Les établissements dits systémiques sont définis tels quels de par leur taille et de par l’influence que leur santé économique peut faire peser sur le système économique dans sa globalité.
L’Histoire a en effet prouvé que la faillite ou à minima la mauvaise situation financière d’un tel établissement peut avoir des conséquences désastreuses. C’est la raison pour laquelle ces derniers sont pointés du doigt par les organismes de régulation et de contrôle de la stabilité économique qui tentent de durcir les règles du jeu en encadrant leurs activités de manière toujours plus stricte et rapprochée.
Quels sont ces établissements dits à risque systémique?
En 2010, à la demande du Conseil de Stabilité Financière, le Comité de Bâle s’est engagé à mettre en place une méthodologie d’identification des établissements systémiques et à proposer des mesures pour renforcer leur résistance. L’objectif affiché est d’éviter une nouvelle faillite d’un tel établissement pouvant avoir des répercussions néfastes sur le reste de l’Economie.
Le 4 novembre 2011, le Comité de Bâle a publié les résultats de cette étude qui a permis, sur la base d’un échantillon de départ de 73 établissements financiers, d’identifier un certain nombre de G-SIBS (Global Systematically Important Banks) et de les classer à partir d’une série d’indicateurs en fonction de leur influence d’un point de vue systémique.
Ces indicateurs sont au nombre de 5: les activités transfrontalières, la taille, l’interconnexion, la non-substituabilité et la complexité. Les données de calcul de ces indicateurs seront révisées tous les 3 ou 5 ans.
Cette méthodologie d’identification des G-SIBS a été validée par les instances internationales[1] au cours du second semestre 2011.
A l’issue de ces travaux, Le Conseil de Stabilité Financière a publié une liste de 29 banques internationales considérées comme « d’importantes institutions financières systémiques », c’est-à-dire les organisations financières pouvant entrainer des répercussions importantes en cas de troubles du fait de leur taille et de la position qu’ils occupent dans le panorama économique mondial.
Dans cette liste, 17 établissements sont basés en Europe, 8 aux U.S. et 4 en Asie. Y figurent quatre banques françaises: Société Générale, Crédit Agricole, BNP Paribas et BPCE.
Des établissements dits “too big to failâ€� bénéficiant de surcroît de la protection de l’Etat
C’est en 1994 que Stewart McKinney, membre du Congrès américain, a formulé la phrase aujourd’hui célèbre [2] : «Monsieur le Président, nous avons désormais une nouvelle sorte de banques: celles qui sont trop grandes pour faire faillite, les too-big-to-fail, et ce sont des banques merveilleuses ».
Quelques années plus tard, la crise ďŹ�nancière consécutive à la faillite de Lehman Brothers survenue en septembre 2008 a conduit la sphère politique à soutenir de manière inconditionnelle tout établissement ďŹ�nancier en difficulté dont la faillite pourrait engendrer des perturbations majeures. Désormais, la sauvegarde du système économique global passe par le sauvetage par le régulateur des instituts systémiques, definis “Too Big to Failâ€� ce qui signifie des établissements dont la taille et les interconnexions sont telles qu’elles ne peuvent pas être abandonnées à la faillite. Les pouvoirs publics des pays du G20 ont par conséquent accepté de s’engager publiquement à un renflouement systématique des établissements systémiques.
Par ailleurs, du fait de la protection des Etats de laquelle elles bénéficient, des analyses empiriques[3] démontrent que les grandes banques «Too Big to Fail» obtiennent des notations supérieures qui leur permettent de se financer à meilleur compte.
Un traitement de faveur contraire aux lois du marché?
Ce traitement particulier appliqué aux établissements systémiques pose un problème d’équité sur les marchés financiers du fait que certains établissements bénéficient systématiquement de la protection des Etats alors que d’autres sont exposés au risque de sombrer en cas de difficulté. De plus, le principe d’intervention de sauvetage systématique est totalement contraire à une vision libérale de fonctionnement des marchés et pose donc problème en terme de discipline sur les marches financiers.
Un système non équitable, comme le rappelle l’ONG Finance Watch, car les banques systémiques génèrent des distorsions de concurrence dans l’industrie bancaire: les banques qui disposent de la protection des Etats se financent plus facilement et à moindre coĂťt sur les marchés par rapport aux banques non systémiques. Cela signifie simplement que les marchés estiment que la protection des Etats réduit le risque de défaut et donc de non-remboursement.
L’inquiétude principale du régulateur repose sur le fait que cette protection inconditionnelle de l’Etat pourrait induire les grosses institutions financières à s’exposer de manière imprudente dans des opérations risquées, appâtées par le gain qu’elles pourraient en retirer, et non exposées au risqué de faillite en cas d’échec. Les banques systémiques bénéficient d’une sorte d’assurance publique et par conséquent s’auto-protègent moins contre les risques qu’elles prennent: la garantie d’Etat permet aux établissements d’importance systémique de prospérer au delà de leur optimum économique et celle-ci n’est ni inscrite dans la législation, ni compensée et ne nécessite donc, de la part des banques qui en profitent, aucune contrepartie.
Quelques exemples de sauvetages d’établissements systémiques
Un exemple historique d’intervention de sauvetage de l’Etat est celui du renflouement de la Continental Illinois Bank en 1984 par l’Etat fédéral américain. Pourtant seulement 7ème banque des Etats Unis, cette banque était installée sur l’une des principales places financières et détenait d’importants dépôts de centaines de petites banques. Les superviseurs américains ont craint que la faillite de cet établissement ne se propage aux banques dépositaires et ont donc mis en place un sauvetage qui a permis de renflouer non seulement les déposants bancaires, mais aussi l’ensemble des créanciers non assurés.
Mais il ne faut pas remonter si loin pour citer des exemples d’intervention de sauvetage de l’Etat. En effet, l’Histoire récente de notre Economie possède des exemples encore fraichement inscrits dans la mémoire collective puisque nombre de banques universelles systémiques ont été renflouées comme Citigroup, Fortis, Royal Bank of Scotland, Lloyds Banking Group, UBS, Bank of America, pour n’évoquer que certaines des plus grosses.
Un cadre réglementaire spécifique pour les établissements systémiques?
La question de l’encadrement des établissements systémiques constitue une des difficultés les plus importantes que tentent d’affronter les organismes de régulation financière nationaux et internationaux.
Cette problématique avait été soulevée dans un ouvrage prémonitoire de Stern et Feldman[4] datant de 2004. Ils avaient déjà identiďŹ�é la question des too-big-to-fail comme un problème de réglementation majeur et avaient proposé une palette de mesures visant à y remédier.
La crise a éclaté et les réflexions portant à une réforme du système bancaire sont plus que jamais au cĹ“ur de l’Actualité.
Les établissements identifiés comme systémiques ont été répartis au sein de 5 groupes homogènes en fonction de leur importance systémique, chaque groupe correspondant à l’application d’une surcharge d’exigence en fonds propres de base comprise entre 1 % et 2,5 % des risques pondérés. Les banques qui atteindraient un niveau d’importance systémique supérieur à ceux observés aujourd’hui seraient, quant à elles, soumises à une surcharge de 3,5 %. Cette capacité d’absorption supplémentaire des G-SIB s devrait être mise en Ĺ“uvre progressivement à partir du 1er janvier 2016 et être pleinement effective à compter du 1er janvier 2019.
Tout nouveau dispositif à caractère contraignant pour les banques est toutefois à mettre en place de manière extrêmement attentive afin d’éviter tout risque de déclencher des effets secondaires néfastes sur l’Economie, comme le développement des activités de “shadow bankingâ€�[5]. Autre effet néfaste qui s’effectuerait toujours au détriment du consommateur serait une baisse des crédits à l’économie afin de permettre aux banques de financer cette surcharge en fonds propres.
Outre ces mesures de durcissement des exigences en matière de fonds propres, le Comité de Bâle a également publié des mesures d’encadrement des banques systémiques, visant à mieux encadrer les instruments et les techniques de couverture de la position des banques face aux risques financiers, plus particulièrement en matière de reporting et d’agrégation des positions. Le Comité de Bâle a ainsi publié début janvier 14 principes à ce sujet. Leur mise en Ĺ“uvre « renforcera la gestion des risques au sein des banques, particulièrement les G-SIBs (Global systemically important banks), et ainsi leur aptitude à faire face à des situations de stress et de crises », a souligné le Comité bancaire. «Ces principes constituent un pas en avant significatif et contribueront aussi à résoudre la question des G-SIBs’, et ainsi à réduire le recours potentiel aux contribuables », a commenté Stefan Ingves, président du Comité de Bâle et gouverneur de la Sveriges Riksbank. Le calendrier de mise en oeuvre de ces principes est fixé d’ici à janvier 2016 et est adressé principalement aux G-SIBS.
Ces mesures sont certes utiles pour encadrer de manière plus rigoureuse les pratiques des établissements systémiques mais restent décriées?
Ou des mesures visant à réduire et donc éliminer les établissements systémiques?
Au travers des rapports et propositions de séparation des activités de détails et des activités de financement et d’investissement, que ce soit Volcker aux Etats-Unis, Vickers en Angleterre ou Liikanen en Europe, les gouvernements et régulateurs explorent la possibilité de rendre indépendante une partie considérée comme « sure » des établissements universels, d’une partie « risquée ». Seule la première activité, qui finance les entreprises et les ménages et collecte les dépôts, serait garantie par l’Etat.
Cette mesure vise, selon ses soutiens, à cloisonner les activités des banques universelles, et mécaniquement à réduire la taille et l’opacité des bilans de ces dernières. Outre la complexité de mise en Ĺ“uvre, les impacts sur le financement de l’économie sont mis en avant par les opposants à ces textes (cf. article Finance & Stratégies).
Quelque soit l’option retenue, l’idée sous-jacente est de rendre faillible l’entité aux activités risquée, tout en supprimant les conséquences sur les activités de financement de l’économie.
Rendre faillible les établissements systémiques
Bien que les établissements systémiques soient plus que jamais dans la ligne de mire du régulateur, la réelle problématique reste à trouver le moyen de rendre faillible, comme tout autre établissement, un établissement systémique tout en évitant une nouvelle catastrophe économique mondiale. Problématique à laquelle beaucoup ont tenté de répondre; mais rendre à une banque son caractère faillible et donc réussir à déterminer un moyen de porter les établissements d’importance systémique vers une liquidation ordonnée en cas de faillite est une entreprise plus que complexe, dont la solution reste encore à définir et l’efficacité encore à démontrer.
[1] : Le Conseil des gouverneurs et des responsables de supervision de la Banque des règlements internationaux, le Conseil de Stabilité financière et le Comité de Bâle
[2] : Extrait de l’audition devant le sous-comité des établissements financiers, 1994
[3] : Parmi les diverses analyses allant dans ce sens, citons ici les conclusions de Rime (2005): «Nous constatons que nos intermédiaires dotés d’un statut de banque “TBTFâ€� ont une influence positive non négligeable sur les notations d’émetteurs bancaires. Celles obtenues par les plus grandes banques de l’échantillon examiné sont assorties d’un bonus confortable.»
[4] : Gary Stern: Président de la Minneapolis Federal Reserve et Ron Feldman vice président
[5] : Déplacement des activités spéculatives des Banques vers le marché non réglementé par exemple par le biais des hedge funds
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