Alexander Pereira
C'est un manager sûr de lui et dominateur qui arrive à la Scala de Milan à la rentrée 2015. Remarquons d'abord que les délais sont fort courts (2 ans) pour préparer la première saison, mais Expo Universelle oblige, nul doute que Stéphane Lissner ne laisse pas derrière lui une terre brûlée. Le règne de Pereira à Salzbourg aura été bref, et il est encore trop tôt pour tirer un bilan de sa programmation. Autrichien, venu du privé (Olivetti), puis secrétaire général du Konzerthaus de Vienne, il devient en 1991 intendant de l'Opéra de Zurich qu'il va diriger jusqu'en 2011, un très long règne qui fait de Zurich une des scènes incontestables de l'univers lyrique: il va réunir une troupe de chanteurs particulièrement riches d'avenir (Kaufmann par exemple) retenir d'autres parmi les plus prestigieux (Matti Salminen ou Cecilia Bartoli ) et va attirer à Zurich des chefs de très bon niveau (Franz Welser-Möst, Daniele Gatti) avec une politique de production alternant des metteurs en scènes plutôt modernes (Claus Guth), mais aussi se garantissant les voix du public traditionnel pour des productions plus classiques. Certainement moins "moderne" que son successeur Andreas Homoki à Zürich, c'est un manager qui sait équilibrer l'offre et veille à une homogénéité vers le haut des distributions. À Salzbourg d'ailleurs, il a beaucoup fait appel à des artistes ayant travaillé avec lui à Zürich.
Au contraire de Stéphane Lissner qui est un habile négociateur, très cordial, et plutôt florentin, et même si Alexander Pereira partage avec son prédécesseur un grand réseau, une très grande intelligence, très intuitive, il est plutôt un flamboyant, c'est Richelieu succédant à Mazarin, les deux ayant réussi à construire la France, avec des méthodes très différentes.
Le patron tout puissant Pereira s'est senti bridé à Salzbourg, où il a rencontré des oppositions de son conseil d'administration sur les dépassements budgétaires (60 Millions d'euros) et a eu des conflits avec Franz Welser-Möst qu'il connaissait pourtant bien après une longue collaboration à Zürich. Il laissait entendre depuis pas mal de mois que la Scala l'intéressait.
Nul doute que pour la Scala c'était le seul nom possible dans les candidats dont on connaissait les noms. Notamment pour sa surface et sa capacité éprouvée à Zürich à savoir récolter de l'argent et attirer des sponsors, ce qui en ce moment est plutôt nécessaire en Italie. Toutefois, malgré son lien à Cecilia Bartoli, je doute qu'il puisse la faire retourner à Milan après l'accueil scandaleux que quelques protestataires lui ont réservé. En revanche, nul doute que Daniele Gatti a des chances de succéder à Barenboim au poste de directeur musical.
Il cherchera sans doute à se concilier le public milanais plutôt conservateur, mais argenté, et sans doute la politique de productions sera-t-elle un peu plus "classique", ou du moins peu dérangeante et ce bon connaisseur de voix pourrait bien redonner à ce théâtre une identité vocale qu'il a un peu perdu. Dans tous les cas, il saura faire.
Saura-t-il se concilier le monde syndical ? Là est la grande inconnue: à Salzbourg comme à Zürich, ce n'est pas la question. À la Scala, c'est autre chose...
Morale de l'histoire: pour la Scala, un grand manager succède à un autre, et le théâtre peut se considérer comme prémuni. Daniel Barenboim s'était récemment plaint dans une interview avec le journal viennois Der Standard de l'absence de perspectives due à l'incertitude sur le surintendant. L’affaire est classée, l'avenir est assuré.
Pour Salzbourg, c'est déjà plus difficile: depuis le départ de Mortier, il y a 12 ans, on a usé trois directeurs (il y a eu Peter Ruzicka, Jürgen Flimm, Alexander Pereira) et on cherche maintenant le quatrième. Il y a sans doute un problème non d'argent, mais de couleur du Festival et de stratégie , aucun des directeurs n'ayant réussi comme Mortier à donner une identité, même critiquée, au plus grand festival du monde (260000 spectateurs), à donner de la cohérence à la partie théâtre et à la partie musique et à en faire un lieu de référence incontestable: il y aura toujours des grands chefs et des grands chanteurs, mais pour quelles productions et quelle ligne "éditoriale"? Même les grands hôtels de luxe ont besoin d'architectes. Et les grands architectes du monde musical ne sont pas légion.