L’asphalte, calme, serait bien capable de créer sa rosée, de s’en couvrir, de faire illusion. Les lumières depuis moins d’une heure sont nées, l’air luit dans sa candeur ; le silence est de mise. Certaines façades blondes bronzent délicatement. À leur balcon en offrande des plantes dégoulinantes les chatouillent, émues par une bise. L’heure n’est qu’un immobile préambule, un chuchotement du jour, suspendue dans son cours. Peu de silhouettes, peu d’activité.
Les voitures somnolent – plus tard elles s’adonneront au ballet anarchique et bruyant, marionnettes dociles. Quelques personnes, deux, trois, marchent dans des restes de songe, sortent travailler, rentrent se vautrer – visages épuisés, tristes, pimpants. Il semble que le monde tarde à s’étirer, étouffe un bâillement, se frotte les paupières. Les immeubles profitent et les rues laissent le calme flotter sur leur peau grise. Tout en vie, sauf l’humain.
Le charme sera brisé par la brutalité des premiers affolements.
Marcher dans la grande ville au matin, seul, à peine existant, déguster les minutes bleues avant le progressif enfer.
Post mortem
La Toussaint était le seul moment de l’année où, respect des traditions aidant, vous visitiez sa tombe. La photo de Cédric dans un macaron moche. La tombe grise et triste. Les dates de naissance et de mort, trop proches, couvertes de poussière. Trois fleurs tristes, déjà pourries, jonchant la pierre. Vous étiez les trois fleurs que Cédric n’arrosait plus de son malin sourire.Plantés tous les trois dans le gravier du cimetière, vous regardez la tombe. Maman renifle. Papa respire fort – ou soupire. Toi tu es défoncé, ce qui rend tes yeux rouges. Il fait trop froid pour rester plus longtemps alors, au bout de cinq minutes, vous quittez Cédric, vous quittez le cimetière et retournez à la vie, à ce fantôme informe que vous meublez tant bien que mal avec vos ennuis quotidiens, vos petits désirs, vos ridicules satisfactions.
Le lendemain tout était, de nouveau, pour un an, oublié, effacé.
Vivre de façon mécanique n’était pas si difficile : les premiers temps furent un peu durs, mais, avec de l’habitude et de l’opiniâtreté, le corps et l’esprit parviennent à se convaincre que tout va bien. Tu étais, de près comme de loin, un adolescent comme les autres, ayant la haine du monde, le rire facile et des idées révolutionnaires toutes faites. Quelque part au fond de ton être traînait un cadavre que tu ne voulais plus voir.