Nous cherchons des traces de virage social et nous ne trouvons qu’un virage social-libéral totalement assumé par François Hollande. Où s’arrêtera la trahison du discours du Bourget?
Parfois les mots perdent de leur substance et n’ont qu’un lointain rapport avec l’originelle intention. Regardez comment François Hollande et Jean-Marc Ayrault tentent de légitimer toutes leurs actions par la douceur et la noblesse de la «justice», oui, la «justice», toujours la «justice», assaisonnée à toutes les sauces. Même les plus aigres. Chaque semaine qui passe nous apporte en effet son lot de dévoiements et autres renoncements qui constituent autant d’incompréhensions pour une belle majorité des électeurs d’un certain 6 mai 2012. Dernier épisode en date? Les retraites. Pour l’heure, le gouvernement n’en est (officiellement) qu’à l’énumération de pistes, contenues dans un rapport piloté par la conseillère d’État Yannick Moreau. Ce qui s’y trouve, toutefois, pourrait ouvrir de nouvelles brèches dans le système français et, à terme, si par malheur de semblables mesures étaient appliquées, mettre à bas l’un des piliers du pacte républicain hérité du CNR – du moins ce qu’il en reste…
Ce que le Figaro présente comme un «cocktail détonant pour réformer les retraites» s’apparenterait en vérité à une déclaration de guerre sociale, ni plus ni moins. Allongement de la durée de cotisation, calcul des pensions de la fonction publique non plus sur les six derniers mois mais sur les dix dernières années de carrière, hausse de la CSG pour les retraités, suppression de leur abattement fiscal de 10%...
Principale contrepartie envisagée? Une hausse de 0,3% des cotisations patronales. Sans doute faudrait-il dire merci pour ce beau geste? Stop! N’en jetez plus! Depuis vingt-quatre heures, les réactions syndicales sont évidemment à la hauteur de l’inquiétude. Et pour
cause. Aucune de ces
mesures n’améliorerait la situation économique, bien au contraire. Depuis le début de la crise, la France, soumise au diktat des logiques austéritaires, a déjà perdu 8 points de PIB et des centaines de milliers d’emplois. Or il est impossible d’évoquer le dossier des retraites en le déconnectant des politiques globales. Avec le retour d’un peu de croissance et un chômage à la baisse, nous
ne parlerions même plus des éventuels déficits des régimes! Sortir de la spirale mortifère des politiques de rigueur menées un peu partout, qui ne conduisent qu’à accentuer la récession, est ainsi un impératif et une urgence. Augmenter la durée de cotisation, désindexer les pensions et, au final, rogner sur le pouvoir d’achat, ce serait accroître le mal.
Pour contenir la fronde prévisible, le premier ministre assure que la future réforme sera «guidée» par les mêmes principes que celle de la politique familiale. Il y a donc tout lieu d’être inquiet. Nous cherchons des traces de virage social – ce pour quoi nous avons élu François Hollande – et nous ne trouvons qu’un virage social-libéral totalement assumé. Où s’arrêtera la trahison du discours du Bourget? Pendant que Pierre Moscovici tourne casaque sur les salaires des patrons, expliquant qu’il convient de faire confiance au «code de bonne conduite du Medef» (sic), le président pratique l’éloge de Schröder, le démolisseur de l’état social allemand. Comment, après tout cela, oser encore se référer à Jaurès? Cette question hante sûrement bien des têtes socialistes. Que François Hollande se méfie néanmoins. Personne n’a oublié les grandes grèves et manifestations, ni le traumatisme du passage en force des «réformes» Woerth, moule dans lequel semble se couler l’exécutif actuel. Notre sondage CSA sur les retraites, publié lundi, résonne comme une mise en garde. Les Français sont inquiets et se disent prêts à se mobiliser contre des mesures qui menaceraient leurs droits. Faisons en sorte que ce ne soient pas que des mots, mais une ferme intention.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 juin 2013.]