La pièce aux trois Molière nous revient à Paris dans ce magnifique Théâtre du Grand Palais. Un cadre prestigieux pour une pièce qui n’en mérite pas moins.
Sous l’occupation en France, des amis se réunissent pour fêter l’anniversaire de l’une des leurs. Dans un appartement cossu, et à une époque où le rationnement est de rigueur, nos joyeux lurons semblent pourtant bien se porter. Il y a ceux qui profitent du marché noir, les sympathisants et certains qui collaborent plus franchement encore. Mais la réalité les rattrape et s’invite à leurs fenêtres quand au bas de celles-ci, deux soldats allemands sont abattus. En quelques instants, la place grouille d’allemands, la wehrmacht réputée pour ses méthodes expéditives, perquisitionne l’immeuble. Pour deux des siens tombés, elle prendra deux otages par appartement.
Le Général allemand reconnait cependant son libraire en la personne de M Plessier. Magnanime, il laisse aux amis le temps de finir leur repas fastueux… Le temps de choisir eux mêmes, qui seront les deux otages emportés par la colère allemande.
L’âme sure, mal ruse
Les rires et les danses s’effacent, la froide réalité s’abat sur leurs épaules. Tout espoir n’est pour autant pas perdu, les liens, qui les unissent, leur permettent d’échafauder plusieurs plans pour se tirer de ce mauvais pas. Hélas les déconvenues s’enchainent et peu à peu, leur sort apparait comme inévitable. Un froid glacial souffle maintenant dans l’appartement des Plessier. Il est grand temps de sauver sa peau. Et à ce jeu, chacun fait valoir ses prétentions.
Cette pièce de théâtre de Vahé Katchka ici mise en scène par Julien Sibre repose sur des comédiens d’une qualité sans pareil. De l’innocence à la tromperie, de l’incrédulité à la conspiration c’est l’homme dans toute sa splendeur qui est dépeint avec une justesse à faire frémir d’horreur. Les stratagèmes les plus fourbes (nombreux), côtoient la sincérité de simplement vouloir vivre (peu nombreux).
Mais la question reste toujours à l’esprit, et moi à leur place, comment aurais-je agi ? Est-ce si amoral que de vouloir vivre (même aux dépens d’un autre) ? Comme pour répondre à ces interrogations que chacun se pose, l’auteur apporte des éléments de réponse, dans ce drame ou la morale n’a pas sa place:
« Je préfère avoir un cadavre sur la conscience qu’être le cadavre sur la conscience de quelqu’un ».
Les crocs se dénudent ainsi dans une scénographie sobre, une fois de plus assistée par un écran qui opère la jonction entre les saynètes. Le style léché de ces interludes ne sera pas sans rappeler celui d’un certain Persepolis où l’occupant allemand a des traits de fantôme et les bombes l’apparence de corbeau. Une image à double sens, car cette pièce se veut un festin pour les corbeaux, puisqu’ en définitive, tous les coups sont permis dans le repas des fauves, du moment qu’ils sont réalisés en toute amitié…