Le week-end du 24 et 25 mai 2013, avait lieu une nouvelle édition des portes ouvertes des ateliers d’artistes dans le quartier de Belleville. L’association AAB rassemble plus de 250 artistes et 23 collectifs. C’est dans un esprit très convivial, que les portes s’ouvrent donc pour révéler d’adorables lieux (des courettes comme on les aime, ou des ateliers insoupçonnés) et de très belles productions artistiques. Pour les artistes, il s’agit de sauvegarder ces lieux de création, de rendre l’art accessible et de s’installer dans le paysage urbain. Ces portes ouvertes sont aussi un moment privilégié de rencontres et de contacts entre les artistes et le public, l’occasion d’échanges et d’ouverture d’esprit (et même de regard).
De très belles rencontres et découvertes artistiques
En descendant de la rue Belleville et en dépassant l’Espace Jourdain (où j’ai eu un aperçu en mosaïque) de tous les artistes qui participaient à l’édition de cette année, j’ai poursuivi ma descente vers la rue de la Mare puis la rue des Cascades, pour arriver au numéro 57.Laurent Debraux et Michel Pinosa
Accueillis avec de petits cakes au chocolat, on pénètre avec plaisir et curiosité dans cet atelier au volume étonnant. Au bout de la rue, derrière un mur qui abrite une maison qui ne paye pas de mine, la pièce est lumineuse, spacieuse et agréable. Les deux artistes guident les visiteurs, expliquant leur démarche. Le lieu appartient à Laurent Debraux, ancien informaticien, qui comme il le raconte, s’est affranchi de ce métier pour se consacrer à la sculpture cinétique. Pour comprendre de quoi il s’agit, il est plus facile de déambuler dans l’atelier, pour contempler ses différents dispositifs qui mettent en scène des expériences physiques dont naissent une beauté insoupçonnée et une grande poésie.
Profitant de ce lieu qu’il possédait, il a commencé travailler avec des artistes à les inviter dans cet atelier et à commencé lui-même la sculpture en mai 2010 pour le plaisir. Après sa participation aux Ateliers d’Artistes de Belleville, il décide de persévérer et d’explorer plus encore cette voie. Sa démarche artistique se focalise sur le mouvement. C’est par lui qu’il souhaite faire éclore une certaine beauté et créer ainsi l’émotion. Fondées sur l’imperceptible, ses œuvres sont délicates et d’une beauté rare. Elles surprennent, car les sculptures cinétiques, entendues comme des œuvres d’art qui contiennent des parties en mouvement ne sont pas courantes. Laurent Debraux travaille avec peu de matériaux, pour mettre à nu ces tous petits mouvements, et la sobriété de la pièce permet de ne percevoir que cela. Les œuvres exposées ici comportent parfois une petite manivelle à actionner avec précaution, qui quand elles sont maniées lentement, mettent en branle le mouvement dans tout son déploiement : de multiples petites billes qui roulent sur une paroi, une tête qui émerge du métal fondu… « Une chose importante pour moi est la lenteur du mouvement. Plus un mouvement est lent, me paraît-il, mieux on peut le ressentir » dit-il.
Dans cette édition, Laurent Debraux a invité Michel Pinosa, artiste peintre qui pratique différentes activités : de la sculpture, aux arts graphiques, en passant par la vidéo et même la cuisine. Depuis 2005, il travaille la technique des encres sur papier, attentif à la Nature, son travail est aussi très poétique.
Ses encres se déclinent sur différents formats de papier, de la carte postale en passant par des tableaux plus grands, et dessinant des paysages apaisants, des fleurs, des arbres ou des formes plus abstraites. La beauté qui en ressort est apaisante, et fait penser à des paysages semblables à la Baie de Somme et au Japon. L’œil perçoit la forme dessinée autant que la touche du peintre, l’encre qui se diffuse sur le papier. Le résultat invite à la contemplation.
Pour certaines œuvres les deux artistes ont travaillé ensemble, et une petite forme métallique entre soudain en mouvement au milieu d’une Nature qui émerge du papier.
En savoir plus sur les artistes :
Laurent Debraux
Michel Pinosa
En passant par la rue de Savie, et en descendant la rue de la Mare, j’ai marqué une étape au 40.
Le Mobilhome habité par les sculptures de Sandrine Boutté
Le Mobilhome un lieu dépaysant investit par d’étranges créatures aux mouvements pleins de force. Une association participative aussi, qui ouvre les portes de ce bar tous les mercredis soirs à partir de 20h pour accueillir diverses performances artistiques et des rencontres gastronomiques. Créé par Sandrine Boutté en 2002, il abrite aujourd’hui les sculptures si caractéristiques de l’artiste pour cette édition des portes ouvertes. Cette artiste sculpteure, a développé d’autres formes d’expression artistiques connexes, notamment l’art-thérapie dont elle suit une formation, suite à deux accidents advenus par son activité artistique. Au terme de ses rééducations, cette nouvelle corde à son arc semble effectivement évidente. Elle pratique également la danse, avec laquelle elle tisse un lien très étroit avec sa pratique de la sculpture.
Poignantes, les créatures façonnées par l’artiste dans des matériaux divers (bronze, bois ou terre), obligent à s’arrêter un moment. Sortis de notre quotidien, on pénètre par leur mouvement, leur matière, et par le corps, dans une contemplation de leurs poses et postures. On note ainsi autant certains gestes naturels des corps et aussi et surtout les tensions et extensions exagérées (notamment dans la série des péchés capitaux) qui mettent à nu la sensualité, pour débarrasser ces créatures de tout le reste. Seuls comptent les sensations et le contact au monde, purs. En contemplant la belle installation dans ce lieu lui-même intéressant, on déconnecte un instant, face à cette force brute, à ces corps tendus vers quelque chose, une émotion, un sentiment, ou un autre. La série de couple assis sur une poutre en hauteur, semble attendre patiemment. Puis, on découvre présentée de manière indéfectible, le magnifique reportage-photo, réalisé par son beau-frère en Baie de Somme, d’un dispositif de sculptures éphémères l’hiver dernier. Les tempêtes ayant balayé puissamment la côte, celle-ci s’est couverte de terre glaise, qui a servi à Sandrine Boutté de matériau pour modeler des créatures. Des personnages assis la plupart du temps. A l’écoute des éléments, semblant attendre. L’intensité et la beauté de ce projet nait de la rencontre de la photo et de la sculpture, un mariage très réussi, qui rend fidèlement l’impression d’existence éphémère et pleinement tournée vers une existence élémentaire et simple. Il laisse toute la liberté au spectateur d’imaginer l’intention et le ressenti des personnages, aussi bien que leur devenir.
Une très belle artiste à suivre donc, et qui donne envie d’en connaitre davantage, puisqu’elle s’exprime de plusieurs manière et notamment aussi par la danse « à la verticale » Découvrir Sandrine Boutté
Les jardins de poche de Valéa Djinn
Parmi les œuvres de plusieurs artistes, mon attention a été retenue par ce monde miniature et délicat crée par Valéa Djinn dans des conditionnements parfois très poétiques (un petit siège posé sur un petit morceau de mousse verte, dans un tube à essai notamment). C’est avec des matériaux très simples, naturels et précieux, mousses, brindilles, dentelle… que cette plasticienne et musicienne, crée en modèles réduits de petits fragments d’un monde merveilleux. Faisant appel à notre imaginaire, nous pénétrons par l’observation attentive de ses œuvres dans ces mondes enchantés. Ces bulles de rêve sont joliment prises dans une cloche de verre et on les imagine ouvrir la petite porte vers une réalité magique habitée par les créatures de notre inconscient.
Observatrice minutieuse de la nature, Valéa Djinn part sur le terrain (en forêt) en quête de matériaux délicats, entreprend une collecte précise de petits éléments, et déniche des trésors naturels. Avec un brin d’humour elle titre ses œuvres, « Boule sans neige » ou « Danseuse étoilée », et la rencontre des mots et de l’œuvre invite d’autant plus à une contemplation féérique.
Découvrir Valéa Djinn
Pour mon autre parcours, j’ai opté pour un départ de Belleville en passant par l’incontournable rue Denoyez, où je suis rentrée chez plusieurs artistes. J’ai ainsi vu les œuvres du Peuple Mosaïque, avant de partir dans les méandres d’un chantier pour découvrir La forge de Belleville, de laquelle je suis ressortie de manière inattendue dans la rue de Belleville.
J’ai ainsi pris la rue de Tourtille, pour m’arrêter au 44, dans l’atelier ravissant de Mirella Rosner.
Dans lequel j’ai apprécié ses peintures et dessins, sur des rouleaux de papier ou directement dans des livres, au pastel ou à la peinture. La consultation de ces cascades de papier contenant des corps, des formes, des histoires est intéressante et change du rapport habituel qu’on peut avoir à l’œuvre. Mon attention s’est aussi portée sur des petits formats, où d’un trait d’encre de chine naissait un corps, une mimique de visage, une expression forte en définitive, par le biais d’un simple geste. L’accueil de l’artiste était très sympathique, car nous avions l’impression d’être vraiment accueillis par elle dans son atelier. En tournant plus loin à gauche dans la rue Ramponeau que l’on remonte jusqu’au 74, on parvient dans une grande cour, abritant de multiples ateliers.
Des formes légères taillées dans les pierres chez Catherine Arnaud
Dans le second sur la droite, on rentre dans l’univers minéral de Catherine Arnaud, une femme accueillante et ouverte, qui aime parler des pierres, des matériaux qu’elle travaille et surtout des formes qu’elle en fait jaillir. Questionnée, elle se prête avec plaisir à la discussion, et nous avons commencé à discuter d’une pièce sculptée dans une pierre mystérieuse et presque magique, tant son origine et sa nature lui paraissaient étrangères. Cette pierre rugueuse et cristalline s’est mise un jour sur sa route, au hasard du chemin. Du travail de l’artiste avec elle, est né un personnage apaisé et un brin amusé, qui sort littéralement d’elle. Nous l’avons observé longuement avec une autre dame, toutes les trois intriguées de ce que nous montrait la pierre. En déplaçant l’œuvre, le personnage changeait d’expression, passant du calme à la légère moquerie, puis de la sérénité à la joie.
Comme le dit l’artiste en décrivant sa démarche : « Entre la pierre et moi, l’osmose se fait. Je l’ai sélectionnée, choisie, tout de suite aimée, aussi nous agissons, travaillons ensemble. Elle me parle, me guide, m’encourage. Je la sculpte mais ne la blesse pas. Au contraire, je la caresse, lui enlève petit à petit ce superflu qui l’étouffait, la masquait, pour l’emmener, tranquillement, heureusement, inexorablement, à se dévoiler. A nous dévoiler, toutes les deux, jusqu’à l’âme. » Les autres œuvres plus abstraites m’ont aussi touchée dans la pureté des lignes et dans cette révélation des formes. Il a été difficile de partir de l’atelier car on s’y sent bien en compagnie de Catherine Arnaud et de ses pierres.
Découvrir Catherine Arnaud
J’ai ensuite cherché à gagner la rue Piat pour me rendre au 51. Dans un immeuble en travaux, je me suis laissée guider par les dessins fins et intrigants d’Olivia Berggren.
Les expériences du regard de Blik
C’est après avoir gravi les 4 étages que je suis arrivées chez ces 4 artistes danoises. Toutes animées d’une réflexion sur le regard, chacune ayant sa sensibilité et ses compétences propres, elles apportent à ce projet commun différentes facettes et creusent le questionnement. Leurs œuvres s’appuient sur des phénomènes optiques qui piquent notre curiosité, en déstructurant la réalité pour construire de nouvelles formes. C’est donc de l’observation que naissent les photos ou les dessins qu’elles présentent.C’est par Olivia Berggren que je commence, et ses dessins de foules aux petits personnages. Dans ses dessins, elle oriente le regard en attribuant à ses petits bonhommes des attitudes que l’œil perçoit avec facilité, et par lesquelles il catégorise les formes : un homme sera naturellement penché, et la femme déhanchée et gracieuse (et même dansante). L’œil indique alors l’histoire, celle que l’on veut se raconter au moment de la consultation de l’œuvre. C’est elle qui est mon hôte et qui m’explique leur projet très gentiment.
Voir ses oeuvres
Je découvre dans cet adorable appartement à la vue inépuisable, les photos de Signe Ulfeldt. Réalisées sur le long terme, elles sont exposées à l’endroit où elles sont été prises, mettant en scène la fenêtre qui se trouve juste à côté d’elles dans la pièce. L’image joue sur les reflets et la superposition des épreuves, modulant la lumière et les formes. Les cadres s’imbriquent dépassant notre appréhension de l’image, saturant notre perception. Nous ne parvenons plus à distinguer l’intérieur de l’extérieur, la fenêtre et l’espace interstitiel.
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Dans les peintures de Sofia Krohn se dessine une certaine vision du chaos qui nait de la rencontre entre le geste de l’artiste et la force de la matière.
Enfin dans les photos de Trolle Kieler, l’inconfort est dû au manque de mise au point dans l’image. La curiosité est pourtant attisée et l’on cherche à discerner les choses. On essaie de reconstruire les éléments, de chercher le référent, comme on essaie de se souvenir au réveil, d’un rêve fait la nuit même. Ici les sujets interrogent, de même que l’observateur. Le manque de netteté provoque une légère frustration qui ouvre aussi le champ des possibles.
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Des lieux secrets qui se révélaient timidement
A Belleville, l’art s’exprime partout sur les murs…
Parfois, le chemin n’inspire pas vraiment confiance mais…
L’ambiance est conviviale
Les portes s’ouvrent révélant des bijoux
et non loin Paris se déroule