On est sorti bouleversé du concert de Rodriguez au Zénith. Mais pas pour les bonnes raisons. Ce mardi 4 juin, à 20h30 il entre sur scène avec le soutien de sa fille. L’homme est quasi-aveugle et ne peut se déplacer seul. Installé derrière son micro sur une scène beaucoup trop grande pour lui, le concert du désormais légendaire Sixto Rodriguez peut commencer. Et déjà on a un premier pincement au cœur. L’homme au chapeau noir et aux éternels lunettes fumées débute son set avec "Climb up on my music". On n’entend pas la guitare sèche noyée sous l’électrique et la batterie. Plus tard, on se surprendra à penser que c’est finalment mieux de ne pas l’entendre… Sixto oublie les accords, joue un peu n’importe quoi, sa voix fatiguée ne suit pas, la guitare est même tombée et parfois il marmonne plus qu’il ne chante. Surtout il chante à son rythme et ses musiciens peinent à le suivre. Le public rigole, l’imite. Un homme se bouchera même les oreilles quand la star reprendra "Unchained Melody" ou "Blue Suede Shoes". Plus le set avance plus le Zénith se vide, progressivement. En fait, les gens étaient venus pour "Sugar Man", cinquième chanson du set qui ne durera qu’une petite heure, un set raccourci par rapport à la première date, celle du lundi. Des mauvaises langues se moquent « mercredi, il ne jouera qu’une demi-heure. C’est suffisant.» Le tube interprété dans la douleur, les encouragements de la salle sont timides. On est mal à l’aise, on a mal pour lui de le voir aussi faible, on est à la fois heureux et triste devant le spectacle, et on énumère pour nous-même toutes les raisons qu’il aurait fallu prendre en compte pour ne pas le faire jouer. L’homme est vieux, malade, fatigué, manque clairement de préparation. Mais malgré lui, il est devenu une légende et une légende apparemment doit se montrer…
Il a fallu quelques mois et un docu oscarisé pour que le Sugar Man sorte de l’ombre. Sugar Man c’est Sixto Rodriguez, un folkeux des années 60 devenu légendaire malgré lui. Oubliés de tous sauf des Sud-Africains, les portes de la célébrité et de la gloire s’ouvrent enfin à lui à 70 ans. Une bien belle histoire, comme il en existe qu’aux Etats-Unis. La belle histoire devait se terminer sur scène. En live. Dans des salles archi-combles. Quelques dates sont annulées. Celles de Paris sont maintenues : deux Zéniths, une Cigale. On se met à rêver. Sixto, le légendaire en vrai en chair et en os… Et en fatigue. Trop d’attentes irraisonnées pesaient sur ses frêles épaules de vieux monsieur malade et aveugle. A force de se projeter dans le passé, d’écouter ses deux fabuleux albums d’une autre époque, on a oublié que Sixto Rodriguez n’était pas un jeune folkeux de 25 ans, mais un homme de 71 ans qui n’avait plus véritablement chanté et joué devant un public. Evidemment, le concert n’était pas à la hauteur des démesurées espérances. Certains auraient préférés ne pas assister au triste spectacle, histoire de garder la belle image qu’ils s’étaient construites mentalement de lui, en écoutant Cold Fact et Coming From Reality. Mais, étrangement on est aussi heureux de voir qu’à 70 ans l’homme a enfin la reconnaissance qu’il mérite. Il avait l’air d’être content d’être sur scène. Il était un peu bourré (mais le bourré chic) encore une fois, c’est vrai, il a bousillé ses morceaux certes, il avait l’air d’un enfant qui découvre sa guitare le soir de Noël, oui. Mais n’est-ce pas ça l’histoire du rock et du folk aussi ? Lou Reed ou Bob Dylan ne font guère mieux aujourd’hui. A la différence près que Sixto n’a pas le passé musical des deux autres papys. Lui s’est fait plaisir et n’a cessé de répéter que les Parisiens étaient "so sweet". Au final, c’est peut-être ça le plus important. Pas le concert catastrophique. Pas nous. Lui.