Pendant près de deux millénaires, les bronzes ont été les signes d’une société, les pièces matérielles de son essence. Partant du 16ème siècle avant J.C, environ, l’exposition propose un voyage à l’époque néolithique en Chine. Il s’agit d’un âge auquel on voit apparaitre le début de l’économie de production. Dans cette présentation au Musée Guimet, nous pourrons voir l’inscription littérale de toute une culture dans ces objets rituels. La collection Meiyingtang est riche de formes et d’inscriptions, permettant de retracer l’histoire de la Chine entre les 16ème et 10ème siècles avant notre ère. Dans cette exposition, nous verrons ainsi des vases, des tripodes, des plateaux, dont les reliefs à eux seuls nous rapporterons la mémoire d’une civilisation.
Une légende ancienne raconte que le souverain Yu le Grand reçoit de neuf bergers du métal de leur province. Le souverain les fait fondre pour en faire neuf tripodes qui symbolisent les différentes parties du domaine royal. Les bronzes attestent à la fois du mandat céleste et sont aussi perçus comme un signe de bon augure.
L’âge du bronze commence en Chine il y a deux millénaires, durant la période appelée Erligang (16ème – 15ème siècle avant notre ère), au cours de laquelle se fixent les première formes des vases à boissons fermentées jue, jia, ou he ainsi que celles des tripodes pour la cuisson li, ding, et yan. Ce style se caractérise par un simple filet en relief avec comme motifs des traits parallèles ou en zigzag, des spirales évoquant les yeux et des volutes qui dessinent un corps animal. Puis les motifs se précisent. Entre l’Erligang et la période d’Anyang (13ème – 12ème siècle avant notre ère), les motifs en frise se déploient peu à peu jusqu’à occuper toute la surface de l’œuvre en se densifiant. Enfin à la période d’Anyang, dernière capitale des Shang, le relief des motifs principaux se rehausse d’un fond tapissé de spirales leiwen en méplat, donnant plus de visibilité au décor principal. Ce style va durer jusqu’au début de l’époque des Zhou (11ème – 10ème siècle avant notre ère).
Dans ces première salles, les pièces présentées sont des tripodes ou des vases et la matière et avec elle, la couleur presque phosphorescente frappe le visiteur. Le bronze est un alliage de cuivre et d’étain. L’analyse d’un des premiers tripodes, jue, découvert à Erlitou, donne un rapport de 92% de cuivre pour 7% d’étain. On suppose que le plomb est un élément constant dans l’alliage dès l’origine. Ainsi la composition moyenne d’un récipient Shang, est de 80% de cuivre, 13% d’étain et 7% de plomb. Le cuivre fond autour de 1100°C mais l’étain permet la baisse de la température de fonte, rendant le métal plus malléable ; le plomb rend le métal plus élastique mais également plus fragile tout en ayant l’avantage d’augmenter sa fluidité au moment de la fonte pour une réelle précision du décor.
Dans les bronzes chinois anciens, s’inscrivent une tradition séculaire de transmission générationnelle. A la période d’Anyang, on commence à voir sur les objets en bronze, les marques de clans et des noms de dignitaires. Sous la dynastie des Zhou occidentaux, les reliefs fournissent des informations sur l’histoire de la dynastie. C’est là l’expression d’un talent tout particulier à cette dynastie puisque les talents d’historiens des Zhou se diffusent dans l’énoncé concis de hauts faits, travaillés dans le bronze, pour en faire des objets de commémoration.
Dans les périodes les plus anciennes, l’évolution des formes et des motifs, reflète le contexte rituel et guerrier de l’histoire de la Chine. Il s’agit d’affirmer da puissance de la dynastie et la puissance du souverain chargé d’assurer la liaison céleste à partir des Zhou. La richesse de la collection Meiyingtang et ses pièces, permet de reconstituer l’autel du rituel à la fin des Shang et jusqu’au milieu des Zhou (c’est-à-dire entre les 12ème et 10ème siècles avant notre ère). Sur l’autel, les vases à boissons fermentées étaient posés contenant les bières à base de céréales. Ce sont eux qui prédominaient durant la période Erlitou (période précédant l’Erligang, du 19ème au 16ème siècle avant J.C). Ainsi on distingue les coupes à libation jue et jiao, les calices gu, les gobelets zhi, les vases zun, et you et les verseuses he, utilisés lors de grandes cérémonies réunissant sous les Shang, les prêtres-devins entrant en communion avec les esprits des ancêtres royaux. Sous les Zhou, vainqueurs par « mandat céleste » du régime des Shang, les cérémonies sont fondées sur des rites s’organisant autour du roi, considéré comme le « Fils du Ciel ». On trouve aussi les récipients contenant les offrandes de plats et autres mets, comme les ding, et les ustensiles à eau comme les pan réservés aux ablutions. Le rituel se complexifie dans les pratiques.
Les bronziers Shang travaillent peu à peu l’ornementation et introduisent dans les reliefs des formes animales empreintes de mythes. En cela ils se placent en héritiers de la tradition des ciseleurs de jade et des laqueurs contemporains. On y lit une savante cosmologie sans doute influencée par le monde chamanique des périodes néolithiques. Le déchiffrage des signes dans les reliefs est plus aisé pour l’œil non avisé dans cette section de l’exposition. Les animaux se reconnaissent, ils prennent forme sur une partie de l’objet ou leur prête leur forme globale. Hiboux, oiseaux, dragons et serpents s’inscrivent alors dans ces objets de culte. Avec le temps et la force de l’imaginaire, les formes évoluent vers celle d’un bestiaire, sorte de « sculpture » animalière dépassant la forme fonctionnelle de l’objet pour lui attribuer une intensité magique. Les bronzes découvert dans la périphérie nord du royaume des Shang révèlent une influence de la steppe où le naturalisme dans les détails est privilégié. De même, au sud du fleuve Yangzi, un riche vocabulaire zoomorphe donne lieu à une sculpture d’inspiration réaliste ou imaginaire : tigres, éléphants, buffles font la spécificité de l’aire méridionale. Sous les Zhou coexistent les deux courants apparus dès les Shang, un bestiaire hybride et une recherche de réalisme toujours plus forte.
Lors de l’avènement des Zhou, vers 1050 avant J.C, les Etats vassaux font allégeance à la maison royale. Les bronzes représentent les grandes affaires de l’Etat, et les insignes des clans des Shang succèdent aux inscriptions dédiées aux ancêtres. Les rites sont précisément réglés par écrit et prennent une importance égale à celle des armes. Chaque célébration se déroule dans une ambiance solennelle avec des sacrifices et des offrandes, les fêtes s’achevant par un banquet. Au milieu du 10ème siècle avant J.C, on observe une nette évolution dans la forme et dans le décor des vases rituels, évolution que l’on peut attribuer à une volonté politique de changement. Les Zhou se démarquent des Shang, par l’importance qu’ils accordent aux récipients à aliments : vases pour la cuisson et la conservation des viandes (tripodes ding et li), marmites à vapeur yan, ou vases pour la conservation des céréales, comme les gui, les xu ou les fu. Sous les Zhou orientaux (770 – 221 avant J.C) cette tendance se prolonge avec de nouvelles formes celle des présentoirs dou et des coupes dui.
Les bronzes dont la mémoire tangible de l’effort gigantesque d’une classe dirigeante qui place au cœur de ses préoccupations la politique et la dimension symbolique.
Les œuvres suivent alors une esthétique aux lignes très marquées outrepassant les limites et les volumes initiaux. L’ère des Printemps et des Automnes marque le déclin de la maison royale des Zhou après le déplacement de la capitale à Luoyang. Les Etats se surpassent esthétiquement en rivalisant avec des œuvres magnifiques, ainsi le royaume des Qi au Sha dong dont provient le vase monumental gui monté sur un socle et muni d’anses en forme de dragons. Au final, deux royaumes se distinguent : dans le Nord les Jin, dont la fonderie de Houma au Shanxi est un véritable centre de métallurgie capable d’une production presque industrielle ; et au Sud du fleuve Yangzi, le royaume des Chu dont le rayonnement s’étend jusqu’au sud du Henan. Les Chu sont connus pour leurs armes et leurs grands ensembles de carillons, et ils créent aussi une forme particulière de tripodes, les shengding.
A la fin du 1er millénaire, la société guerrière et ses valeurs sont en recul. Les représentations humaines font leur apparition, dans un registre individualisé, à travers des personnages préfigurant les mingqi.
L’âge du bronze décline et parait mêler mythe et histoire. Dans la langue chinoise on voit ainsi le terme jue est utilisé pour le désigner les titres de noblesse – juewei – et la parole de poids d’un homme est dite « égale à neuf ding ». Sous les Ming, la tradition des collectionneurs devient courante notamment parmi les lettrés, les piliers de l’Empire et l’usage de consulter sa collection avec des amis. On le voit ainsi beaucoup dans la peinture lettrée. Mais on le remarque, à chaque fois qu’une dynastie chinoise a besoin d’assurer sa légitimité, elle se réfère à cette tradition des bronzes. Les formes des vases rituels antiques sont reprises dans des pièces monumentales en porcelaine destinées aux cérémonies que les premiers empereurs Qing restaurent en se rapportant au Livre des Rites, le Zhouli, 20 siècles avant.
Les sociétés Shang et Zhou fondent leur puissance sur la guerre. Dans les objets, on trouve les fonctions décoratives et techniques associées à une dimension fantastique qui doit charger de pouvoirs magiques les chars et chevaux qui doivent s’affronter. Quand le contexte est pacifié, le char sert aux parades du roi. Les décors des armes, des éléments d’harnachement et de charrerie développent des motifs hérités des bronzes rituels.
Objets de cabinetDes « objets de cabinet » témoignent d’une esthétique raffinée : récipient à pigment, petites boites ayant appartenu à des dames de l’aristocratie ; coffret à décor stylisé associé à de petits animaux en ronde, oiseaux, oursons, tigres, révélant combien les royaumes chinois partagent alors avec les peuples nomades de la steppe un goût de la figuration étendu aux pièces en bronze n’appartenant pas au grand rituel des cérémonies.
Pendant la période des royaumes combattants (475-221 avant J.C), le contexte de compétition dans l’ostentation entre les différentes cours vassales des Zhou orientaux, des formes venues des laques sont reprises en bronze. Ces objets deviennent d’usage et non plus rituels. La combinaison des matières s’y exprime On y voit le contraste entre le fond et des motifs travaillés avec des pierres précieuses, de la malachite, de la turquoise, de la laque, du cuivre, de l’or ou de l’argent. On remarque alors la disparition du bronze sous l’abondance de décors et de ces matières. On lit désormais sur les objets des scènes d’activités et de vie humaines, et l’association des matières se font presque passer l’une pour l’autre (impression de vannerie, de tissu etc… rendue par de la laque ou une manière précise de travailler certaines matières).
En définitive, c’est par ces objets rituels puis devenus d’usage plus courant, que l’on voit s’exprimer aussi bien les croyances, l’histoire et la vie en Chine au néolithique. Les bronzes anciens transmettent également leur valeur symbolique et presque magique, mise en valeur par la scénographie du Musée Guimet. Les motifs ressortent et se prêtent à la lecture. On prend alors conscience en sortant de l’exposition que ces objets nous on raconté avec détails, l’histoire de cette civilisation.
A voir jusqu’au 6 juin 2013
Les trésors de la Chine Ancienne
bronzes rituels de la collection Meiyingtang
au Musée Guimet
6, place d’Iéna
75116 Paris