Émeutes en Suède : comment est-ce possible ?

Publié le 08 juin 2013 par Copeau @Contrepoints

La Suède étant le pays de l'égalité, comment expliquer les émeutes ? Parce que les sociaux-démocrates ne comprennent pas que l’argent ne fait pas tout.

Par Johan Norberg.

"Ils auraient tous dû être très heureux", c’est ainsi que commence le roman de Robert A. Heinlein publié en 1942, L’Enfant de la Science. Les problèmes matériels ont été réglés sur cette terre d’avenir, la pauvreté et la maladie ont été éradiquées, le travail est facultatif. Et pourtant, une partie des citoyens n’est pas enthousiaste. Certains s’ennuient, d’autres préparent une révolte. Pourquoi donc, dans un tel monde utopique ?

Un étonnement semblable a celui-ci, cela a été la réaction dominante dans les médias après que les émeutes ont éclaté, des immeubles et des voitures ont été brûlés fin mai dans des quartiers de Stockholm à forte population immigrée. En Suède ? Puisque l’interprétation courante est que la violence est la seule arme que les gens marginalisés ont contre un système socio-économique oppressif, c’est beaucoup plus difficile d’expliquer quand elle a lieu dans "la société la plus réussie que le monde ait jamais connu", comme l’a qualifié Polly Toynbee  en 2005.

Mais cela n’a pas empêché certains d’essayer d’expliquer ces émeutes. Si tout ce que vous avez ce sont deux conclusions d’études sociologique, tout et n’importe quoi ressemble à un grief justifié. Les socialistes à l’étranger ont accusé la libéralisation qui a eu lieu en Suède ces dernières années, et l’accroissement des inégalités et de la pauvreté supposées qu’elle aurait engendré, d’être à l’origine des émeutes. Le grand quotidien national social-démocrate, Aftonbladet, a essayé de mettre en évidence les effets de l’austérité (dans un pays qui ne l’a pas mise en place) et a affirmé que les jeunes de la banlieue d’Husby se sont révoltés parce que "le centre médical, le bureau de poste, le cabinet des sages-femmes et le centre pour les jeunes ont été fermés".

En fait, il existe des centres pour la jeunesse à Husby. Son vieux centre médical a fermé, mais un nouveau centre médical a ouvert à la place. Les sages-femmes ont déménagé, mais seulement à une station de métro. On peut trouver des services postaux à 14 minutes à pied du centre-ville. Là où j’habite, il faut marcher 12 minutes pour les trouver. On tremble à l’idée de ce que je ferais si j’habitais deux minutes plus loin. Est-ce-que je passerais moi aussi mon vendredi soir à mettre le feu à des écoles maternelles ?

Le taux de pauvreté en Suède peut fort bien être trop élevé, mais à 1,2% aucun pays Européen ne peut se vanter d’avoir un taux plus faible. La moyenne européenne est de 8,8%. Si la pauvreté est la cause des émeutes, presque toutes les villes du continent européen aurait dû être à feu et à sang avant que Stockholm ne s’embrase, y compris une grande partie de la Norvège et de la Suisse.

Mais les inégalités ont augmenté, dîtes-vous. Oui, depuis le très égalitaire milieu des années 1980 (date à laquelle Stockholm a connu ses dernières grandes émeutes de jeunes, soit dit en passant). Mais depuis 2005, quand Toynbee a proclamé la Suède comme étant l’utopie égalitaire, elles ont à peine évolué. Mon pays est le plus égalitaire en Europe, derrière la Slovénie. Bien sûr, certains peuvent argumenter qu’il faut atteindre le niveau d’égalité de la Slovénie pour maintenir la paix sociale. Sauf si vous avez entendu parler de la vague de manifestations de masse – parfois violentes – qui ont agité les villes Slovènes depuis novembre dernier, entraînant la chute du gouvernement.

Un taux de pauvreté très bas, des inégalités presque inexistantes, des prestations sociales élevées, et les écoles, les université et les soins médicaux gratuits. Une société dans laquelle vous n’êtes pas pauvre simplement parce que vous êtes au chômage.

Ils auraient tous dû être très heureux.

En fait, il y a de graves inégalités en Suède, mais la fracture n’est pas tant entre les riches et les pauvres qu’entre ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas. Et souvent, il s’agit d’une fracture ethnique. Comme le met en avant Fredrick Segerfeldt, l’auteur d’une nouvelle étude, la Suède connaît le plus fort écart de taux d’emploi entre les personnes autochtones et les personnes d’origine étrangère de tous les pays développés où ces données sont disponibles. Seuls 6,4% des autochtones sont au chômage, mais presque 16% des immigrés le sont. À Stockholm comme à Paris, ce problème est concentré dans les banlieues. À Husby, où les émeutes ont démarré, 38% des moins de 26 ans sont au chômage.

Alors quelle est la cause de cette situation ? L’aspect du modèle social suédois que le gouvernement n’a pas osé toucher : une forte protection de l’emploi. La loi dit que la dernière personne embauchée doit être la première personne licenciée. Et si vous embauchez quelqu’un plus de 6 mois, le contrat se transforme automatiquement en contrat à durée indéterminée. Un régime fait pour protéger les travailleur a condamné les jeunes à une succession de contrats à durée courte. Le salaire minimum suédois étant de fait très élevé – aux alentours de 70% du salaire moyen – condamne au chômage ceux dont les talents valent moins que cela. La Suède a le taux de premiers emploi peu payés le plus bas d’Europe. Seuls 2,5% des emplois suédois sont concernés, la moyenne européenne étant à 17%.

Ceux à faible niveau d’études, qui ont peu d’expérience, ou peu de compétences linguistiques ont compris que la Suède n’était pas une si belle utopie après tout. Si vous ne trouvez pas votre premier emploi, vous n’avez pas l’occasion d’acquérir l’expérience et les compétences qui vous mèneront vers vos prochains emplois. Toute cette "protection" du travail a créé une société d’initiés autochtones et d’exclus étrangers. La Suède a généreusement accueilli les immigrés mais, ayant franchi la frontière du pays aisément, ils se heurtent à une autre frontière – autour du marché du travail – et elle est lourdement fortifiée.

Le résultat ? Les jeunes hommes qui n’ont rien à faire et rien à perdre regardent le marché du travail depuis l’extérieur de cette frontière avec des sentiments mêlés de dévalorisation, d’humiliation et d’ennui. Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation s’est terminée violemment. Quand cela arrive, ça choque les socialistes parce que ça montre que l’argent ne fait pas tout. Un État peut vous fournir des biens et des services, mais pas la dignité et le respect des autres. Un État peut satisfaire vos besoins matériels, mais ne peut pas vous donner le sentiment que vous avez accompli cela vous même.

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Article original titré "Why Sweden Has Riots" publié le 06.06.2013 sur le site du Cato Institute. Traduction : Laurett pour Contrepoints.