Michaël Uras - Chercher Proust

Par Marellia
Vivre sa vie ?
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Michaël Uras - Chercher Proust [LC Editions, 2012]


Jacques Bartel est obsédé par Proust de puis son plus jeune age. Adulte, il deviendra chercheur, chercheur Proustien naturellement. Le premier roman de Michaël Uras plonge donc son lecteur dans les méandres de la psyché d'un obsessionnel, sorte de confession à la première personne d'un looser attachant comme ridicule voire pédant. Cette "autobiographie" fictive d'un personnage fictif, incisive et hilarante sans avoir l'air d'y toucher, écrite dans un style fluide, concis et sans effets inutiles, s'intéresse d'abord à l'identité. Le sieur Jacques Bartel ne serait-il pas quelque part vampirisé par son héros ? Sa passion/obsession, presque en roue libre, ne peut que le conduire à la dissolution. Chercher Proust serait alors plutôt l'histoire de celui qui prend conscience qu'il faut se défaire de Proust.
Depuis l'affiche placardé au mur de sa chambre d'adolescent, notre héros entend Proust lui pronostiquer qu'il "aurait bientôt une aussi belle moustache que [lui]". N'ayant pas peur de charger la mule, Michaël Uras rythme son histoire avec mille et une références proustienne, sans donner pour autant dans l'exercice référentiel ou le jeu de sous entendus pour lecteurs avertis. Pas besoin d'avoir lu Proust pour apprécier Chercher Proust (sans aller plus loin, dois-je confesser que ma connaissance proustienne ne dépasse guère l'incipit :" Longtemps je me suis" etc..). Ce qui l'intéresse c'est de n'économiser aucun déboires, aucun échecs à son pauvre héros et d'utiliser la figure de Proust le grand écrivain tour à tour comme détonateur, comme épouvantail, comme pièce de musée, comme déclencheur... Chercher Proust n'est pas un livre sur Proust mais sur ce qu'il reste de Proust et plus généralement sur ce qui survit des grandes figures artistiques, sur la postérité comme machine avariée, sur le ridicule de ceux qui cherchent à vivre leur vie à travers ces grandes figures qui peut-être ne survivent plus tant comme grandes figures que comme caricatures fatigués, épouvantails, gimmicks vide de sens, etc... Proust non plus comme oeuvre, mais comme marque (le mug Proust, l'hôtel Proust...), comme chair à canon d'une recherche universitaire sans objet (un colloque sur la place de la virgule dans La recherche), et surtout dans le cas de notre héros Jacques Bartel, comme manière de ne pas (ou - pour le moins - de mal) vivre sa vie.
Chercher Proust est un livre parfois cruel, qui n'a pas peur de tourner le couteau dans la plaie, mais toujours avec un humour et une légèreté de ton qui font de la lecture du texte une expérience prenante. C'est un livre qui se lit vite car c'est un récit qui appelle cette vitesse, comme si la narration détaillé de la vie ratée et sans saveur autre que celle de l'échec et du ridicule du sieur Bartel ne pouvait se permettre la lenteur. La lenteur, ce serait laisser la porte ouverte au pathétique, à l'apitoiement, tout ce que ce texte - fort heureusement - n'est pas. La vélocité ici va de pair avec l'intention légèrement parodique, parfois ironique, du texte. Parodie d'auto-fiction, complètement dynamité ici par le ridicule du personnage, parodie d'un monde intellectuel en vase clos, parodie de bildungsroman à travers le récit de la jeunesse et de l'éducation sentimentale du héros... Mais la subtilité du livre de Michaël Uras c'est aussi de savoir ne pas se laisser piégé par le jeu de l'excès et de la caricature. Au delà de la farce, il y a une certaine justesse de ton dans le portrait du personnage, la farce ne dérape pas ou ne se laisse pas hypnotiser par son propre éclats de rire, le mors au contraire est toujours bien tenu (on pourrait évidemment, en cherchant la petite bête, trouver ici ou là une ou deux scènes un peu prévisibles ou attendues, mais après tout, la farce et la parodie jouent aussi du cliché...).
Dans le cadre d'une note comme celle-ci résumer l'intrigue n'a guère de sens (et puis le spoiler, très peu pour nous). Elle est d'ailleurs dans ses grands traits assez prévisible : l'histoire d'un type qui se rend compte qu'il est en train de rater sa vie. L'intérêt, bien entendu, n'est pas dans l'originalité de la proposition mais dans son traitement, dans le rythme, la pulsation d'un texte, et surtout son style. De ce point de vue, on ne peut qu'apprécier le talent d'Uras, capable de construire un style extrêmement fluide, qui en peu de mots et en phrases courtes dit l'essentiel, maintient la tension, sous entend... Jamais vulgaire ni complaisant, Chercher Proust au contraire, en nous faisant suivre en voyeuristes consentants, les déboires et la médiocrité de son personnage nous met aussi face au mur de notre propre médiocrité et de notre propre rapport pas toujours très clair aux grands artistes, aux grandes œuvres.
Celui qui - naïvement - espérait découvrir dans ce livre quelques arcanes nouvelle sur Marcel Proust en restera pour ses frais : rien de nouveau ici sur l'auteur d'Un amour de Swann, au contraire même, puisqu'il s'agit d'en remettre une couche sur les clichés attachés à la figure du grand écrivain. Comme je le disais plus haut, c'est de la "marque" Proust qu'il s'agit, l'auteur mondain et toujours malade de livres aux phrases interminables, le type falot qui-serait-quand-même-pas-un-peu-pédé-sur-les-bords, etc... Il y a a derrière cette utilisation d'un Proust ready made, une double intention sans doute, celle d'une part de mettre en scène l'échec flagrant du personnage principal à trouver quelque chose de nouveau à dire sur un auteur analysé et "scalpelisé" jusqu'à la moelle, et d'autre part de rire de cette forme implicite de vacuité, de réduction, de simplification que semble imposer toute postérité, comme si tout artiste génial était implacablement condamné à devenir une caricature de lui-même et son œuvre devenir inévitablement le résumé hâtif et pauvre d'elle-même. Ceci, néanmoins, ne veut pas dire que Michaël Uras ne connaisse pas son Proust. Mais à l'exposition m'a tu vus d'une érudition pénible, il préfère se servir de la figure de Proust comme d'un catalyseur pour le drame médiocre, banal, de son personnage. Les parallélismes qu'il opère entre son personnage et l'écrivain sont toujours là pour mettre en lumière cette espèce de parodie de lui-même qu'est le pauvre Jacques Bartel, de la même façon que dans le roman Proust est une parodie réductrice. Si l'auteur de La recherche a passé une bonne partie de sa vie à annoncer un grand roman dont personne n'avait lut une seule ligne, il en va de même pour le pauvre Bartel, cible des railleries de la communauté proustienne (un ramassis de vieux schnok), qui ne semble guère le croire capable de produire la moindre étude d'intérêt. Quand notre "héros" se contemple dans le miroir, c'est pour s'y découvrir une mine cadavérique, reflet de ses multiples échecs (amour, travail, réussite sociale, etc), une mine qui dès lors pour lui ne serait évoquer autre chose que la photo de Proust sur son lit de mort.
Chercher Proust donc, ou plus simplement se chercher soi-même sans être capable de se trouver. C'est tout le sel du récit de Michaël Uras. Rien de nouveau sous le soleil me dira t'on avec cette histoire d'un type en quête de lui-même. Peut-être bien, mais ce livre pourtant sait renouveler un vieux schéma pour en proposer une lecture contemporaine très drôle, gracieuse, et sans effets de manche. D'autre part le style précis, incisif, jamais trop explicite, est un excellent outil pour maintenir l'intérêt du lecteur. C'est déjà beaucoup.