Quand l’aberration économique va de pair avec l’injustice.
Par Vesselina Garello.
Afin de faire passer en douceur la baisse du quotient familial en 2014, le gouvernement a brandi hier la promesse de créer 275 000 « solutions d’accueil » supplémentaires pour les moins de 3 ans. C’est encore presque deux fois moins que les besoins recensés par les rapports officiels qui font état d’un manque de 500 000 places d’accueil.
Du reste, c’est une initiative louable, étant donné les difficultés que rencontrent les parents d’enfants de moins de trois ans qui envisagent encore une vie professionnelle (bien que l’augmentation du taux de chômage soit en passe de résoudre de façon radicale ce problème).
Le manque de places en crèche – un casse-tête pour les économistes
Le manque de places d’accueil et plus particulièrement de places en crèche en France est un cas d’espèce très intéressant du point de vue économique, puisqu’en règle générale lorsqu’une demande existe (en l’occurrence, la demande pour le service de garde d’enfants) le marché s’ajuste très rapidement pour satisfaire cette demande. Il est étonnant de voir qu’en dépit de la très forte demande (nous sommes parmi les champions d’Europe dans les statistiques de natalité), l’offre peine à se développer. Bien entendu, le manque de places en crèche est quelque part compensé par l’offre privée venant des assistantes maternelles (ASMAT). Mais d’une part cette offre est loin de couvrir les besoins, d’autre part elle ne répond pas nécessairement aux besoins exprimés par les parents. Les préférences des parents vont en général à l’accueil collectif, qui leur semble plus fiable (meilleure disponibilité) et plus socialisant (intégration dans une communauté élargie) que l’accueil par une assistante maternelle. Les longues listes d’attente de place en crèche en témoignent d’ailleurs. Le choix des parents est de surcroît largement guidé par les considérations financières : la place dans une crèche est a priori moins chère qu’une place chez une ASMAT.
Les crèches fonctionnent à des coûts plus élevés
Mais c’est précisément sur ce point que la logique économique est prise en défaut : la place en crèche fonctionne à des coûts plus élevés que la place chez une nounou ! La mutualisation des frais de la garde d’enfants devrait aboutir au résultat inverse, puisque le coût de fonctionnement de la crèche est supporté par un plus grand nombre de familles. Les économistes appellent cela une « économie d’échelle » : fonctionner à plus grande échelle permet en général d’amortir les frais. Lorsque vous avez plus d’enfants gardés par une personne, le coût unitaire de l’heure de garde devrait diminuer (puisqu’il est divisé par un plus grand nombre d’enfants).
Ainsi, là où une assistante maternelle garde en général 2-3 enfants (2,8 en moyenne), le personnel de crèche se voit confier entre 5 et 8 enfants par personne en fonction de leur âge (voire plus depuis le très contesté décret Morano de 2010). Il est alors très curieux de constater que le prix moyen brut de l’heure de garde chez une assistante maternelle est aux alentours de 4,5 euros (frais d’entretien compris), alors que celui de l’heure en crèche est de 9-10 euros, souvent plus.
Un coût sans rapport avec la productivité ni la qualification
Pour rendre ces chiffres plus parlants, je me suis amusée à calculer le prix que j’aurais à payer si aucune aide ni déduction fiscale ne m’était accordée pour la garde en crèche de mes deux enfants de moins de trois ans. Ainsi, tous les deux étant gardés 10 heures par jour, cinq jours par semaine, la somme dont je devrais m’acquitter, qui correspond au coût réel supporté par la crèche, serait ni plus ni moins de 2000 euros par enfant ! Ce qui est bien au-delà des 1 700 euros de salaire médian des français et qui est celui d’un jeune cadre (très !) diplômé qui débute sa carrière. Autrement dit, la productivité de ce même jeune cadre au bout de cinq années d’études supérieures serait tout juste suffisante pour qu’il rémunère les personnes chargées de la garde de son enfant. Rappelons ici que le personnel des crèches n’a en général pas fait d’études supérieures. Autrement dit, la valeur ajoutée issue du travail hautement qualifié serait la même que celle du travail moyennement, voire pas du tout qualifié. Rappelons aussi que quelque importante que soit la tâche de s’occuper d’un jeune enfant, la qualité requise en la matière relève plus des qualités humaines de la personne que de qualifications bien spécifiques.
Une réglementation surabondante et ruineuse
Une première explication de cette absurdité économique devrait être attribuée aux dizaines de règlementations et normes auxquelles une crèche est tenue de se conformer (alors que les mêmes exigences ne s’appliquent pas aux ASMAT). Sans doute certaines de ces normes sont-elles utiles et très rassurantes, comme les mesures qui sécurisent l’espace pour les enfants ou les règles d’hygiène. On souhaite tous que nos enfants soient à l’abri d’une chute ou d’une intoxication alimentaire et on est sans doute nombreux à être prêts à en payer le prix. Mais les normes auxquelles doit se conformer une crèche vont bien au-delà du raisonnable. Je pense ici à l’installation de toilettes spéciales pour enfants (à la place d’un réducteur ou du simple pot), aux normes draconiennes du mobilier, qui s’achète sur catalogues spécialisés et coûte trois fois plus cher que les meubles que vous achetez pour aménager la chambre de votre enfant chez vous etc. Ce n’est pas que nous ne désirons pas tous le meilleur pour nos enfants ; mais dans la vie réelle, chaque dépense supplémentaire est comparée au bénéfice supplémentaire qu’elle nous procure, ce qui explique pourquoi nous ne mangeons pas tous bio, ne désinfectons pas trois fois par jour nos maisons et n’installons pas systématiquement des mini toilettes pour nos chérubins.
Le surcoût provient de services non demandés
Cette logique économique simple n’a toutefois aucune chance d’être mise à l’œuvre dans une crèche française, pour la bonne et simple raison que l’État a détruit dans ce domaine tout mécanisme de prix et faussé ainsi le signal que le prix véhicule naturellement et qui permet au consommateur (dans notre cas, les parents) de choisir le niveau de service qui le satisfait le mieux. Ainsi, les crèches ayant passé un contrat avec la CNAF afin de bénéficier d’une subvention (c’est-à-dire la quasi-totalité des crèches françaises) appliquent un tarif calculé en fonction des revenus des parents et de leur situation familiale. Ainsi, pour une famille avec deux enfants le tarif à la journée payé en 2013 peut aller de 3 euros (tarif plancher) jusqu’à plus de 100€. Bien évidemment, si le tarif que vous payez est complètement déconnecté de la qualité de service comme ici, il n’existe pour vous, consommateur, aucune incitation à vouloir que le coût de revient du service soit maîtrisé.
De la sorte, si la nounou vous annonce que votre enfant pourrait avoir des cours de musique pendant les heures de garde, vous prendrez votre décision en fonction du surcoût que cela va représenter pour votre budget. À la crèche, en revanche, vous allez être demandeur systématiquement de services et prestations supplémentaires, parce que leur prix n’affecte pratiquement jamais le tarif que vous allez payer.
Ce qui est extraordinaire, c’est que ce mécanisme pervers opère une deuxième fois au niveau du gestionnaire. Celui-ci est subventionné par la CAF à hauteur de 66% de son coût de revient, plafonné à 6,39€ en 2012. Il est par conséquent beaucoup moins incité à minimiser ses dépenses, que s’il les supportait entièrement, sans parler du fait que ce qui reste au-delà du plafond est la plupart du temps subventionné par la mairie et non pas couvert par les participations familiales. En effet, comme nous l’avons vu, le prix payé par les familles peut être plus de trente fois inférieur au coût réel !
Une discrimination arbitraire
D’aucuns défendraient ce système rigide et inefficace sous prétexte de solidarité avec les familles les plus démunies, mais il n’en est rien. Les critères de ressources retenus par la CAF sont tout sauf équitables. Ainsi, vous êtes traité de la même façon que vous soyez propriétaire ou non de votre logement, que vous dépensiez 0 ou 20 euros par jour pour aller travailler, que vous ayez une baisse de revenus au cours de l’année ou une augmentation etc. La liste des injustices est longue et ne se justifie que par la méfiance de l’administration envers les administrés. Seul l’avis d’imposition est retenu pour fixer le montant du revenu, or il fait référence à des ressources datant de deux ans !
Ce qui est encore pire, c’est que l’insuffisance de places en crèche, due au manque d’un véritable mécanisme de prix et à l’excès de règlementation, affecte d’abord et avant tout les familles les plus démunies, notamment les femmes qui restent au foyer car leur salaire ne suffirait pas pour payer une nounou ou une garde d’enfants à domicile. En termes de carrière, les effets de cette exclusion forcée du marché du travail sont bien connus.
Vers une réforme radicale ?
La volonté du gouvernement de créer des places supplémentaires en crèche peut alors rassurer certains ; pour les autres, il parait évident que si un véritable mécanisme de prix n’est pas introduit dans le système, la liberté d’entreprendre et l’initiative privée en seront absentes et les vœux du gouvernement resteront des vœux pieux.