Fredéric Othon Théodore Aristidès (1931-2013)

Publié le 05 juin 2013 par Hunterjones
C'est le druide de la potion de l'imagination de mon enfance qui s'est éteint le 2 avril dernier.
Fred naît à Paris de parents d'origine grecque. Il se plaît à raconter que sa grand-mère maternelle, fuyant avec ses enfants la guerre en Grèce en 1917, s'arrêtant à plusieurs reprises pour boire un coup avec des amis, manqua son train qui explosa sur une mine, ne laissant aucun survivant. Il devait donc son existence au sens de la fête et de l'amitié, ce à quoi il s'appliquera toute sa vie.

Enfant, il découvre Le Journal de Mickey et se passionne pour Oliver Twist, Shéhérazade, Oscar Wilde, Edgar Allan Poe, Robinson Crusoé, Cadichon, Jack l'Éventreur, autant de références qui orneront plus tard son œuvre à plusieurs reprises. Il a un moment d'épiphanie quand il découvre chez l'éditeur du journal Robinson des planches abandonnées de Mandrake le magicien et de Popeye le marin: Il dessinera lui aussi.
À 15 ans, il débute par des dessins d'humour dans OK. Il publie sa première BD dans le courrier des lecteurs d'un journal pour enfants puis, étudiant au quartier latin, participe à plusieurs publications aujourd'hui très recherchées. En publiant pour des revues plus connues dans les années 50, il fait la rencontre de plusieurs amis qui fonderont avec lui le journal bête et méchant Hara-Kiri. C'est là qu'il produira le début de son œuvre et qu'il crééra déjà plusieurs personnages et histoires qu'il reprendra par la suite (le Manu-Manu (la main) entre autre).  Fred développe un esprit assez mordant, souvent noir, mais également une critique de l'esprit bourgeois (symbolisé par l'homme au cigare : attiré par l'argent, à l'opposé de l'artiste, en faveur de l'autorité et n'aimant pas la différence), esprit bourgeois que Fred stigmatisera dans toute son œuvre.
En 1966, Hara-Kiri cesse de publier. Fred va d'abord proposer quinze planches au magazine Spirou, qui les refuse. Il tente alors sa chance au journal Pilote où René Goscinny accepte de le publier. Le mystère de la clairière aux trois hiboux met pour la première fois le personnage de Philémon en scène. Les lecteurs du journal écrivent pour dire qu'ils détestent. Les dessins de Fred sont alors écartés et il fera pendant un temps des scénarios pour les autres. 
Il y a deux hypothèses quant à la façon dont il eut l'éclair de génie qui fît naître l'univers de Philémon. La première veut que Fred ait eu cette idée alors qu'il prenait son bain, s'interrogeant sur l'endroit où l'on va quand on est aspiré par le tourbillon de la baignoire qui se vide*. L'autre veut que c'est en vacances qu'il ait eu cette idée : alors que son fils de dix ans Éric lui réclamait une histoire, il se met à l'imaginer en se servant des objets qui l'entourent, notamment une bouteille, une maquette de bateau et un abat-jour (qui deviendra une lampe naufrageuse chez Philémon). Goscinny accepte que Fred dessine cette histoire, quinze Philémon seront alors publiés jusqu'en 1987. Ce sera la série-phare de l'auteur qui compose la plus grande partie de son œuvre. 
Série commencée l'année de ma naissance, découverte quelques 6 ou 7 ans plus tard, je dévorerais son univers jusqu'au dernier album de la collection lancé en février 2013.
Fred publiera en parrallèle d'autres histoires avec le même esprit un peu misanthrope et définitivement poétique. Il écrira aussi pour Jacques Dutronc**, un ami qui lui voue une admiration réciproque à celle que voue Fred au rouquin mari de Françoise Hardy. Il fera plus tard deux livres-disques pour enfants avec Dutronc: La Voiture du Clair de Lune et Le Sceptre. Il écrira aussi pour Terry Gilliam, sans le sou à Paris, mais leur projet ne verra jamais le jour. En 1988, il publie un livre-hommage à Jacques Brel imagé de son talent de dessinateur. Boulimique en 1991, il écrit 35 scénarios pour des courts métrages réalisés entre autre par Daniel Vigne, Jacques Rouffio et Gérard Zingg.

Il fait alors une grave dépression et inspiré de son séjour en psychiâtrie, il publie L'Histoire du Corback aux Baskets qui lui vaudra l'Alph'art du meilleur album à Angoulème en 1994. La série Philémon avait aussi raflé le Grand prix de cette même ville en 1980, phénomène extrêmement rare pour ses deux hautes distinctions de la BD francophone.
Après avoir longtemps vécu à Puiseux-le-Hauberger, Fred s'installe dans une maison de retraite à Domont.
En janvier 2012, il est présent au Festival d'Angoulême, où il visite l'exposition qui lui est consacrée où il avoue avoir envie de terminer le dernier album de Philémon, dont les premières pages sont déjà dessinées. Cet album intitulé Le Train où vont les choses sort le 22 février 2013, et est annoncé comme le dernier de la série. (une bd pour initiés si vous voulez pleinement le savourer)

Si vous plonger dans l'univers enchanteur de Philémon, je vous suggère de les lire dans l'ordre en commençant par Avant La Lettre qui, bien que publié en 1978, est réèllement le premier de la série narrative.

Sinon vous risquez de vous y perdre. Mais il a toujours été bon de se perdre avec Fred.
Merci la vie pour Fred et son imagination.
Nous sommes tous un peu naufragés de toi maintenant.
*Ironiquement je scénariserais cette même idée en 1996, l'histoire d'un homme fuyant par le trou du bain, sans même savoir qu'une de mes idoles s'en serait lui-même peut-être inspiré!
**Cette ligne et ses dérivés, "Le fond de l'air est frais", est récurrente dans la série des Philémon.