Alors que le Sénat puis l’Assemblée nationale viennent chacun de publier un rapport d’information sur les dérives du détachement transnational de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, la CCI Paris Île-de-France estime que si les règles communautaires sont insuffisantes pour circonscrire seules la problématique du « dumping social » et la concurrence déloyale qui en découle, il est néanmoins nécessaire d’en renforcer l’efficacité.
Et de deux ! A peine un mois et demi après la parution du Rapport d’information porté par le sénateur Eric Bocquet sur le détachement transnational de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, un second document, présenté par trois députés (Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron), rappelle toute l’importance des enjeux de ce domaine.
A l’échelle de l’Union européenne, 1 million de travailleurs sont détachés tous les ans par leur employeur dans un autre pays que celui dans lequel ils travaillent habituellement en vue d’y exécuter à titre temporaire une prestation de services. A l’échelle hexagonale, l’année 2011 a enregistré 45 000 déclarations de détachement, pour un total de 145 000 salariés officiellement détachés (65 000 pour le seul secteur du bâtiment). Plus encore que l’importance de ce chiffre, c’est sa progression qui est frappante : il a été multiplié par quatre entre 2006 et 2011, certains secteurs comme le bâtiment, l’agriculture et le travail temporaire ont accusé une augmentation de plus de 1 000 % entre 2004 et 2011 !
Une réglementation insuffisante et peu efficace
Ces rapports d’information parviennent au même constat : la réglementation communautaire applicable est insuffisante et peu efficace. De fait, les différences entre les dispositifs sociaux nationaux engendrent des avantages économiques, que ce soit en termes de concurrence, de protection des travailleurs ou de financement de la protection sociale, dont certains n’hésitent alors pas à abuser.
En premier lieu, même si la directive 96/71 du 16 décembre 1996 impose au prestataire de services de respecter un noyau dur de dispositions de droit du travail de l’État membre d’accueil pendant toute la durée du détachement (durée du travail, salaire minimal, etc.), la législation de sécurité sociale est exclue de son champ. En ce domaine, la loi applicable reste celle du pays d’origine (règlement n° 883/2004 du 28 avril 2004).
De surcroît, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la directive 96/71 n’impose pas des normes minimales aux Etats membres ; en réalité, elle les oblige uniquement, dans les matières qu’elle liste, à ce que les normes d’application générale soient aussi applicables aux travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services. C’est dire que si les règles composant ce noyau dur n’existent pas dans le droit national, ce point majeur de la directive se trouve vidé de toute sa substance… en toute régularité ! Songez maintenant aux implications sociales et économiques de l’absence de salaire minimum en Allemagne (hors le cas particulier d’accords de branche en prévoyant un).
En second lieu, comme l’ont constaté la Commission européenne et les services de contrôle de plusieurs États membres, en particulier ceux de la France, la directive 96/71 fait l’objet de nombreuses fraudes. Ainsi, en France, alors que 145 000 travailleurs étaient officiellement détachés pour y effectuer une prestation de services temporaire, le ministère du travail a évalué le nombre réel de détachements entre 220 000 et 300 000.
La CCI Paris Ile-de-France force de propositions
Améliorer l’effectivité de la directive 96/71 pour limiter le dumping social et la concurrence déloyale qui en découle, c’est le but poursuivi par la proposition de directive du 21 mars 2012 relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services . Son examen est inscrit à l’ordre du jour du Conseil EPSCO du 21 juin 2013 et du Parlement européen en juin 2013 à la Commission Emploi et Affaires Sociales et le 23 octobre en session plénière.
C’est dans ce cadre que, dans sa prise de position du 30 mai 2013, la CCI Paris Ile-de-France formule cinq voies d’amélioration du dispositif réglementaire actuel :
- Contrôler la régularité du détachement en adoptant les instruments juridiques permettant de s’assurer de la réalité de l’établissement du prestataire dans l’Etat d’origine et de la nature temporaire du détachement.
- Étendre le mécanisme de responsabilité solidaire prévu par la proposition de directive à l’ensemble des secteurs d’activité, puisqu’il est incontestable qu’il constitue une voie utile pour lutter contre le « dumping social » et qu’aucune raison objective ne justifie sa limitation au seul secteur de la construction.
- Opter pour un socle d’exigences impératives minimales communes à l’ensemble des Etats membres ou, à défaut, faire de la liste des formalités administratives pouvant être exigées par les Etats membres aux entreprises détachant des travailleurs sur leur territoire une liste indicative.
- Améliorer l’accès à l’information sur les règles applicables dans le pays d’accueil.
- Renforcer la coopération entre les administrations des différents Etats membres.