Le surprenant destin de l’assassin de Jean Jaurès

Publié le 05 juin 2013 par Mpbernet

05 juin 2013

C’est en lisant l’ouvrage d’Alain Bauer « Dictionnaire amoureux du Crime » que j’ai découvert l’extraordinaire trajectoire de Raoul Villain, l’homme qui, à la veille du déclenchement de la Grande Guerre, le 31 juillet 1914, tira deux fois dans le dos du leader socialiste.

Cela se passait au Café du Croissant, 146 rue Montmartre, dans le quartier de la Presse, où nos pas nous ont conduits dimanche après-midi. Il y a aujourd’hui une grande plaque de marbre, et le restaurant existe toujours. Ce soir-là, Jaurès, directeur du journal l’Humanité, dîne avec son équipe de rédaction. Il est adossé à la fenêtre ouverte. Villain écarte le rideau et lui tire dans la tête, il ne cherche pas à prendre la fuite et est arrêté sur place.

Raoul Villain (29 ans) a de lourds antécédents familiaux : sa grand-mère est une mystique illuminée, sa mère est internée en établissement psychiatrique, son père se console dans la boisson.  Membre du Sillon, puis de la « Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine » ultra-nationaliste, il s’en est pris à Jean-Jaurès qui prône le pacifisme. Il se prend pour une sorte de Jeanne d’Arc. Il déclare avoir agi seul, par patriotisme.

Mais c’est la suite qui est effarante : le procès de Villain va être ajourné pendant toute la durée de la guerre, lui permettant ainsi d’échapper au conflit, et ne se tiendra que le 24 mars 1919. Alors que Villain reconnaît et revendique l’assassinat, il est acquitté, la veuve de Jean Jaurès est condamnée aux dépens. Le verdict est qualifié de monstrueux par Anatole France. En un sens, c’est le procès posthume de Jean Jaurès qui est fait, dans l’ambiance survoltée d’une victoire si chèrement acquise.

Raoul Villain est libéré. Mais sa « cavale » absurde n’est pas terminée : il retourne en prison pour un minable trafic de monnaie, erre de ville en ville (Paris, Dantzig, Memel …), jusqu’en 1932 où on le retrouve à Ibiza. Il y bâtit une maison étrange, jamais achevée …

En 1936, c’est la guerre civile en Espagne : les Républicains de Barcelone reprennent les Baléares au Franquistes. L’île est bientôt bombardée par l’aviation italienne. Dans la confusion, les anarchistes fusillent Raoul Villain sans trop savoir si c’est parce qu’ils connaissent son identité et qu’il a assassiné Jaurès ou parce qu’ils le suspectent de collaborer avec les franquistes.

Une justice immanente, mais n’était-il pas profondément dérangé ?