Rappelons tout d’abord que l’article 1 de la LCEN pose le principe selon lequel « la communication au public par voie électronique est libre ». Le juge constitutionnel avait d’ailleurs, dans une décision du 10 Janvier 2009, confirmé cette position en se fondant sur l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pour énoncé, dans son considérant 12, qu’ « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prisée par ces services pour la participation à la vie démocratique, l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ». Que ne serait d’ailleurs ce principe de liberté sans son corollaire naturel, la neutralité du net ? Ce dernier, popularisé par un article de l’américain Tim Wu en 2003, est issu de l’article L32-1 du CPCE et pose le principe selon lequel toute discrimination à l’égard de la source ou du contenu de l’information qui est transmise sur le réseau devrait être exclue. Ces principes ont pour conséquence une large irresponsabilité pour les prestataires techniques (opérateurs de télécommunication ou de « catching », fournisseurs d’accès ou hébergeurs dans une autre mesure). Une des limites à ces régimes particuliers de responsabilité, qualifiés par Pierre-Yves Gautier de « responsabilité pour faute prouvée » est à chercher dans l’article 1 de la LCEN selon lequel le principe de liberté peut être limité notamment par le respect du à la personne humaine.
Pourtant, selon le CSA, le Conseil possède, sur ce fondement notamment, des bases légales permettant de justifier un éventuel filtrage du net. En effet, ce dernier milite pour une consultation des médias internet, signe que la possibilité légale existe. C’est peut-être pour cette raison que le CSA a proposé en janvier dernier d’étendre ses compétences à l’ensemble des services de vidéo en ligne, notamment dans un but de protection de l’enfance et de l’adolescence, du respect de la dignité de la personne et de la prohibition d’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité.
Mais pour autant cette base légale est-elle suffisante pour contraindre les intermédiaires techniques à intégrer ce processus de consultation ? Au titre de l’article 6.I.2 de la LCEN, les juges constitutionnels ont considéré, dans le cadre d’une réserve d’interprétation posée par une décision du 10 Juin 2004, que ces dispositions « ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information comme dénoncée illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas « manifestement » un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ». Qu’est-ce donc alors que le manifestement illicite ? C’est, toujours selon les juges de la Haute Juridiction, « les contenus qui ne doivent pas nécessiter un débat contradictoire pour révéler leur caractère illicite ». Un jugement du TGI de Paris du 15 avril 2008 (Jean Yves Lafesse c/ Dailymotion) a prévu trois cas de contenus manifestement illicites : la pédophilie, la haine raciale et l’apologie de crimes contre l’humanité. Dès lors, c’est l’autorité judiciaire et non le CSA qui doit contraindre les hébergeurs à effacer un contenu portant atteinte à la dignité car ces derniers n’ont pas une obligation générale de surveillance sur les contenus qu’ils hébergent au titre de l’article 6.I.7. Dès lors, l’idée d’une base légale permettant de restreindre les hébergeurs paraît douteuse.
Et quand bien même… Une telle bataille, perdue d’avance donc, ne serait-elle pas vouée à l’échec lorsqu’on sait que l’hébergeur n’est astreint à aucune obligation d’empêcher la remise en ligne ? En effet, un arrêt rendu par la première Chambre civile de la cour de cassation du 12 Juillet 2012 (AuFéminin.com c/ Google) a officiellement enterré l’obligation de « take down, stay down » qui était applicable aux hébergeurs et selon laquelle ces derniers devaient empêcher la remise en ligne d’un contenu déclaré illicite par le juge. Dès lors, quand bien même les juges admettraient le caractère illicite de la vidéo d’Indochine car constituant une atteinte aux bonnes mœurs, il faudrait autant de notifications qu’il y aurait de remises en ligne de la vidéo pour rendre finalement lisse l’internet. Et policé, c’est précisément ce que n’est pas l’internaute. Ce dernier, sans obligatoirement apprécier Indochine plus que de juste, pourrait quand bien même faire de la défense de ce groupe et de son clip le prétexte d’une guerre à la censure. Une nouvelle guerre d’Indochine en somme.