et les yeux traversés de tant d’éclats de mer
j’ai dressé vers le ciel mes mains ensanglantées
et puis j’ai mis le feu à toutes les fontaines
j’ai jeté des étoiles à la tête des fleuves
j’ai recouvert de neige le cœur des primevères
j’ai volé leurs couleurs à toutes les saisons
et j’ai roulé la pierre que retenaient les anges
mais qui m’a entendu nager dans les eaux fortes
qui pourrait retrouver mes ongles sur la pierre
qui hante comme moi la blessure capitale ?
j’ai faim
j’ai faim de choses étrangères
j’ai faim de hurlements plantés comme des clous
j’ai faim de la fraîcheur insensée des miroirs
faim d’un nouveau partage
de mille mains avides pleines d’objets brisés
faim de parures inertes et de noms oubliés
mes mains ont forme de ma soif
et j’ai des bras multiples grands comme les révoltes
je peux m’abattre n’importe où
à n’importe quelle heure
et mon corps imminent s’envenime de sel
je roule par le travers des bouées
à portée de fusil des derniers poissons libres
mais qui pourrait m’entendre sur ces pavés crispés
où des fous se répondent
je trace des hurlevents au fond de mon naufrage
je m’accroupis en sang sur les vagues ouvertes
j’ai enterré mes mains loin des terres habitées
mais ces yeux attardés qui coulent dans mes yeux
qui les fera s’ouvrir
qui m’accompagnera sur la nef des fous ?
***
Tristan Cabral (né en 1944 à Arcachon) - Le Passeur de silence (1986)