Clément Méric
Mercredi 5 juin vers 18h, Clément Méric, militant d’extrême-gauche, a été mortellement blessé, apparemment par des skinheads, selon de nombreuses sources policières.
Le lendemain, l’information circulait en une des actualités nationales, devant l’actualité internationale de la Turquie, devant la querelle entre la Chine et l’Union européenne concernant la taxation des panneaux solaires photovoltaïques. En une du site lefigaro.fr, à 13h, le jeudi 6 juin, les sept premiers articles traitaient de l’affaire Clément Méric, occultant tout le reste de l’information.
Petit rappel en journalisme
Pour comprendre objectivement comment se hiérarchise l’information, il faut prendre en compte plusieurs paramètres : tout d’abord la loi de la proximité, essentielle, qui met en priorité les événements se déroulant sur le sol national ou impliquant directement l’ensemble de la population, avant de développer les thèmes internationaux. Ensuite, il faut saisir l’ampleur de cette information, si elle est nouvelle, originale, si elle est massive… Enfin, il ne faut pas oublier qu’un journal pourra mettre en une un fait banal tout simplement parce qu’il est vendeur.
Pourquoi une Une ?
Le fait grave de cette agression entraînant la mort d’un jeune homme concerne avant tout la localité de Paris, n’a officiellement aucun caractère symbolique (aucune revendication politique ou idéologique) ; il s’agit dès les premières informations d’une altercation entre deux groupements extrémistes qui a mal tourné. L’ensemble des Français ne peut se sentir concerné. Est-ce un fait inédit ? Les faits de ce style ont jalonné la vie politique de la République, les violences entraînant la mort sont extrêmement nombreuses en France, en témoigne le fort succès de librairie, La « France orange mécanique » de Laurent Obertone. Du fait d’un sujet banal qui ne concerne pas le commun des mortels (comme pourrait l’être un accident de car transportant des jeunes), mais d’un monde militant de plus en plus restreint en France, la rentabilité commerciale ne justifie pas le traitement aussi conséquent de cette actualité.
Que le sujet ait été traité en une d’un journal comme Le Parisien, parce qu’il s’adresse d’abord et avant tout aux Parisiens, cela semble tout à fait légitime. Le fait d’ampleur locale les concerne touche au premier chef. Que l’information soit traitée et bien traitée, cela ne fait aucun doute. Qu’il fasse la une, cela est autrement plus discutable. Soit il y a manque de compétences, soit les préjugés les empêchent de réaliser un traitement juste, soit il y a une volonté cachée des rédactions. Il semble que la dernière hypothèse ne soit pas totalement dénuée de sens.
L’affaire Samuel Lafont
Pour mieux comprendre, il faut se souvenir ou apprendre – pour la plupart – l’agression dont Samuel Lafont a été victime. Ce militant anti-mariage pour tous, membre de l’UMP, initiateur de l’opération camping pour tous, a reçu quatre coups de couteaux, samedi 13 avril, à 6h du matin, dans le métro parisien. L’information est du même acabit que l’actuelle avec un point plus et un point moins : cette agression faisait directement suite à une manifestation improvisée contre le mariage gay la veille, ce qui pouvait laisser penser que l’agression était symbolique et concernait donc directement l’ensemble des français. En revanche, l’acte est moins percutant puisqu’il n’a pas entraîné mort d’homme.
Samuel Lafont
L’agression de Samuel Lafont ne semble être lié à la Manif pour tous, de même que celle de Clément Méric. En tout cas, on ne connaît pas la suite de l’affaire puisqu’elle n’a pas été suivie par les média. Sur Internet, le traitement de l’information s’arrête au 14 avril, sans que le mystère de l’identité des agresseurs ait été résolu. Quant à l’actualité générale, presse écrite, télévision et radio, Samuel Lafont est demeuré le grand inconnu, totalement absent de la hiérarchie de l’information.
Il faut garder raison de l’agression de Samuel Lafont. La mettre en épingle sans réels fondements aurait sans doute apporté des confusions et aurait cristallisé certaines velléités violentes. Pour un média, il faut éviter les amalgames, règle déontologique majeure. C’est pourquoi les seuls média à avoir traité l’information – pour la plupart, des média qualifiés d’Extrême droite – ont temporisé l’ampleur de l’événement, tandis que les réseaux sociaux s’enflammaient.
La stratégie de la Une
Pourquoi alors l’agression de Clément Méric n’a pas subi le même traitement que celle de Samuel Lafont ? En fait, c’est une stratégie assez banale mise en place par un média qui possède une ligne éditoriale idéologique. La première salve est lancée : on traite tout simplement de l’agression comme un simple fait divers, mais en Une de l’actualité. Pas d’amalgame, mais la volonté de la créer. Le fait qu’un journal choisisse cette Une plutôt qu’une autre incite souvent les autres à faire de même. L’information se tisse très rapidement dans les salles de rédaction, à la radio, on multiplie les commentaires, on fait intervenir les spécialistes, les hommes politiques. Sur Internet, on essaie d’obtenir l’information nouvelle au plus vite pour être en une de la page Google. C’est une course contre la montre. Inutile de faire le lien entre l’extrême-droite et la manif pour tous, les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, le feront eux-mêmes, parce que le sujet fait la Une et que celui de la Manif pour tous l’a fait auparavant. Pierre Bergé intervient, il commence les amalgames qui sont immédiatement relayés. De fait, en une matinée, Clément Méric devient le symbole d’une lutte contre l’oppression incarnée par les partisans anti-mariage gay.
Les centristes se rasent le crâne : l’utopie des media
Pourtant, les politologues sont unanimes : les manifestants anti-mariage-gay sont d’abord et avant des électeurs du centre-droit, de Bayrou, de Fillon ou des déçus souvent du sarkozysme qui se sont retournés vers François Hollande aux dernières élections présidentielles. Cet ensemble qui a fait légion les 13 janvier, 24 mars et 26 mai, abhorrent le Front National et tout ce qui s’assimile à l’extrême droite. Le nier relèverait du négationnisme.
Le choix de mettre en Une ici relève de l’intentionnalité idéologique. Au moment où le sujet passe en une, nous n’avons pas plus d’informations qu’avec Samuel Lafont dont l’agression aurait dû avoir exactement le même traitement. L’objectif des média est donc bien ici de décrédibiliser la Manif pour tous, de la ranger sous les oripeaux de l’extrême droite, alors même qu’ils savent à quel point cela peut être faux.
Toutefois, ce qui laisse à espérer, c’est que cette stratégie vieille du militantisme anti-fasciste et anti-raciste des années 1990, ne convainc plus grand monde.