Anne s’affairait à préparer des cartons. Déjà
plus d’une cinquantaine étaient stockées dans le garage de la maison, il y en
aura encore le double, peut-être plus. Elle avait commencé par les vêtements
d’hiver avant de se raviser, le printemps tardait à arriver et il convenait de
conserver encore quelques habits chauds. Alors elle avait commencé par les
vêtements dont la taille ne convenait plus à ses enfants, à chaque fois elle
triait, mettait de côté ce qui pourrait être donné ou vendu, ce qui devait être
jeté, ce qui n’allait plus pour l’instant mais qui resservirait au fur et à
mesure du grandissement des enfants. L’exercice était complexe, ce n’était pas
son premier déménagement mais à chaque fois la famille était plus grande.
Elle s’arrêtait de temps à autre quand il
fallait changer une couche, aller chercher les ainés à l’école, gérer un peu
les devoirs même si à cette époque de l’année et à l’approche du déménagement
personne n’était vraiment motivé pour cela, régler un conflit pour un jouet où
le choix d’une chaine de télévision, préparer le diner et pleins d’autres de
ses multiples activités auxquelles se livrent les femmes qui « ne
travaillent pas ».
Depuis plusieurs semaines, son quotidien était
rythmé et cadencé par ce nouveau déménagement. Anne était partagée dans ses
sentiments, autant heureuse de retourner dans le sud que triste de quitter la
Bretagne pour la deuxième fois.
Lorsqu’elle est arrivée ici pour la première
fois, il y a déjà plus de dix ans, à l’époque où une voiture mise en break
suffisait à déménager elle avait dans l’esprit les nombreux clichés de la
Bretagne. Les bigoudènes, la cornemuse, les crêpes, le cidre, le beurre salé,
les menhirs, les vieilles charrues, les manifestations indépendantistes.
Elle s’était fait des amies ici, s’étaient
occupé d’une association, des parents d’élèves, elle s’était intégrée dans un
village où tout le monde se connait depuis l’enfance. Et puis elle a connu le
revers de la médaille, l’envers du décor. Elle avait lentement compris que les
amitiés n’étaient que de façades et en avait été terriblement affecté.
Lorsque son engagement associatif a connu des
difficultés, les soutiens se sont vite fait discrets.
Edwige faisait partie des rares personnes avec
qui Anne avait conservé des relations, elle la voyait régulièrement, mais avait
vite compris qu’il convenait d’éviter de lui faire des confidences.
Mais Anne aimait intensément la Bretagne, le
folklore, la fraîcheur, le partage entre pays de terre et pays marin, la
légende de Brocéliande. Ce départ lui crevait le cœur.
Edwige sonnait à l’entrée. C’était prévu, elle
avait envoyé un texto tout à l’heure. « Bonjour ma chérie, tu vas
bien ? Alors ces cartons ? Oh là là t’as sacrément bossé, quel
courage, ». Anne répondait en souriant et servait un thé à son amie sans
oser lui répondre qu’elle aurait volontiers accepté l’aide d’Edwige. Elle ne
verrait plus Edwige à partir de Vendredi prochain. Elles s’oublieront l’une et
l’autre sans doute, après cinq années d’amitié vache ponctuées de partage de
thé en souriant et de divulgation de ragots puérils.
Qu’allait-elle trouver dans le Sud ? Ces
amies sont-elles toujours là ? Dans la même ville, la même maison,
devra-t-elle reprendre ses habitudes où en créer de nouvelles. Ce demi-inconnu
la troublait.
Pour l’heure, il fallait finir de faire les
cartons.