L’Égypte est confrontée à sa plus grave crise politique depuis février 2011. Ce dimanche, la Cour constitutionnelle suprême a statué que l’élection au Conseil de la Choura, la chambre haute du pays, et la nomination d’une commission chargée de rédiger la nouvelle constitution étaient inconstitutionnelles. Bien que personne ne puisse prédire les répercussions exactes de ces décisions, elles constituent un rappel de la menace que représente une politique dysfonctionnelle pour l’avenir du monde arabe.
L’Égypte est au bord d’un abîme économique. L’État, lourdement endetté, consacre un tiers de ses dépenses à subventionner les prix des carburants et des denrées alimentaires. La plupart des avantages des subventions reviennent aux ménages les plus riches et aux grandes entreprises. Les importations de produits subventionnés drainent les réserves de change du pays, qui sont à des niveaux historiquement bas.
Les élites politiques n’ont presque rien fait pour solutionner cette problématique des programmes de subventions inutiles. Au lieu de cela, « le gouvernement égyptien a été très fort pour nous embobiner en annonçant une multitude de mesures qui, essentiellement, se sont évaporées », dit Farah Halime, un journaliste basé au Caire et auteur de Rebel Economy (L’économie rebelle), un blog axé sur les problèmes économiques des pays arabes.
Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord constituent la région avec le plus fort taux de chômage des jeunes dans le monde. Rien qu’en Égypte, 77% des chômeurs sont âgés de 15 à 29 ans. Pour éviter une catastrophe économique et sociale, les réformateurs égyptiens doivent réduire les obstacles à l’entrepreneuriat privé, notamment un système fiscal complexe, le respect très laxiste des contrats et un système byzantin de permis de construire. Selon le projet Doing Business de la Banque mondiale, il faut aux égyptiens 218 jours pour obtenir un permis, plaçant le pays à la 165ème position dans le monde sur cet indicateur.
Le lauréat du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz propose la création d’une Banque arabe de développement qui devrait stimuler les dépenses d’investissement, à l’instar du Plan Marshall de l’après-guerre en Europe de l’Ouest. Pourtant, les pays du Printemps Arabe ne sont pas freinés par un manque de dépenses. Bien au contraire : les réformes urgentes incluent une réduction des fonctions publiques hypertrophiées et des subventions inutiles.
Plus fondamentalement, durant les quatre années du Plan Marshall, l’Allemagne de l’Ouest a reçu cumulativement quelque 2 pour cent de son PIB en aide - une somme dérisoire en comparaison au montant de l’aide financière que l’Égypte a reçu des États-Unis depuis 1979, la plupart de celle-la ayant été dirigée vers l’armée. En 2012 seulement, l’Egypte a reçu 1,56 milliard de dollars d’aide américaine, soit 0,7 pour cent du PIB annuel du pays.
La différence entre l’Europe d’après-guerre et l’Egypte d’aujourd’hui ne se trouve ni dans le montant de l’aide – des montant importants affluent chaque année - ni nécessairement dans sa militarisation - après tout, l’armée égyptienne est active dans de nombreux secteurs civils de l’économie. Ce qui a rendu le miracle économique européen possible n’est pas l’aide étrangère, mais le fait que l’Europe occidentale avait des politiciens crédibles, comme le chancelier allemand Ludwig Erhard ou le président italien Luigi Einaudi, qui avaient pour mandat de mettre en place les réformes économiques qui ont été nécessaires pour restaurer la prospérité économique sur le continent déchiré par la guerre.
Le malheur des pays arabes est politique. Ces pays n’ont tout simplement pas les dirigeants qui seraient en mesure de poursuivre les réformes économiques de grande envergure dont la région a besoin. Les réformes économiques douloureuses sont peu susceptibles d’être populaires ; pour se concrétiser, elles nécessitent généralement de la persuasion, des décideurs politiques crédibles avec un mandat démocratique. Et la légitimité contestée des systèmes politiques dans les pays de la région (dont la crise constitutionnelle actuelle de l’Egypte n’est qu’un exemple) rend très difficile l’émergence de ces leaders.
Mais il y a pire. En Egypte, les discussions autour de la politique économique sont confuses et aux prises avec une réflexion peu imaginative et paresseuse. Pourtant, comme le rappelle Anders Âslund, économiste à l’Institut Peterson pour l’économie internationale à Washington et expert en réformes économiques et transitions en Europe de l’Est, les réformes fondamentales requièrent un changement dans les idées, privilégiant les marchés et l’initiative privée : « Repenser nécessite une nouvelle idéologie, et après qu’un pays a montré la bonne direction, très souvent les voisins suivent ».
Il y a une lueur d’espoir cependant. Alors que la situation économique dans la région s’aggrave, la pression en faveur de la réforme va croître. Comme Âslund l’écrivait à propos des réformes économiques en Europe, « sans crise grave, aucune réforme significative n’était susceptible d’émerger ». Ceux qui se soucient de l’avenir de l’Egypte et d’autres démocraties arabes émergentes devraient donc être occupés à nourrir une nouvelle génération de dirigeants arabes appréciant le rôle que les marchés et les entrepreneurs jouent dans le processus de développement économique.
Dalibor Rohac est analyste au Cato Institute à Washington DC. Le 7 juin 2013.
Cet article a été publié originellement en anglais sur le site du Cato.