adjudications alors que Bruno Peinado en affiche dix – huit,Valérie Jouve vingt, Wilhem Sasnal cent dix et Andres Serrano cinq cent vingt sept. Voilà qui permet de mesurer le chemin à parcourir pour une reconnaissance de la Caraïbe sur le plan international.
Si Wifredo Lam, Hervé Télémaque, Kcho et aujourd’hui Allora et Calzadilla ont ouvert la voie, la Caraïbe ne figure toujours pas parmi les marchés émergeants. Le marché régional ou interrégional n’est pas encore structuré. Comment dès lors s’intégrer au marché international ? Aujourd’hui encore, aucune galerie de la Caraïbe insulaire ne participe aux foires internationales comme la Fiac ou ArtBasel où l’on compte à peine quatre galeries de la Caraïbe continentale ou de l’Amérique Latine, Mexique, Brésil ou Colombie
Une visibilité accrue des artistes de la Caraïbe passera par la création et la professionnalisation de structures de diffusion, dotées d’une bonne connaissance des rouages internationaux, susceptibles d’intéresser des collectionneurs à la création caribéenne, en s’appuyant sans aucun doute sur la diaspora. Etant entendu qu’il est question ici de l’émergence de plasticiens de la Caraïbe sur la scène internationale au nom de leur originalité créatrice et non de la reconnaissance d’un courant esthétique global étiqueté art caribéen.
Depuis 1998, des acteurs culturels de la Caraïbe mutualisent leurs efforts pour accroître le rayonnement des plasticiens contemporains de la Caraïbe. Ce Spécial Art absolument est l’une des étapes du processus mais ne dévoile qu’une part infime de la foisonnante création caraïbe.
Dominique Brebion-Octobre 2011
Art Absolument spécial Caraïbe
1 – La créolisation, c’est un métissage d’arts ou de langages qui produit de l’inattendu. C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C’est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l’interférence deviennent créateurs. C’est la création d’une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l’uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques. Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littérature, cinéma, cuisine, à une allure vertigineuse.
Edouard Glissant - Le Monde du 3 février 2011
2- La Commission des Caraïbes créée en 1946 est le premier instrument de coopération à caractère international et a pour objectif le développement économique. Elle deviendre l’Organisation des caraïbes en 1961 mais sera dissoute en 1965.
3 – La Carifta, fondée en 1968, introduit des mesures de labellisation commerciale entre les Etats membres et créé la Banque caribéenne de développement.
4 – Le Caricom, à partir de 1973, a pour vocation d’approfondir le processus.
Enfin, l’OECS ou Organisation des états de la Caraïbe orientale cherche depuis 1981 à dynamiser le développement des îles les plus pauvres.
5 – La loi de départementalisation est une loi adoptée en 1946 érigeant en Département français les anciennes colonies d’outre – Mer , la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, la Guyane