Clément Méric : la violence politique, ce cancer de la démocratie

Publié le 07 juin 2013 par Sylvainrakotoarison

Malgré la récupération de certains et les amalgames d’autres, l’unanimité des responsables politiques sur la condamnation de l’agression qui a tué Clément Méric n’en reste pas moins un espoir sur la nécessité d’en finir avec toutes les violences.

La tragédie humaine et la tragédie politique ont été réunies dans un même acte, la mort du jeune étudiant Clément Méric après son agression le 5 juin 2013 en plein cœur de Paris.

Je me moque de savoir les circonstances, je me moque de savoir quelle a été la couleur politique de la victime, celle de l’agresseur, que ce soit à l’issue d’une bagarre, d’une provocation ou que ce soit mûrement réfléchi, prémédité, le résultat est le même, cruel, odieux, insensé, insupportable dans notre démocratie : une personne est morte en raison de ses opinions politiques.

Je me moque aussi de savoir le jeune âge de la victime, ses études à Science Po Paris, ses origines bretonnes… Il aurait été âgé, sans formation, d’autres origines, l’horreur aurait été de la même nature.

C’était le message de Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate de l’UMP à la mairie de Paris, parmi plein d’autres responsables qui ont réagi, venue le lendemain sur les lieux du drame : « La violence politique, c’est un cancer de la démocratie. ». En raison de ses positions humanistes, l’ancienne ministre fait partie des quelques rares personnalités que détestent le Front national.

Oui, un cancer. Car souvent, la violence des uns appellent la violence des autres. La vengeance, la réplique. Clément Méric en est une malheureuse victime.

L’agression est inexcusable, et tous ceux qui ont laissé planer un doute sur l’origine de la bagarre, sur l’initiative des heurts, discutent de l’indiscutable : quand bien même la victime ou ses amis auraient été à l’origine d’une provocation, cela ne vaut pas la mort d’un homme. Dans tous les cas.

L’émotion, la politique n’y échappe pas et ce n’est pas une tare des responsables politiques de ressentir de l’émotion comme n’importe quel citoyen. Cette vie politique guidée par l’émotion l’est même sans Nicolas Sarkozy. Ce l’était déjà avant lui, et maintenant après lui. Mais la raison doit ensuite prendre place à l’émotion, lorsqu’il s’agit de prendre des décisions.

Dans sa chronique du 6 juin 2013, le journaliste Daniel Schneidermann hésitait à appeler la victime : jeune, étudiant, militant antifasciste, militant d’extrême gauche, considérant que le choix même de l’appellation apportait une idée de ses propres opinions politiques : « Savoir que choisir ses mots, c’est choisir son camp. ».

Pourtant, il n’y a qu’un seul camp, il n’y en a pas deux, dans cette histoire. La vie, c’est ce qui est le plus précieux. La philosophe Simone Weil rappelait dans "L’Enracinement" cette idée évidente : « Seul est éternel le devoir envers l’être humain comme tel. ». Et c’est à cette mesure que les réactions initiales sont saines.

L’unanimité de la réaction de la classe politique était effectivement très heureuse : de l’extrême gauche au FN, tout le monde a condamné cette agression inqualifiable. Mais qui pouvait ne pas condamner ? Ceux qui ont hésité en seraient presque les complices.

Le Président François Hollande a Tokyo, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault au Sénat, le Président du Sénat Jean-Pierre Bel, le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone, chacun devant son assemblée, ont fait des déclarations officielles de grande tenue et gravité.

Marine Le Pen a été très habile en réagissant très rapidement et très fermement, en condamnant et même, en soutenant l’éventualité de la dissolution de groupuscules d’extrême droite s’il s’avère que ceux-ci sont directement responsables de ce meurtre.

Mais certains dans la classe politique ont eu moins de pudeur que d’autres. Certains ont voulu "profiter" (le verbe est certes fort) de l’événement pour faire de la récupération politique. J’aurais presque tendance à m’en moquer si l’idée générale restait que la violence politique doit être éradiquée dans un pays libre comme la France.


Car la violence verbale incite immanquablement à la violence physique. C’est le principe du passage à l’acte. Ce ne sont peut-être pas les mêmes personnes, mais la violence verbale de certains discours irresponsables peuvent inciter d’autres esprits, sans doute plus faibles, sans doute moins enclins à choisir une manière pacifique de débattre, à frapper, à montrer du muscle. La politique sert alors d’alibi comme l’indépendantisme ou le fondamentalisme religieux servent parfois de prétextes à des activités mafieuses.

Beaucoup cherchent à discuter des circonstances de la mort de Clément Méric alors que pour le moment, seul le recueillement et le recul devraient se prévaloir. Pourtant, c’est comme dans l’affaire Merah, on croit qu’en connaissant mieux les circonstances, on pourrait mieux raisonner sur les grands principes. Que les agresseurs soient d’extrême droite, qu’ils soient des fanatisés de l’islam radical, qu’ils soient des honnêtes pères de famille bien sous tous rapports, le bilan serait le même, on ne touche pas aux personnes ! On ne doit pas frapper ! On ne doit pas tuer !

La regrettée Jacqueline de Romilly, helléniste de formation et amoureuse de la langue, insistait sur l’importance de savoir s’exprimer dans une société humaniste : « Apprendre à penser, à réfléchir, à être précis, à peser les termes de son discours, à échanger les concepts, à écouter l’autre, c’est être capable de dialoguer, c’est le seul moyen d’endiguer la violence effrayante qui monte autour de nous. La parole est un rempart contre la bestialité. Quand on ne sait pas, quand on ne peut pas s’exprimer, quand on ne manie que de vagues approximations, comme beaucoup de jeunes de nos jours, quand la parole n’est pas suffisante pour être entendue, pas assez élaborée parce que la pensée est confuse et embrouillée, il ne reste que les poings, les coups, la violence fruste, stupide, aveugle. Et c’est ce qui menace d’engloutir notre idéal occidental et humaniste. ».

Les réactions unanimes sont là pour me convaincre que l’objectif n’est pas oublié, au prix parfois de certaines récupérations. J’en ai compté deux.

La première est issue de Jean-Luc Mélenchon et de ses amis qui ont fait un véritable forcing médiatique pendant toute la journée du jeudi, à tel point que beaucoup de journalistes pensaient que Clément Méric était un membre du Front de gauche (les responsables de ce parti ont bien dû préciser après coup qu’il n’en était rien). L’idée est aussi d’avancer contre le FN au point de lui faire porter une part de responsabilité morales du meurtre. Certains responsables du PS leur ont emboîté le pas. Mieux au courant que la police et la justice réunies, ces personnages prétendent connaître tout des circonstances.

La manifestation organisée au soir du 6 juin boulevard Saint-Michel s’est soldée par des huées contre toute tentative de manipulation. On imagine l’émotion des proches de Clément Méric, quel que soit leur bord politique, dégoûtés par cette récupération à trois balles, aussi honteuse que lorsque des ligues de légitime défense viennent faire de la retape auprès de parents effondrés d’enfants sauvagement assassinés. Indécence. Anne Hidalgo, la candidate du PS à la mairie de Paris, a dû s’esquiver rapidement et Harlem Désir a finalement renoncé à s’y rendre.

Cela dit, dissoudre toutes les ligues et groupuscules qui prônent la violence, d’où qu’elles viennent, de l’extrême droite comme de l’extrême gauche, me paraîtrait sain dans une démocratie apaisée. Mais pourquoi fallait-il attendre un mort ? L’appel à la haine est déjà réprimé par le Code pénal, les gouvernements auraient pu agir au lieu de réagir.

La seconde manipulation me paraît encore plus malsaine car il s’agit de faire un véritable amalgame. Certains, dont Pierre Bergé, ont associé cette terrible mort à l’action des opposants, pacifiques et non violents, au mariage pour les couples homosexuels, en continuant à entretenir la confusion entre le million de personnes raisonnables mais inquiètes, voulant défendre une certaine idée de la famille, et les quelques casseurs d’extrême droite, appâtés par toutes les occasions pour exprimer leur violence. Ce n’est plus de l’indécence, cela va au-delà.

Mourir pour des considérations d’opinion politique, c’est aussi révoltant que mourir de faim ou de froid. C’est insupportable. L’émotion, l’indignation de la classe politique sont rassurantes. Elles doivent maintenant laisser place à la réflexion pour éviter à l’avenir de tels nouveaux drames. Et en ce sens, l’hésitation n’est plus permise…

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (7 juin 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L'affaire Merah.
Jacqueline de Romilly.
Simone Weil.
L’unité nationale.


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/clement-meric-la-violence-136967