Par où commencer pour raconter la Chine, en tous cas, pour en décliner quelques impressions? On ne devient pas sinologue si vite, et c'est très intimidant de s'aventurer à dire des choses sur ce si grand pays, quelque peu déroutant! Je pense raconter une anecdote, et aussitôt mon jugement se trouve bousculé par une observation contraire, tant tout est affaire de contrastes ici.
Tandis que parler de la pluie... c'est rassurant, on est en terrain connu... encore que, la raison pour laquelle j'aime celle de Shanghai à cette saison, c'est parce qu'elle prend des allures tropicales; il fait chaud, elle tombe à grosses gouttes et les parcs si nombreux deviennent encore plus verts, les arbres gardent l'humidité, on pense à Duras, ou à des îles, plus au Sud, comme celle de Lamma, au large de Hong Kong... Rien à voir avec une averse drue et froide d'un mauvais jour de fin d'Octobre, porte de Clichy.
Il y a les fleurs aussi, partout... " Les fleurs riaient de toutes leurs couleurs", j'ai trouvé cette phrase, unique, comme toutes celles de Christian Bobin dans "l'homme-joie", dont j'ai achevé la lecture il y a quelques jours. Lire Bobin en Chine est aussi une impression intéressante. Une autre dimension.
Il y a une heure, je viens de rentrer d'une visite au Musée de Shanghai, un des plus importants musées d'art du pays, une belle muséographie, un lieu serein pour admirer des jades, des vases, des bronzes et la dentelle de la calligraphie délicate et mystérieuse. Bien sûr on se perd un peu dans la chronologie des dynasties Tang, Ming, Qing et Song mais on suit la route de la soie à travers les monnaies, et on traîne volontiers devant de merveilleux dragons sculptés. J'ai ce musée en forme de gros chaudron devant les yeux, chaque jour, depuis mes fenêtres, et je n'y suis allée qu'aujourd'hui... Les musées, c'est pour après, quand on a le luxe d'attendre... Il faut d'abord s'imprégner d'un lieu et de sa vie. Je donne la priorité à mon marchand de mangues et d'arbouses, celui qui me sourit et me salue quand je passe, même les jours où je ne lui achète rien. Il est plus important qu'un soldat d'argile. Il y a aussi ceux qui entretiennent les braises des hot pots, à même le trottoir et ceux qui proposent du pur jus de canne à sucre, pressé à la demande. Et puis tous les chauffeurs des taxis que l'on prend à la volée, et qui se faufilent de manière parfois un peu hasardeuse dans la circulation orchestrée par les coups de klaxons, grande mêlée de piétons, vélos, triporteurs, Vespas et voitures! Tous ces gens sont "ma" Chine au quotidien. Comme les jeunes filles rieuses qui savent si bien parer les mains et les pieds de laques de toutes les couleurs... comme les fleurs, encore! Je me laisse faire, j'observe, on me sert de l'eau tiède, une sorte de crème de céréales, ni sucrée ni salée, je goûte, j'aime, je me détends sans même avoir à faire la conversation!
J'aime aussi quand le soir tombe sur les entrelacs de voies rapides, quand les ponts routiers s'éclairent de bleu, quand les buildings s'ourlent de lumières. Sans parler des gratte-ciels de Pudong, de l'autre côté du célèbre Bund, qui se transforment en grande carte postale en technicolor. Pourtant, plus tard, tout s'éteint, contrairement aux Etats-Unis; les bureaux ne gaspillent pas l'éclairage toute la nuit. Pareil pour les grandes marques de luxe qui font leur cinéma à coups d'écrans géants sur leurs façades - autre contraste à quelques mètres des dédales de petites maisons basses des années 20 ou 30.
J'ai un joli carnet beige - d'ici -, je voulais en faire un sketch-book, coller, esquisser, commenter... J'y entasse des reçus, des cartes de restaurants, des noms de lieux. Je n'ai pas envie de classer. Là aussi, il faut attendre. Plutôt sortir, bouger, observer de la fenêtre du salon ou de celle de la voiture.
Et puis écrire, plus tard. Même mon prochain roman, que j'ai commencé à rédiger, s'en trouvera influencé, c'est certain. Une saveur, un parfum, une lumière de soir qui tombe.
Au fait, quand la pluie s'arrête, j'aime Shanghai aussi.
(à suivre....)