L'impression 3D dans le domaine de la santé devient réalité, notamment pour les implants.
Impression couche par couche
Certains l’appellent déjà la troisième révolution industrielle, d’autres la considèrent comme un gadget. Mais l’impression 3D envahit tous les secteurs : jouet, architecture, automobile, aéronautique Récemment, sur Internet, ont été diffusés les plans d’une arme à imprimer chez soi. Mais dans le secteur médical, l’impression 3D ouvre également des perspectives - et des questions éthiques.
Il y a quelques jours, des chercheurs américains ont rendu public le cas d’un bébé dont la vie a pu être sauvée par une prothèse à la trachée, imprimée en 3D. Il s’agissait d’un "cas humanitaire", pour lequel des tests n’avaient pas été réalisés au préalable et pour lequel les parents ont été invités à signer une décharge.
Une oreille a récemment également été imprimée en 3D, mais fabriquée à l’aide de cellules de rat et de cartilage de bœuf, donc pas implantable chez l’homme. De quoi s’agit-il ? "Le terme technique utilisé pour l’impression 3D, c’est la fabrication additive, explique Carsten Engel, ingénieur biomédical chez Sirris, centre de recherche technologique belge dont le département en question utilise l’impression 3D depuis 20 ans déjà. Les fabrications additives, pour utiliser le terme général, c’est la fabrication couche par couche d’un objet en 3 dimensions, à partir d’un fichier virtuel dit CAO (Conception Assistée par Ordinateur)."
Tout part d’un fichier, un logiciel, sur ordinateur à partir duquel on établit la conception d’une pièce, que ce soit pour l’automobile, le médical. Ensuite, le fichier est tranché en de dizaines de milliers de fines couches microscopiques. Ces couches sont interprétées par la machine et reproduites en fonction de la technologie, avec des précisions différentes selon le matériau ou la source d’énergie utilisée pour la fabrication d’une pièce.
"La technologie 3D a émergé plus rapidement dans le médical grâce au bénéfice du sur mesure par rapport aux grands secteurs comme l’automobile où les grandes séries ne sont pas encore réalisables sur cette technologie. Pour le médical, ces technologies et leur matériau spécifique ont été validés depuis déjà un certain nombre d’années. En Europe particulièrement, et en Belgique surtout."
Des implants et des modèles réalisés sur mesure
Les premières applications de l’impression 3D dans le secteur médical, ce sont les orthèses ou les implants. Au Sirris, on imprime en 3D, couche par couche, 1 000 à 1 400 implants en céramique biodégradable (de l’os synthétique) chaque mois, surtout pour la chirurgie du rachis (colonne vertébrale). Ceux-ci sont rachetés par un industriel français qui les revend à des hôpitaux belges.
L’avantage principal des implants imprimés en 3D, c’est le sur mesure. Le patient passe un scanner, sa morphologie est analysée, et la pièce à implanter est spécialement dessinée pour cette anatomie et ses caractéristiques, avant d’être imprimée. "Avec cette technique, l’implant est mieux adapté à une pathologie, à un patient, assure Khanh Tran Duy (UCL) qui a développé une spin-off dans ce domaine.
Il imprime notamment en 3D des pièces en titane lorsque cela s’avère nécessaire, par exemple pour des opérations de hanche, lorsque l’os est très fragilisé. Mais imprime surtout en 3D des moules pour les implants. "Le chirurgien a l’avantage du sur mesure, et le coût est moins important." Pour Carsten Engel (Sirris), la 3D permet aussi des fonctionnalités impossibles dans les implants classiques.
"Exemple : la céramique biodégradable. Celle-ci est utilisée sous forme d’une sorte de mousse poreuse. Avec l’impression 3D, elle permet une circulation entre les différents pores de la mousse, ce qui favorise une progression de l’os à travers l’implant. Ceci est impossible à réaliser par les technologies conventionnelles. Ça permet une meilleure acceptation de l’implant. Le sur mesure ne va pas remplacer le standard, mais le remplace dans des cas extrêmes."
Une autre possibilité "très prometteuse", ce sont les guides chirurgicaux. Il s’agit de modèles imprimés en 3D de parties du corps du patient permettant au chirurgien de placer adéquatement l’implant. Aux cliniques Saint-Luc, le Pr Olszewski utilise régulièrement ce système. Chirurgien maxillo-facial, il imprime en 3D les mandibules - par exemple abîmées par le cancer - de ses patients avec du papier. Le modèle est réalisé à partir du scan qu’a passé le patient. "Je peux donc placer et galber les implants (des plaques en métal) pour qu’ils s’adaptent au modèle imprimé en 3D. Normalement, on doit faire le pliage pendant l’opération directement sur le patient, après des heures de travail. On est fatigué, et il faut des biceps."
Là, le pliage est déjà réalisé à l’avance. Et il serait impossible de réaliser à l’avance des moules "classiques" de ces parties de la tête directement à partir du patient "physique", vu notamment les tissus mous. "La 3D, pour nous, c’est donc une grosse révolution."
A venir: imprimer des tissus et fabriquer des organes
L’arrivée de l’impression 3D amène aussi la question de la "création" d’organes. Certains rêvent à imprimer des organes ou du tissu humain, en faisant une succession de couches de cellules. C’est le cas de la société Organovo, à San Diego, qui commercialise d’ailleurs des bio-imprimantes.
Pour l’instant, beaucoup de chercheurs essayent déjà de faire de la biofabrication en 3D de tissus ou d’organes : "Ils prennent des polymères (plastique) biocompatibles et biodégradables, des structures imprimées en 3D que l’on combine avec des cellules souches (NdlR : capables d’engendrer différents types de cellules), afin de pouvoir recréer de la peau ou du cartilage", note Carsten Engel (Sirris) qui ne prévoit pas une concrétisation avant 15 ans.
Ces structures non vivantes, qui supportent les cellules, sont appelées scaffolds, échafaudages. "La difficulté est de combiner vivant et synthétique et que le vivant soit maintenu en vie sur ou dans les scaffolds."
A l’ULG, Liesbet Geris imprime certains des scaffolds en 3D, en vue d’implants osseux. "Avec la 3D, on peut optimaliser la forme de l’échafaudage. Les cellules étudiées prolifèrent mieux lorsqu’elles ont des petits coins pour se cacher." A l’Inserm Bordeaux, Fabien Guillemot, imprime, lui, directement les cellules en 3D sur des supports vivants de type protéines et collagène, afin d’obtenir en bout de course un tissu humain. "Cela fait une dizaine d’années que l’on essaye d’imprimer des cellules en 3D. L’idée de départ : bricoler une imprimante de bureau où le jet d’encre est remplacé par une suspension de cellules et le papier par un support de culture cellulaire."
Les techniques n’ont pas radicalement changé. Certaines utilisent à présent un système de seringue. L’Inserm mise sur l’impression en 3D assistée par laser. "Il existe des techniques pour imprimer des cellules, elles sont bien caractérisées. Mais il y a surtout tout ce qui se passe après, à partir de l’organisation en 3D ! C’est-à-dire comment les cellules vont communiquer entre elles pour fabriquer un tissu fonctionnel. Ce serait la "4D", associée à l’évolution dans le temps.
Pour que cela marche, il faut encore mieux comprendre comment les cellules créent des formes particulières." Le labo a cependant déjà réussi l’impression d’une structure de type osseux, implantée chez la souris. Pour la bio-impression, mieux vaut commencer avec peau, cornée ou cartilage, sans vaisseaux. "Les premiers essais cliniques pourraient avoir lieu d’ici 10 ans".
A l’Inserm, le but est la régénération. Et les organes comme le cœur ou le rein ? Pour l’instant, "du rêve", vu leur complexité. Mais certains voient déjà loin. Une équipe est, par exemple, déjà arrivée à reproduire des vaisseaux, sans toutefois l’élasticité nécessaire au flux sanguin.