STONER - Et voilà...
Et voilà qu’en 2013, dix ans près SONGS FOR THE DEAF, mais surtout six ans après ERA VULGARIS, le dernier album en date de QOTSA, sort …LIKE CLOCKWORK. Bien sûr, au fil de ces années votre chroniqueur s’est délecté des nombreux projets parallèles (Eagles of Death Metal, Them Crooked Vultures, The Dead Weather, Sweethead, Mini Mansions), en studio ou en live, des membres du groupe. Mais quand même, six ans c’est long. Alors l’attente suscite le désir, et le désir l’impatience (entre les délais repoussés, les soucis d’enregistrement, les problèmes de santé de Josh Homme, et les changements dans la composition du groupe, notamment le départ regrettable du batteur Joey Castillo, l’accouchement de cet album a été long et douloureux). De surcroît, le tintamarre de la campagne promotionnelle autour de …LIKE CLOCKWORK a été bon train : univers construit autour d’une série de films/clips promotionnels (du plus bel effet d’ailleurs), donc mise à disposition progressive du public de passages ou de morceaux de l’album, puis mise à l’écoute complète de ce dernier sur ITunes cinq jours avant sa sortie.
Mais là n’est pas l’essentiel. Le problème réside en effet dans le buzz entretenu autour des artistes participant à l’enregistrement de l’album, excitant alors ladite impatience. Au premier chef, il y a Dave Grohl, venu occuper le poste vacant. Puis, on apprend, la liste n’est pas exhaustive, la participation de Mark Lanegan, Nick Oliveri, Alex Turner, Trent Reznor, l’éternel Alain Johannes, mais aussi Sir Elton John (si ! si !). Et voilà que les premiers cités ont un air de déjà vu, déjà entendu. Mais autant le dire tout de suite : il n’y a pas dans …LIKE CLOCKWORK, et il n’y aura d’ailleurs jamais, de rebirth du vieux SONGS FOR THE DEAF. Le constat est clair : entrons dans ce sixième album l’esprit dépollué du « comme en 14 », qui n’aurait d’ailleurs auguré rien de bon, les attitudes passéistes étant le signe d’un manque de créativité. Car oui, le temps est irréversible. Josh Homme et ses acolytes le savent et ne font pas de la musique, réussie ou pas, pour faire plaisir aux nostalgiques. QOTSA a le mérite de ne pas être un projet figé. Dès lors, le stoner, en l’état, c’est terminé (ça se sentait d’ailleurs au fil des albums précédents), mais il restera toujours un brin de cette esprit du désert qui caractérise le monde de Homme. Dites-vous qu’avec …LIKE CLOCKWORK, vous allez écouter un album de Desert Rock (faute d’autre qualificatif, l’étiquette pop rock étant injustifiée). Alors… Que vaut concrètement …LIKE CLOCKWORK ?
Le premier single, "My God is the Sun", excitait nos papilles auriculaires (nourrissant d’ailleurs quelque peu le buzz trompeur souligné supra). L’ambiance est sombre, presque médiévale, transylvanienne (sans référence aux textes), et rappelle, sous certains aspects, l’univers de LULLABIES TO PARALYSE. La rythmique de Dave Grohl et la double ligne de guitare y ajoutent une dose de puissance et de vitesse, qui rendent le tout très efficace. Avec un bref solo à la guitare et un atterrissage quelque peu tortueux (magnifique, et qui, dans le passé, aurait peut-être duré plus longtemps), la deuxième partie de ce morceau est du plus bel effet. Ceci étant dit, l’entrée dans …LIKE CLOCKWORK sonne différemment. Le "Keep Your Eyes Peeled" introductif est plutôt lent, lourd. Le texte est inquiétant. Avec la batterie de Joey Castillo et un riff de guitare simple et prenant, on croirait entrer dans un bar mal famé sis au bord d’une route 66 apocalyptique. La chose s’emballe avec un de ces ponts hypnotiques et légèrement torturés dont Josh Homme a le secret. Si certains le trouveront poussif, "Keep Your Eyes Peeled" convainc et nous lâche pleinement dans l’univers de …LIKE CLOCKWORK. "I Sat by the Ocean" est plus dansant, mélodique… Toujours contenu, sauf sur la fin. La voix de Homme, qui se bonifie et s’affirme clairement avec le temps, est mise en avant dans toutes ses variations, un constat d’autant plus évidant à l’écoute de "The Vampyre of Time and Memory", une nouveauté propre à ce nouvel opus. Cette plage s’apparente en effet à une « balade » rythmée par le piano de Homme, agrémentée ensuite de guitares, et se terminant par un magnifique solo. L’air de rien, elle amène quelque chose de neuf dans le répertoire de QOTSA, tout en faisant ressentir à cet égard l’influence de Dean Fertita. En bref, arrivé au bout du premier volet de l’album, on est conquis, même s’il nous aura fallu de nombreuses écoutes pour saisir pleinement les subtilités et la finesse des arrangements de ces trois premiers morceaux.
La qualité des arrangements et de la production est d’ailleurs la facette la plus marquante des atypiques "If I Had a Tail" et "Kalopsia". Le premier propose quelque chose de groovy, dansant, alors que le deuxième est une vraie réussite : un voyage mêlant instants suspendus, aux sonorités électros, et passages intenses et ténébreux (tout cela agrémenté de la respiration de Trent Reznor). Il faut de nouveau du temps pour s’approprier pleinement ces deux morceaux, mais ils ajoutent de la diversité, et paradoxalement de la cohérence à …LIKE CLOCKWORK. Contrairement à ces deux morceaux, dont le rythme est, somme toute, assez lent, "Fairweather Friends" s’inscrit plus dans la ligne de "My God Is the Sun". Très rythmé et clinquant (merci Dave Grohl), en raison notamment d’un refrain entraînant, ce morceau est calibré pour la radio, d’autant plus qu’il paraît rehaussé par le piano d’Elton John. Dans un registre différent, "Smooth Sailing" est plus crasseux, dans un style que l’on retrouve sur la fin de LULLABIES TO PARALYSE, sur ERA VULGARIS ou dans certaines compositions de Them Crooked Vultures ; les alternances entre la voix de Josh Homme et les cœurs (sans invités, précisons-le) donnent un truc en plus à cette piste. Finalement, …LIKE CLOCKWORK se termine par "I Appear Missing" et le titre éponyme de l’album. Si le second (sur lequel John Theodore fait office de batteur) ne mérite pas de commentaire spécifique (qu’il soit positif ou négatif, ce morceau se laissant facilement écouter et s’inscrit dans la lignée de "The Vampyre of Time and Memory"), le premier nous semble, anticipons notre conclusion, symptomatique de ce sixième album de QOTSA. Il divisera en effet les fans du groupe : certains y entendront une mélodie géniale, forte en émotion, en dramaturgie, capable de transporter l’auditeur dans les tréfonds, ou plutôt sur les sommets de …LIKE CLOCKWORK ; d’autres y entendront une interminable digression sans originalité, aux antipodes de ce qui a pu être composé, par le passé, dans le genre long et tortueux.
Arrivé au bout de …LIKE CLOCKWORK, que faut-il en retenir ? Déjà l’essentiel, que cet album sombre est très bon, voire excellent, qu’il brille par sa diversité, sa cohérence, mais aussi par la qualité de sa production. Nous ne sommes néanmoins pas dithyrambique, car il nous faudra du temps pour pleinement l’apprécier, le digérer, beaucoup plus de temps que nous l’aurions pensé de prime abord (oui …LIKE CLOCKWORK est moins accessible qu’il n’y paraît), comme nous avons aussi des difficultés à exorciser les démons du passé. Ensuite, par égard à la trajectoire générale du groupe, cet album, et le sentiment d’ambivalence qu’il provoque, nous laissent quelque peu songeur. La horde d’artistes collaborant à …LIKE CLOCKWORK, et tout le foin que cela a provoqué, n’apparaît au final n’être qu’un courant d’air. Les collaborations paraissent réduites au rôle de faire-valoir et ne semblent pas avoir le même poids que sur certains albums passés. Alors soit, c’est très bien aussi comme cela, et la patte de certain(e)s est tout de même très perceptible sur quelques passages. Mais on peut aussi se demander si le capitaine Josh Homme, de plus en plus présent en tant que chanteur et parolier (de talent), aura, à terme, les épaules assez larges pour composer sans réellement collaborer avec toute la clique. Pour l’instant, soulignons l’effort de QOTSA et son leader dans l’évolution de leur musique et l’élargissement de leur gamme de sons et de mélodies. Bien sûr, l’album divisera les amateurs, comme ERA VULGARIS l’a déjà fait. Mais pour QOTSA, le stoner c’est fini. Oui, nos lascars font des mélodies qui se veulent efficaces et vendeuses. Alors certains bobos de la disto crieront à la traitrise populiste. Mais paradoxalement, c’est peut-être en s’ouvrant à plus de monde que QOTSA infirme tout velléité populiste : pas besoin de retour aux sources, pas besoin de plaire aux convaincus des années 2000 ; bref, pas besoin d’existence à l’imparfait. Mais n’est-ce pas aussi angoissant pour l’avenir ?